Donner du sens à la science

Ils ont identifié les cendres du Big Bang

Ils ont identifié les cendres du Big Bang

18.10.2016, par
Mis à jour le 13.10.2023
Le fils du célèbre astrophysicien Hubert Reeves a annoncé son décès ce vendredi 13 octobre. En 2016, il rendait hommage à une équipe de physiciens du CNRS qui a joué dans les années 1960 un rôle majeur mais méconnu dans la théorie du Big Bang.

Quelle est l’origine des éléments chimiques dans l’Univers ? Le problème a été posé et largement résolu dans la seconde moitié du XXe siècle. Auparavant, la découverte de la force nucléaire – par Henri Becquerel, Marie Curie, Enrico Fermi et d’autres – avait permis d’aborder le problème de la transmutation des éléments chimiques les uns dans les autres. Un peu comme dans les rêves des alchimistes, dans lesquels le plomb se transforme en or…

Mais la recette a véritablement été obtenue quand on a compris que cette transformation pouvait se produire spontanément dans des endroits très chauds. Dans les années 1950, l’astronome anglais Fred Hoyle fut ainsi le premier à localiser la synthèse des noyaux atomiques – la nucléosynthèse – à l’intérieur des étoiles. L’étape suivante consistait à identifier les familles d’étoiles (géantes rouges, supernovæ, etc.) génératrices des différents éléments de la table de Mendeleïev : fer, carbone, oxygène, plomb, uranium, etc.

À la recherche des propriétés des isotopes

William Fowler, du  California Institute of Technology, a joué un rôle important dans cette vaste enquête. En 1962, lors d’un séminaire au Goddard Institute For Space Studies de la Nasa, il présente un bilan des progrès effectués.

J’ai entrepris une tournée des laboratoires. La réponse était toujours la même : «Oui, ce projet nous intéresse mais nous ne pouvons pas nous impliquer.»

Il apparaît alors que, pour tous les éléments chimiques lourds, du carbone jusqu’à l’uranium, une explication satisfaisante avait été trouvée. Mais aucun scénario crédible n’avait été présenté pour les isotopes légers : deutérium, hélium léger, lithium, béryllium, bore…

Il était notoire que la cause de ce manque était directement reliée à l’absence de données nucléaires sur les propriétés de ces noyaux. La connaissance de ces propriétés exigerait, en effet, des expériences étalées sur au moins dix ans.
À cette époque, fort de ces informations, j’ai entrepris une tournée des laboratoires de physique aux États-Unis, au Canada et en Union soviétique, pour plaider cette cause. La réponse était toujours la même : « Oui, ce projet nous intéresse mais nous ne pouvons pas nous impliquer dans  un processus d’expériences aussi prolongé sans risquer de perdre les subventions,  faute de résultats avant un aussi long temps ». Autrement dit : « Publish or perish ».

C’est alors que j’ai rencontré René Bernas, qui dirigeait un groupe de chercheurs1 au Laboratoire de physique nucléaire d’Orsay. Venu assister à Bruxelles à une leçon que je donnais et où j’avais développé mon plaidoyer, il m’apprit que son laboratoire avait entrepris ces expériences depuis cinq ans déjà.

Les résultats, obtenus dans les années suivantes grâce à des spectromètres de masse à Orsay et au CERN, ont été à la hauteur des attentes. Grâce à eux, il a été possible d’identifier l’origine de la plupart de ces isotopes légers dans le bombardement de la matière interstellaire par le rayonnement cosmique galactique.

Vue aérienne du centre universitaire d'Orsay au milieu des années 1950. On distingue en bas à gauche le Laboratoire de physique nucléaire, où travaillait l'équipe de René Bernas. En vignette, un spectromètre de masse installé au sein du Centre de spectrométrie nucléaire et de spectrométrie de masse.
Vue aérienne du centre universitaire d'Orsay au milieu des années 1950. On distingue en bas à gauche le Laboratoire de physique nucléaire, où travaillait l'équipe de René Bernas. En vignette, un spectromètre de masse installé au sein du Centre de spectrométrie nucléaire et de spectrométrie de masse.

Une confirmation majeure de la théorie du Big Bang

Seul le lithium-7 continuait à poser problème, réclamant une source différente. La nucléosynthèse primordiale, au moment du Big Bang, paraissait l’origine la plus vraisemblable. Cette hypothèse a ensuite été indirectement confirmée par les observations des astronomes français Monique et François Spite de l’Observatoire de Meudon sur les étoiles les plus anciennes. Celles-ci suggéraient que la formation des atomes de lithium était antérieure à celle de la galaxie. Or les modèles numériques du refroidissement de l’Univers après le Big Bang prévoient l’existence de cendres du Big Bang sous forme de deutérium, d’hélium et de lithium-7. Par la suite, les observations dans l’Univers ont quantitativement confirmé cette prédiction.

Les résultats d’Orsay ont ainsi  joué un rôle fondamental dans l’établissement et la crédibilité du Big Bang, théorie confortée par l’observation du mouvement des galaxies (l’expansion de l’Univers) puis la détection du  rayonnement fossile (en 1964, par les radioastronomes Arno Penzias et Robert Wilson). Les résultats des mesures « Orsay », corrélées aux valeurs observées des populations de ces isotopes dans l’Univers, furent rapidement considérées comme des confirmations majeures de la théorie du Big Bang.

Notons le rôle très positif du CNRS dans cette histoire. Sa politique de fonctionnement de l’époque a permis la réalisation de longues et patientes expériences de spectromètres de masse pour parvenir à ces résultats tant attendus.
            
        
        
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

Notes
  • 1. Élie Gradsztajn, Robert Klapisch, Marcelle Epherre, Françoise Yiou, Catherine Thibaud et Grant Raisbeck.

À lire / À voir

« Je n'aurai pas le temps. Mémoires », Hubert Reeves, Seuil, coll. « Points », 2012, 368 p., 8,50 €

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du journal CNRS