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Journée des femmes: la véritable histoire du 8 mars

Journée des femmes: la véritable histoire du 8 mars

07.03.2014, par
Manifestation de femmes ouvrières en 1917, Petrograd
Les manifestations de femmes ouvrières qui se déroulent à Petrograd en 1917 amorcent la révolution russe.
La manifestation new-yorkaise censée être à l’origine de la Journée internationale des droits des femmes n’a... jamais eu lieu ! Retour sur ce mythe démasqué par l’historienne Françoise Picq.

Les origines de la Journée internationale des femmes, lancée en 1910, reposent en réalité sur un mythe. Françoise Picq, historienne, l’a « démasqué » dès la fin des années 1970 : « À l’époque, toute la presse militante, du PCF et de la CGT, comme celle des “groupes femmes” 1 du Mouvement de libération des femmes, relayée par les quotidiens nationaux, écrivait que la Journée des femmes commémorait le 8 mars 1857, jour de manifestation des couturières à New York. » Or cet événement n’a jamais eu lieu ! « Les journaux américains de 1857, par exemple, n’en ont jamais fait mention », indique Françoise Picq. Et il n’est même pas évoqué par celles qui ont pris l’initiative de la Journée internationale des femmes : les dirigeantes du mouvement féminin socialiste international.

Une itiniative du mouvement socialiste

Car c’est un fait, « c’est en août 1910, à la IIe conférence internationale des femmes socialistes, à Copenhague, à l’initiative de Clara Zetkin, militante allemande, qu’a été prise la décision de la célébrer », ajoute l’historienne. La date du 8 mars n’est pas avancée, mais le principe est admis : mobiliser les femmes « en accord avec les organisations politiques et syndicales du prolétariat dotées de la conscience de classe ». La Journée des femmes est donc l’initiative du mouvement socialiste et non du mouvement féministe pourtant très actif à l’époque. « C’est justement pour contrecarrer l’influence des groupes féministes sur les femmes du peuple que Clara Zetkin propose cette journée, précise Françoise Picq. Elle rejetait en effet l’alliance avec les “féministes de la bourgeoisie”. »

 

Clara Zetkin, enseignante, journaliste et femme politique allemande
C’est Clara Zetkin, une enseignante, journaliste et femme politique allemande, qui est la réelle instigatrice de la Journée internationale des femmes.
Clara Zetkin, enseignante, journaliste et femme politique allemande
C’est Clara Zetkin, une enseignante, journaliste et femme politique allemande, qui est la réelle instigatrice de la Journée internationale des femmes.

Quelques années plus tard, la tradition socialiste de la Journée internationale des femmes subit le contrecoup du schisme ouvrier lié à la IIIe Internationale. C’est en Russie que la Journée des femmes connaît son regain : en 1913 et en 1914, la Journée internationale des ouvrières y est célébrée, puis le 8 mars 1917 ont lieu, à Petrograd (aujourd’hui Saint-Pétersbourg), des manifestations d’ouvrières que les bolcheviques désignent comme le premier jour de la révolution russe. Une nouvelle tradition est instaurée : le 8 Mars sera dès lors l’occasion pour les partis communistes de mobiliser les femmes. Après 1945, la Journée des femmes est officiellement célébrée dans tous les pays socialistes (où elle s’apparente à la fête des mères !).

Les couturières new-yorkaises, un mythe né en 1955

Mais alors comment est né le mythe des couturières new-yorkaises ? « C’est en 1955, dans le journal L’Humanité, que la manifestation du 8 mars 1857 est citée pour la première fois », explique Françoise Picq. Et l’origine légendaire, relayée chaque année dans la presse, prend le pas sur la réalité. Pourquoi détacher le 8 Mars de son histoire soviétique ? « Selon l’une de mes hypothèses, poursuit-elle, Madeleine Colin, qui dirige alors la CGT, veut l’affranchir de la prédominance de l’UFF2 et du parti communiste pour qu’elle suive ses propres mots d’ordre lors du 8 Mars. La célébration communiste de la Journée des femmes était devenue trop traditionnelle et réactionnaire à son goût… » Et c’est pourquoi, en se référant aux ouvrières américaines, elle la présente sous un nouveau jour : celui de la lutte des femmes travailleuses…

À lire sur le même sujet : 
« Le long chemin vers l’égalité », supplément n° 242 (mars 2010) du Journal du CNRS dans lequel la version initiale de cet article a été publiée.
« Les salaires moindres des femmes ? C'est l'arbre qui cache la forêt »

 

Notes
  • 1. Ces groupes constituèrent la tendance « lutte des classes » du MLF.
  • 2. Organisation féminine dirigée par des communistes.
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Auteur

Stéphanie Arc

Diplômée de philosophie morale et politique à la Sorbonne, Stéphanie Arc est journaliste (CNRS Le journal, Science et Santé, Science et Vie Junior, Arts Magazine, Première…) et écrivaine. Elle travaille depuis 2005 sur les questions de genres et sexualités (Identités lesbiennes, en finir avec les idées reçues, 3e édition, 2015). Auteure d’un roman (Quitter Paris,...

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