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Des algorithmes pour dépister le dopage

Des algorithmes pour dépister le dopage

05.12.2018, par
Finale du 400 mètres haies hommes lors des jeux Olympiques d’Athènes (2004).
La lutte antidopage se dote d’un tout nouvel outil : un modèle informatique qui, à partir de l’historique des performances d’un sportif, permet de repérer s’il s’est dopé. Il a été développé au laboratoire I3S qui vient de recevoir un trophée de l'Inpi.

Une nouvelle arme numérique dans la lutte contre le dopage ! Une équipe du CNRS, en collaboration avec des médecins de l’International Association of Athletics Federations (IAAF)1, a développé un outil numérique capable de détecter un éventuel usage de substances illicites par un sportif. Maria João Rendas, chargée de recherches CNRS au Laboratoire d’informatique, signaux et systèmes de Sophia Antipolis (I3S)2 et ses collègues (Asya Metelkina, post-doctorante, et Luc Pronzato, directeur de recherches CNRS) affirment que, grâce à leur modèle informatique, il leur est possible de repérer les athlètes dont les performances ont évolué de façon anormale à partir des banques de données recensant plusieurs années de résultats de compétitions internationales. Cela, avant même d’engager l’ouverture d’une enquête !

Compléter le passeport biologique

De nos jours, le combat contre les tricheurs dans le sport a tout d’une épreuve d’endurance. L’Agence mondiale antidopage préconise qu’il s’appuie à la fois sur une série de contrôles réalisés selon un protocole précis et sur la mise en place d’un « passeport biologique », appelé Passeport biologique de l’athlète (ABP). Ce Passeport, propre à chaque athlète de haut niveau, rassemble les résultats de tous les prélèvements biologiques officiels auxquels ce dernier a été soumis durant sa carrière. En permettant un suivi pluriannuel de divers indicateurs clés, tels que les taux d’hémoglobine ou de jeunes globules rouges (réticulocytes) dans le sang – et bientôt, la concentration en stéroïdes dans les urines –, il peut faciliter la découverte de cas suspects. Depuis la mise en place de ce système en 2009, les résultats issus de l’ABP ont abouti à la suspension de plusieurs dizaines de sportifs, principalement en athlétisme et en cyclisme !

Problème : l’ABP a un coût. Et ce dernier est prohibitif. Résultat : le nombre d’athlètes suivis par ce procédé et la fréquence des prélèvements qu’ils subissent sont très limités. D’où le souhait de l’IAAF de disposer d’un outil complémentaire qui lui permettrait de réaliser des contrôles plus ciblés parmi les centaines de sportifs de haut niveau qui, chaque année, doivent faire l’objet de cette surveillance.
 

Dispositif utilisé pour contrôler les athlètes dans le cadre de la lutte antidopage lors des JO d'hiver 2018.
Dispositif utilisé pour contrôler les athlètes dans le cadre de la lutte antidopage lors des JO d'hiver 2018.

 

Modéliser l’évolution des performances

C’est ce qu’a réalisé l’équipe du Laboratoire I3S dans le cadre d’une collaboration conduite entre juin 2017 et juin 2018 avec la Fédération internationale d’athlétisme. Spécialisée dans le traitement de l’information, elle n’en était pas à sa première expérience dans le domaine du sport.

Le coût du passeport biologique est prohibitif. Résultat : le nombre d’athlètes suivis par ce procédé et la fréquence des prélèvements qu’ils subissent sont très limités.

Ces scientifiques avaient précédemment travaillé sur les tables de plongéesFermerLes tables de plongées définissent les paliers de décompression à respecter lors de la remontée. utilisées par les plongeurs. Il s’agissait alors de concevoir des modèles de formation de bulles dans le sang en vue de déterminer s’il serait possible d’adapter ces tables aux capacités de chaque individu.

Cette fois-ci, ces chercheurs ont exploré les banques de données de résultats sportifs de l’IAAF, afin d’en tirer des modèles puis des courbes montrant comment les performances d’un athlète évoluent en fonction de son âge. L’idée étant que le recours au dopage se traduirait probablement pour un sportif par une progression différente de celle des autres athlètes. Et qu’il serait possible, par ce moyen, sinon de prouver une fraude du moins de repérer des performances anormales.

 

L’exercice était moins évident qu’il y paraît. « En effet, un lanceur de poids de haut niveau, tout comme un coureur du 400 mètres, participe à plusieurs compétitions par an, explique Maria João Rendas. Mais d’une épreuve à l’autre, les performances qu’il réalisera seront différentes. L’état de fatigue lié à l’avancée de la saison, la nature du terrain, la météo et d’autres facteurs, comme des événements survenus dans sa vie privée, vont introduire des variations. » Et toute la difficulté pour les chercheurs a été de réussir à modéliser le phénomène en tenant compte de l’existence de ces variations conjoncturelles.
 

En haut, la courbe bleue montre les performances d’un champion non suspecté de dopage. Les temps qu’il a réalisés sont inférieurs à ceux des autres athlètes. En bas, la courbe bleue indique les performances d'un athlète suspecté : celles-ci s’améliorent de façon atypique en fin de carrière.
En haut, la courbe bleue montre les performances d’un champion non suspecté de dopage. Les temps qu’il a réalisés sont inférieurs à ceux des autres athlètes. En bas, la courbe bleue indique les performances d'un athlète suspecté : celles-ci s’améliorent de façon atypique en fin de carrière.

 

Repérer les anomalies

Le résultat confirme l’intuition de départ : dans une discipline donnée, les performances des sportifs suivent des courbes de progression de formes assez similaires et cela indépendamment de leur niveau. Ainsi, les temps réalisés par un sprinteur du 400 mètres connaîtront une rapide amélioration en début de carrière.

 

Dans une discipline donnée, les performances des sportifs suivent des courbes de progression de formes assez similaires et cela indépendamment de leur niveau.

Puis, quand il atteindra les 24-25 ans et plus, ses performances commenceront à se dégrader. En revanche, un lanceur de poids, sport nécessitant l’acquisition d’un savoir-faire technique, mettra plus de temps avant de voir ses premiers efforts récompensés.

En faisant appel à leur modèle, Maria João Rendas et ses collègues affirment pouvoir repérer, avec une forte probabilité, les évolutions anormales. Qu’il s’agisse des mauvais résultats d’un athlète à la suite d’une blessure ou, au contraire, d’une augmentation inexpliquée de ses performances, souvent en fin de carrière. Et cela, précisent-ils, relativement précocement : c’est-à-dire bien avant la fin de la carrière du sportif.

Développé au départ pour l’athlétisme (courses, sauts, lancers…) et facile à utiliser une fois terminée la phase d’apprentissage du modèle à partir de la base de données, cet outil informatique, pourrait être adapté à d’autres sports pour lesquels la performance s’appuie plus sur des facteurs physiques que sur des facteurs tactiques ou technologiques. C’est le cas pour la natation ou l’aviron, par exemple, où, comme en athlétisme, le recours au dopage a pour but d’augmenter de façon artificielle la masse musculaire ou les capacités respiratoires des athlètes…

Le système est actuellement testé par l’IAAF qui espère le mettre prochainement à disposition de l’Unité de l’intégrité de l’athlétisme, organisme indépendant chargé de la lutte antidopage en athlétisme. Il a d’ores et déjà permis de repérer quelques situations douteuses et pourrait à terme intégrer des informations contenues dans l’ABP. « C’est une énorme avancée, estime le Docteur Stéphane Bermon, directeur du département Science et santé de l’IAAF. L’arrivée de ce nouvel outil devrait rapidement augmenter l’efficacité des contrôles. » De quoi, en ciblant les prélèvements biologiques d’une manière plus pertinente, compliquer la tâche des tricheurs. ♦

 
 

 

Notes
  • 1. L’« Association internationale des fédérations d'athlétisme » régit les fédérations nationales d'athlétisme et organise les compétitions internationales.
  • 2. Unité CNRS/Université Côte d'Azur

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