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La folie tatouage

La folie tatouage

11.02.2015, par
Mis à jour le 04.03.2016
Epouse d'un tatoueur, Etats-Unis (1905). Le tatouage a fait l’objet d’un réel engouement en Angleterre et en Amérique à la fin du XIXe siècle.
Immense phénomène de mode de ce début de 21e siècle, le tatouage remonte en réalité au... Néolithique. L’anthropologue Sébastien Galliot revient sur l’histoire et la signification de ces marques corporelles.

On assiste à un vrai raz-de-marée du tatouage en Occident. A-t-on une idée de l’ampleur du phénomène ? Est-il vraiment nouveau ?
Sébastien Galliot1 : D’après les chiffres qui circulent, 20 % de la population française serait aujourd’hui tatouée, même si tous les tatouages ne sont pas aussi spectaculaires les uns que les autres : cela va du mini-papillon sur la nuque aux immenses pièces qui couvrent le torse ou les bras, par exemple. Hommes, femmes, jeunes, vieux, riches ou pauvres… Toutes les catégories de population sont concernées. Pour autant, ce n’est pas une pratique aussi nouvelle qu’on le croit en Occident : déjà, à la fin du XIXe siècle, le tatouage faisait l’objet d’un réel engouement en Angleterre et aux États-Unis, avec des pièces d’une grande qualité artistique. On le trouvait chez les populations classiquement tatouées comme les marins ou les marginaux, chez les francs-maçons, qui portaient des dessins de leur loge sur le corps, ou encore parmi les membres de l’aristocratie anglaise…

Otzi, l’homme des glaces, comptait lorsqu'on a découvert sa momie
61 marques sur tout le corps.

Mais le tatouage remonte à bien plus loin que cela : c’est une pratique qui a toujours été présente en Europe depuis le Néolithique, avec des périodes de plus ou moins grande visibilité. Otzi, l’homme des glaces qui a vécu il y a 5 300 ans, comptait lorsqu’on a découvert sa momie pas moins de 61 marques sur tout le corps ! La tribu gauloise des Ligures utilisait le tatouage, de même que les Pictes des îles britanniques ou les légionnaires romains… En revanche, on perd la trace de cette pratique au Moyen Âge, probablement parce que le christianisme, alors tout puissant dans la société européenne, interdisait explicitement les marques sur le corps.

Pourquoi se tatoue-t-on aujourd’hui ?
S. G. : À l’ère de l’individu, le tatouage est un mode d’appropriation de soi et un marqueur d’identité, avec le recours à des iconographies très personnalisées. Mais il va au-delà de la simple manifestation narcissique : c’est pour certains un moyen de marquer des étapes importantes de la vie, en célébrant, par exemple, un parent décédé, ou la naissance d’un enfant, ou encore d’affirmer son appartenance à un groupe. Un peu comme si on cherchait à recréer des rituels dans une société qui en est aujourd’hui dépourvue… Aux Samoa, l’archipel de Polynésie où j’ai fait mon terrain d’anthropologue, on voit d’ailleurs débarquer beaucoup d’étrangers en quête d’authenticité et de « ritualisation » du tatouage. Pour autant, il ne faut pas croire que ces sociétés sont figées dans des pratiques ancestrales. Les tatouages d’Asie et du Pacifique ont autant irrigué la pratique occidentale actuelle qu’ils ont été influencés en retour.

Dermographes et techniques antimicrobiennes n'ont pas mis longtemps à être adoptés par les sociétés polynésiennes (ici, à Moorea).
Dermographes et techniques antimicrobiennes n'ont pas mis longtemps à être adoptés par les sociétés polynésiennes (ici, à Moorea).

Comment s’effectuent ces échanges entre Asie-Pacifique et Occident ?
S. G. : Dès le début des années 1980, les grands noms du tatouage occidental se sont rendus en Orient et en Océanie et en ont ramené des savoir-faire et des motifs. Très inspiré par le Japon, l’Américain Don Ed Hardy est l’un des premiers à avoir introduit l’orientalisme dans le tatouage, ce qui a beaucoup fait pour la notoriété de cette pratique jusqu’alors réservée aux militaires, aux marginaux ou aux classes populaires. Le fameux tatouage « tribal », composé de longs aplats noirs curvilignes, est lui dérivé de motifs de Bornéo et de Micronésie. Mais les voyages ne sont pas à sens unique. Très vite, des résidences d’artistes à Hawaï ou à San Francisco ont permis d’accueillir les tatoueurs venus d’Asie. Ces interactions se font clairement sentir aux Samoa ou à Tahiti, où les techniques antimicrobiennes venues d’Occident ont été adoptées : désinfection du matériel, utilisation de gants en latex… Sans parler des innovations développées par les tatoueurs stars pour démultiplier les possibilités de leur art et qui irriguent la planète tout entière.

De quelles innovations parle-t-on dans cette pratique plusieurs fois millénaire ?
S. G. : Le tatouage consiste à introduire de l’encre sous le derme au moyen d’une aiguille afin de réaliser des motifs permanents. Pour cela, différentes techniques ont été imaginées à travers les âges et les continents : l’utilisation d’aiguilles et de fil enduit de pigment, le tatouage par percussion, toujours utilisé en Asie du Sud-Est et qui consiste à taper avec un petit marteau sur un percuteur pour faire entrer des pointes sous la peau... Encore aujourd’hui, la technique continue d’évoluer. Les dermographes, ces stylets électriques utilisés dans les salons de tatouage, sont ainsi capables de piquer la peau 150 fois par seconde !

Aujourd’hui, les tatoueurs ont les moyens de faire un Picasso si vous le leur demandez !

Certains tatoueurs comme le Français Filip Leu ont même imaginé des systèmes permettant d’attacher plusieurs aiguilles ensemble afin de couvrir des zones plus larges. Ajoutez à cela que la palette des pigments s’est considérablement enrichie… Aujourd’hui, les tatoueurs qui ont une véritable pratique artistique ont les moyens de faire un Picasso si vous le leur demandez !.

 

 

Notes
  • 1. Sébastien Galliot est chercheur au Centre de recherche et de documentation sur l’Océanie (Credo, unité CNRS/EHESS/Univ. Aix-Marseille), à Marseille.

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du journal CNRS