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Un jour à bord de la goélette Tara

Un jour à bord de la goélette Tara

10.07.2014, par
La goélette de Tara Expéditions dans les eaux de la Méditerranée.
La goélette de Tara Expéditions dans les eaux de la Méditerranée.
Cette année, les scientifiques de la mission Tara font le tour de la Méditerranée pour y étudier les dégâts causés par la pollution plastique. Le 24 juin dernier, notre journaliste a profité d'une escale à Antibes pour découvrir la vie à bord de la goélette. Récit.

10 heures : Tara quitte le port d’Antibes

« C’est bon, on est parti ! » Aux commandes de Tara, dont le moteur ronfle comme un ours polaire, Samuel Audrain manœuvre avec doigté pour sortir le voilier de 36 mètres du port d’Antibes adossé au pied des remparts de la vieille ville et de l’imposant Fort Carré. Après avoir connu en 2013 la blancheur des glaces de l’Arctique, la goélette partie de Lorient en avril dernier inspecte depuis quelques semaines les eaux pas toujours très claires de la grande bleue. Au programme : un périple de 16 000 kilomètres comprenant 22 escales dans 11 pays1, mobilisant une douzaine de laboratoires internationaux et ambitionnant de mieux comprendre l’impact du plastique flottant de petite taille sur les écosystèmes méditerranéens. Pour l’heure, le deux-mâts reconnaissable à sa coque en aluminium met cap à l’est pour s’affranchir des eaux portuaires et permettre aux scientifiques présents à son bord de procéder aux manipulations qui scanderont les 200 « stations d’études » prévues jusqu’en décembre. « Les zones côtières de la Méditerranée hébergent presque un demi-milliard d’habitants », rappelle le biologiste Gaby Gorsky, en sanglant son gilet de sauvetage. Pour le directeur de l’Observatoire océanographique de Villefranche-sur-Mer2 et coordinateur scientifique de l’expédition, une telle pression démographique se traduit par le déversement d’un très grand nombre de déchets plastique dans cette mer quasi fermée, représentant moins de 1 % de la surface des océans mais abritant 8 % des espèces marines connues. « Il est essentiel d’organiser une surveillance à long terme de cette pollution créée par l’homme, plaide Gaby Gorsky. Les résultats de cette campagne permettront d’alerter les politiques, les industriels, les associations…, des menaces qui pèsent réellement sur une mer déjà fragilisée. »
 

11 h 30 : mise à l’eau du filet « bongo »

Après un rapide briefing dans le carré de Tara pour récapituler les protocoles de collecte et les traitements à réaliser sur les échantillons, place aux travaux pratiques ! Poséidon, hélas, est mal luné. Les mauvaises conditions météo empêchent de mettre à l’eau la « manta », un filet-tamis aux airs de raie géante constitué d’un corps en aluminium et d’un long manchon en Nylon muni de collecteurs dans lesquels les débris de plastique et le plancton piégés par le chalut terminent leur course. Relié au bateau par un câble d’une centaine de mètres et évoluant juste au-dessus et en dessous de la surface, « ce filet ne peut être déployé que si la mer est parfaitement plate », commente un membre d’équipage. Décision est prise de faire appel aux services de « bongo », un filet moins sensible aux turbulences, dénommé ainsi en raison de sa ressemblance avec les tam-tams du même nom.

Filet bongo, Tara Expéditions
Ce filet bongo est utilisé pour récolter des échantillons de plancton et des fragments de plastique.
Filet bongo, Tara Expéditions
Ce filet bongo est utilisé pour récolter des échantillons de plancton et des fragments de plastique.

12 h 15 : première séance d’échantillonnage

Une demi-heure et quelques manipulations de treuil plus tard, le plancton extrait des collecteurs et plongé dans le formol gît avec une purée de microplastiques presque invisibles à l’œil nu sur la table en bois du pont arrière de Tara, au milieu des flacons, « pissettes », loupes, pinces à épiler et autres outils nécessaires au tri et au conditionnement des prélèvements. Chaque tube contenant un fragment de la collecte est soigneusement étiqueté (heure de mise à l’eau et de sortie de l’eau, vitesse du bateau, coordonnées GPS…), puis stocké au froid. « Tous les échantillons vont être dispatchés aux différents laboratoires partenaires de la mission et analysés grâce à des techniques pointues d’imagerie, de chimie et de microbiologie, précise Marie-Luiza Pedrotti, chercheuse au laboratoire de Villefranche-sur-Mer. Les résultats nous permettront de détailler la structure de l’écosystème planctonique en contact avec des fragments de plastique. Ils nous apprendront aussi à quelle famille de plastiques appartiennent les débris (polyamides, polystyrènes, polyester…), nous renseigneront sur l’origine de ces particules et nous serviront à cartographier la distribution du plastique en Méditerranée. » Non moins important : les microplastiques marins transportés par les courants et les vents s’avèrent de véritables éponges à « polluants organiques persistants » (pesticides comme le DDT, biphényles polychlorés, hydrocarbures aromatiques polycycliques…). D’où la mission confiée à Tara d’élucider comment ces substances réputées pour leur toxicité contaminent la chaîne alimentaire marine et, une fois dans nos assiettes, retentissent sur la santé humaine.

Échantillons de débris récoltés à l'aide d’un filet bongo.
Ces échantillons récoltés à l’aide du filet bongo mêlent débris plastique et plancton.
Échantillons de débris récoltés à l'aide d’un filet bongo.
Ces échantillons récoltés à l’aide du filet bongo mêlent débris plastique et plancton.

13 heures : largage de la bathysonde

Une bathysonde ou sonde CTD, fixée à un treuil, est larguée à la verticale du bateau. « Alors que toutes les manipulations sur cette mission se font en 2D, c’est-à-dire à la surface, cet instrument nous sert à caractériser jusqu’à 200 mètres de profondeur l’environnement physico-biologique de la colonne d’eau sous-jacente à la zone de prélèvements des échantillons de plancton et de plastique », détaille Hervé Le Goff, du Laboratoire d’océanographie et du climat3, en supervisant la manœuvre avec Tom Leeuw, de l’université du Maine. Tout au long de la descente sont mesurées la température, la salinité, la transparence et la fluorescence de la colonne d’eau, ce dernier paramètre renseignant sur la concentration en plancton de ladite colonne.

Une sonde est préparée pour explorer la colonne d'eau.
Fixée à un treuil, cette bathysonde est plongée à la verticale du bateau pour explorer la colonne d’eau sous-jacente à la zone de prélèvements.
Une sonde est préparée pour explorer la colonne d'eau.
Fixée à un treuil, cette bathysonde est plongée à la verticale du bateau pour explorer la colonne d’eau sous-jacente à la zone de prélèvements.

14 h 30 : déploiement d’un second filet

Toutes voiles dehors, Tara – qui utilise des images satellite et des modèles de circulation océanique fournis notamment par la société Mercator Océan pour déterminer les zones de prélèvement présentant le plus d’intérêt – cingle vers un nouveau site d’échantillonnage. Tandis que la goélette fend les flots à 3,7 nœuds et que le filet bongo se remplit, les estomacs font de même autour du buffet trois étoiles (de mer) dressé par Marion, la cuisinière du bord. « Dans l’océan, la surface des débris de plastique regorge de mollusques, de crustacés…, mais aussi d’organismes microscopiques (bactéries, virus, archées…) », commente, le temps de sa pause déjeuner, Stéphanie Petit, postdoctorante au laboratoire de Villefranche-sur-Mer. Un des objectifs de la mission, poursuit-elle, est d’« étudier dans le détail le rôle de ces communautés de microbes dans la transformation des plastiques aquatiques et de savoir à quel point ces derniers servent de “radeaux” à des algues toxiques et à des microbes pathogènes comme la bactérie qui cause le choléra ». Au total, quatre sessions d’échantillonnage, trois de jour et une de nuit, ponctuent une sortie standard de Tara. « C’est la nuit que le plancton qui séjourne pendant la journée entre 300 mètres et 1 kilomètre de profondeur migre verticalement pour trouver de la nourriture à la surface et entre alors en contact avec le plastique », précise Gaby Gorsky, en indiquant que, dans la mesure du possible, les scientifiques recueillent les poissons pris au piège dans les filets pour examiner le contenu de leurs estomacs et y traquer la présence de microplastiques.

18 heures : retour à bon port

Après être passée devant les yachts XXL amarrés le long du bien nommé Quai des milliardaires, la goélette retrouve sa place derrière la capitainerie du port d’Antibes. En tout, « le bateau va passer 115 jours en mer et autant à terre », annonce Romain Troublé, secrétaire général de Tara Expéditions. Chaque escale est par conséquent l’occasion d’organiser des visites guidées du bateau, de sensibiliser le public, les scolaires et les politiques au respect de l’océan, d’organiser des rencontres avec la presse locale et d’inviter des chercheurs, comme ce soir Christian Sardet, un spécialiste du plancton, à donner des conférences. Surtout, insiste Gaby Gorsky, en mettant pied à terre, « la pollution de la mer par le plastique est l’une des rares pollutions à être réversible. On peut tout à fait y mettre un terme en modifiant nos habitudes et en encourageant l’industrie à mettre au point de nouveaux plastiques biodégradables. N’est-ce pas un challenge fabuleux ? »

A lire aussi : "24 heures chrono pour étudier les océans"

Notes
  • 1. France, Portugal, Italie, Grèce, Liban, Israël, Malte, Tunisie, Algérie, Espagne et Maroc.
  • 2. UNité CNRS/UPMC.
  • 3. Unité CNRS/UPMC/MNHN/IRD/IPSL.
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Auteur

Philippe Testard-Vaillant

Philippe Testard-Vaillant est journaliste. Il vit et travaille dans le Sud-Est de la France. Il est également auteur et coauteur de plusieurs ouvrages, dont Le Guide du Paris savant (éd. Belin), et Mon corps, la première merveille du monde (éd. JC Lattès).

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