Donner du sens à la science

Exploration de Mars : l’échec n’est pas une option

Exploration de Mars : l’échec n’est pas une option

16.02.2021, par
Dans ce billet publié en partenariat avec Libération, l’astrophysicien Sylvestre Maurice, coresponsable de l’instrument SuperCam, retrace les grandes étapes de la course à l'exploration martienne et évoque l’avenir. Entre défis technologiques et enjeux politiques, la science profite de cette compétition acharnée qui continue de faire rêver des peuples entiers.

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Nous vivons une époque formidable ! À la suite de l’arrivée des sondes Hope et Tianwen, huit véhicules sont aujourd’hui en orbite et opérationnels autour de Mars, du jamais vu. À la surface de la planète rouge, Curiosity et Insight sont toujours affairés, peut-être même impatients d’accueillir deux nouveaux rovers, Perseverance le 18 février et celui de Tianwen en avril prochain.

(...) il y avait bien de l’eau liquide il y a plus de 3,5 milliards d’années et les conditions physico-chimiques locales rendaient Mars habitable.

Quelle Armada ! Toutes les grandes puissances spatiales veulent en être : les États-Unis d’abord, puis l’Europe, la Russie, l’Inde, et maintenant la Chine. Les Japonais peaufinent leur propre mission pour 2024. Ces nations qui ensemble lancent plus de cent fusées chaque année se donnent rendez-vous sur Mars. Les Émirats arabes unis, prescripteurs du projet Hope, font figure d’exception (dans le détail, on découvre qu’ils ont construit leur satellite dans le Colorado et ont confié son lancement aux Japonais), mais l’effort reste louable.

Mars fait consensus. Trophée de suprématie nationale pour les politiques, champ d’expérimentations technologiques pour les industriels, source d’émerveillement pour les peuples qui suivent avec une étonnante ferveur l’aventure des robots, la planète rouge représente la plus belle quête pour les scientifiques qui, eux, cherchent méthodiquement si les Martiens existent ! Pas d’angélisme pour autant, la compétition entre nations fait rage, les financements sont toujours difficiles à trouver et la peur de l’échec est dans l’esprit de chacun.

Trois grandes phases d'exploration

Revenons à la Science de Mars. Tous les projets ne furent pas nécessairement coordonnés, mais trois phases se dégagent très clairement : la recherche d’eau liquide, la caractérisation de l’habitabilité passée de Mars et la recherche de traces de vie. Les deux premières étapes sont acquises : il y avait bien de l’eau liquide il y a plus de 3,5 milliards d’années et les conditions physico-chimiques locales rendaient Mars habitable. Bien sûr il nous faut encore préciser la quantité d’eau qui était présente, la durée de cette période d’habitabilité et surtout les mécanismes précis qui la firent sortir de cette zone de confort. Dans les grandes lignes, la petite taille de Mars a dû jouer contre elle : très vite son cœur s’est refroidi, son champ magnétique a disparu et le vent du Soleil a balayé presque toute son atmosphère. La planète devenait aride et froide, un désert minéral à perte de vue tel qu’on le connaît aujourd’hui.

Illustration de l'entrée dans l'atmosphère martienne du rover Perseverance, avec son parachute. Lancé en juillet 2020, Perseverance se posera le 18 février sur le cratère Jezero situé au nord de l’équateur de la planète rouge, après un voyage de 7 mois.
Illustration de l'entrée dans l'atmosphère martienne du rover Perseverance, avec son parachute. Lancé en juillet 2020, Perseverance se posera le 18 février sur le cratère Jezero situé au nord de l’équateur de la planète rouge, après un voyage de 7 mois.

Rappelons qu’à l’époque où Mars avait de l’eau liquide, la Terre lui ressemblait. Plus grosse, un peu plus près du Soleil, son destin fut heureusement bien différent ! Mais de cette chance – qui nous engendra – naît une difficulté pour les scientifiques : la Terre a une très mauvaise mémoire, l’érosion du vent, de l’eau, la tectonique des plaques ont tout effacé… Il ne reste presque rien de ce premier milliard d’années qui vit apparaître la Vie. Ainsi le « pitch scientifique » de l'exploration de la planète rouge prend encore plus d’envergure : étudier sur Mars l’histoire oubliée de la naissance de la vie sur Terre.

La troisième phase est enclenchée : chercher des traces de vie, et plus précisément des biominéraux qui auraient gardé le souvenir d’organismes vivants très simples, monocellulaires, des microbes martiens.

Avec une telle mission, les scientifiques ne doivent pas échouer. La troisième phase est enclenchée : chercher des traces de vie, et plus précisément des biominéraux qui auraient gardé le souvenir d’organismes vivants très simples, monocellulaires, des microbes martiens. Mais cette recherche est difficile. Les instruments envoyés sur Mars sont des concentrés de technologies de quelques kilogrammes, mais ne peuvent rivaliser avec ce qui se fait sur Terre, où les instruments occupent des laboratoires entiers, d’où l’idée de collecter des échantillons, le Graal du planétologue, et les rapporter sur Terre pour les mettre à l’épreuve de ces grands instruments. Donnez à un géochimiste un caillou extraterrestre, et il vous dira tout de son origine et son évolution, et s'il a bien rencontré la vie.

Exploration in situ et retour d'échantillons

C’est ainsi que la dernière mission de la Nasa, la plus perfectionnée, est aussi la première mission du programme de retour d’échantillons de Mars. Perseverance sélectionnera et préparera des échantillons (moins d’un kilogramme) qui seront rapportés sur Terre en 2031 par deux missions organisées conjointement par la Nasa et l’ESA (l’agence spatiale européenne). Les défis technologiques sont nombreux, en particulier le décollage d’une fusée depuis la surface de Mars. Mais l’échec n’est pas une option ! Tant espérés, les scientifiques du monde entier attendent ces nouveaux trésors de l’humanité.

Déposé en douceur par le Sky Crane, Perseverance touche le sol de Mars. (Illustration)
Déposé en douceur par le Sky Crane, Perseverance touche le sol de Mars. (Illustration)

Car nous sommes à un instant décisif de la science de Mars. L’exploration in situ est à son apogée. Nous pouvons continuer indéfiniment : il y a tant de sites géologiques à explorer. On peut imaginer des drones lourds, des forages profonds. Mais soyons réalistes, il devient de plus en plus difficile de motiver nos politiques et le public. Le retour d’échantillons est bien le nouvel Eldorado, il prend la place de l’exploration in situ qui risque de se retrouver très vite en manque de nouvelles missions. En plus du programme de la Nasa et l’ESA, les Japonais veulent un morceau de Phobos, le satellite de Mars, et les Chinois ont leur propre programme de retour.  
 

Le retour d’échantillons est bien le nouvel Eldorado, il prend la place de l’exploration in situ qui risque de se retrouver très vite en manque de nouvelles missions.

Que donneront les analyses de ces échantillons dans dix-quinze ans ? Si elles répondent que Mars n’a jamais développé la vie, c’est un résultat en soi. Ce n’est pas celui qu’on préfère, mais en la matière, nous ne sommes que les observateurs de la nature. On pourra toujours dire qu’il faut essayer un autre site, aller plus profond, etc., mais cela marquera peut-être la fin de l’exploration robotique de Mars pour un temps.

On se souvient d’ailleurs qu’après les missions Viking (1975), et une certaine désillusion quant aux résultats d’alors, plus une mission ne repartit vers Mars pendant près de deux décennies. Deuxième scénario : les analyses ne savent que conclure, c’est bien ennuyeux. Oui les traces de vie sont nécessairement ténues, mais ne pas savoir est la pire des réponses, car on ne voit pas bien ce qu’on pourrait faire de plus. Enfin, si elles révèlent des traces de vie, bingo ! Notre vision de l’Univers change : la vie est partout ! On est en droit de penser à de nouvelles missions, peut-être même un autre retour d’échantillons.

La voie des vols habités est la seule qui nous projette au-delà de 2030. 

Le succès du retour d’échantillons constitue aussi sans doute un prérequis à la dernière voie, celle dont rêve le grand public sans forcément connaître les verrous technologiques colossaux à débloquer : marcher sur Mars. Les agences ne sont pas contre, à condition de repasser par la Lune d’abord. 

Mais la science ne sera pas le moteur de ce nouvel élan vers Mars, pas plus qu’elle ne le fut au moment des missions Apollo. La science de Mars sera un passager clandestin, une opportunité que la communauté scientifique ne manquera pas d’exploiter. La voie des vols habités est la seule qui nous projette au-delà de 2030.

Ce sera peut-être là le nouveau paradigme de la discipline : soutenir le programme humain pour que la science de Mars perdure. La communauté martienne a été bien servie ces vingt dernières années, et je pense qu’elle a fait bon usage des moyens qui ont été mis à sa disposition. Pour que la dynamique se poursuivre, l’exploration scientifique doit être innovante, excitante, et peut-être dramatique.

Go Perseverance. Go Mars. ♦

 
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur(s) auteur(s). Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
   
   
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La recherche à la conquête de Mars (dossier)
 

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