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Imaginer une autre évolution de la vie sur Terre

Imaginer une autre évolution de la vie sur Terre

31.03.2016, par
Notre monde vivant est-il juste une alternative parmi tant d’autres ? Au vu des nombreux événements qui se sont répétés au cours de l’histoire de la vie sur Terre, la biologiste Virginie Orgogozo, lauréate du prix de la «Jeune femme scientifique de l’année 2014», s’interroge sur les autres voies qu’aurait pu prendre l’évolution.

Une fois par mois, retrouvez sur notre site les Inédits du CNRS, des analyses scientifiques originales publiées en partenariat avec Libération.

    

Sans le hasard, vous ne seriez pas en train de lire cet article

Vingt ans après, je repense à ce que j’ai appris pendant mes études. À l’époque, on nous expliquait – et on le fait encore aujourd’hui – que notre planète Terre avait suivi une évolution désordonnée imprévisible, et que l’existence de telle ou telle espèce était tout simplement fortuite. Il semblait évident que, si les conditions avaient été légèrement modifiées, alors aurait évolué sur la Terre un monde vivant radicalement différent. Effectivement, il paraissait naturel de penser que, si une météorite n’avait pas frappé la surface de la Terre il y a 65 millions d’années, les dinosaures n’auraient pas disparu brutalement et vous ne seriez pas en train de lire cet article aujourd’hui. N’en déplaise à mon émerveillement pour les organismes vivants, il fallait admettre que la trajectoire de la vie sur Terre avait été extrêmement sensible aux conditions initiales.
 

Imaginer une autre évolution de la vie
La chute sur Terre d’une météorite de dix kilomètres de diamètre aurait joué un rôle majeur dans l’extinction des dinosaures il y a 65 millions d’années.
Imaginer une autre évolution de la vie
La chute sur Terre d’une météorite de dix kilomètres de diamètre aurait joué un rôle majeur dans l’extinction des dinosaures il y a 65 millions d’années.

Observer et expérimenter pour comprendre à quel point nous serions différents

Bien sûr, si on rembobinait le film de la vie sur Terre et qu’on le relançait en changeant légèrement le début, les êtres vivants seraient forcément dissemblables à ce que nous connaissons. Mais plutôt que de se demander si la vie serait différente, il me semble plus pertinent de chercher à savoir à quel point elle serait différente. Nous n’avons à disposition qu’un seul exemple d’histoire de la vie sur la Terre, donc comment pouvons-nous être sûrs que des conditions initiales différentes auraient conduit à des formes de vie tout à fait extravagantes ? L’idée toute simple que je voudrais avancer ici est que nous ne savons pas à quel point la vie sur Terre aurait été différente avec d’autres conditions initiales. En partant de cette hypothèse, il devient alors envisageable de faire des expériences et des observations pour essayer de lever le voile sur cette affaire.

À des moments et à
des endroits divers,
des formes de vie
semblables
se sont parfois
échafaudées
de manière
indépendante.

L’examen minutieux de notre passé révèle qu’à des moments et à des endroits divers, des formes de vie semblables se sont parfois échafaudées de manière indépendante. Ainsi, on rencontre dans les milieux enneigés divers animaux de coloration blanche, dans les milieux aquatiques des corps en forme de poisson et, en Australie des marsupiaux qui ressemblent aux écureuils volants d’Amérique. Les nombres sont surprenants : la photosynthèse en C4 – un métabolisme particulier qui permet aux plantes de mieux affronter la sécheresse – est apparue indépendamment plus de 60 fois, les yeux plus de 45 fois et les rats-taupes aux yeux atrophiés et aux pattes fouisseuses plus de 20 fois. Si le processus évolutif était totalement aléatoire et extrêmement sensible aux conditions initiales, on ne devrait pas observer tant de répétitions.

Le paradoxe de l’évolution répétée malgré des phénomènes sous-jacents aléatoires

Les données récentes de la biologie indiquent que l’évolution se répète aussi au niveau des gènes et des mutations. Dans des expériences d’évolution expérimentale (où on laisse évoluer des êtres vivants dans un environnement choisi et on répète cette même expérience plusieurs fois), on a pu observer le déploiement des mêmes mutations de façon indépendante. Aussi l’évolution répétée du même caractère chez diverses espèces est-elle souvent causée par des mutations dans le même gène. Par exemple, l’adaptation à une nourriture riche en amidon à la suite du développement de l’agriculture s’est accompagnée de mutations dans les mêmes familles de gènes chez l’homme et chez le chien.

Aujourd’hui, nos connaissances ont tellement avancé qu’on peut même deviner les gènes qui ont muté au cours de l’évolution. Ainsi, on peut prédire qu’une plante résistante à l’herbicide imidazolinone a de grandes chances d’avoir une mutation dans le gène ALS. Toutes ces répétitions au cours de l’histoire de la vie suggèrent que l’évolution n’est pas aussi dépendante des conditions initiales que ce qu’on aurait pu croire.

Imaginer une autre évolution de la vie
Vue de la «caravane des animaux de la savane africaine» de la Grande Galerie de l’évolution du Muséum national d’histoire naturelle, à Paris.
Imaginer une autre évolution de la vie
Vue de la «caravane des animaux de la savane africaine» de la Grande Galerie de l’évolution du Muséum national d’histoire naturelle, à Paris.

Comment un phénomène qui résulte de nombreux processus aléatoires (mutations, rencontres des ovules et des spermatozoïdes, accidents météorologiques, etc.) peut-il être prédictible ? C’est un peu comme un confiseur qui évalue le nombre de boîtes de chocolats qui seront achetées en fonction du mois de l’année alors qu’il ne connaît pas le comportement individuel de chacun des habitants de son quartier. Le temps, en cumulant les effets des processus aléatoires brefs, peut faire émerger des tendances prédictibles. Même si les mutations surviennent de façon imprévisible, celles qui subsistent dans les populations pendant de longues échelles de temps et qui sont responsables de changements évolutifs entre espèces peuvent être pronostiquées. Concernant l’évolution des caractères visibles des êtres vivants, l’enjeu est alors de trouver de nouveaux concepts généraux pour la prédire.

Réinventer d’autres mondes en partant du nôtre

La recherche en biologie fondamentale s’articule autour de deux interrogations : comment et pourquoi le vivant est-il ainsi ? Traditionnellement, la question du pourquoi a consisté à se demander pourquoi telle structure vivante existe alors qu’elle aurait pu ne pas voir le jour. Depuis quelques années, on voit se dégager un nouveau type de questionnement : pourquoi ce système vivant est-il apparu et pas un autre ? Les biologistes se mettent à imaginer d’autres mondes possibles.

Si les dinosaures
n’avaient pas
disparu, une
intelligence proche
de la nôtre aurait
peut-être évolué
quand même.

Pour les séquences d’ADN, c’est relativement simple : on peut envisager toutes les compositions possibles des quatre lettres A, C, G et T. Pour les caractères visibles, c’est plus compliqué. Il y a au moins trois façons d’imaginer d’autres mondes vivants : on peut faire varier un paramètre (nombre de bras, constante de gravité), combiner des traits de caractère (un reptile avec des ailes de chauve-souris) ou bien transférer une propriété du domaine non vivant au vivant (des organismes qui se déplaceraient sur quatre roues). Quoi que l’on fasse, on a toujours besoin de partir de notre monde pour en inventer d’autres. Trouver les divers chemins qui étaient accessibles à l’évolution n’est donc pas une mince affaire.

En résumé, la trajectoire évolutive du vivant n’est pas aussi sensible aux conditions initiales que ce que l’on croyait dans les années 1990. Si les dinosaures n’avaient pas disparu, une intelligence proche de la nôtre aurait peut-être évolué quand même. Faut-il rechercher des créatures à yeux et à cerveau sur ces milliers d’exoplanètes qui pourraient abriter la vie ? Aujourd’hui, la biologie se penche sur la question et elle pourrait nous apporter bientôt des éléments de réponse.

              
                  
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

Commentaires

3 commentaires

J'aimerais soumettre aux spécialistes une question de fond à propos de l'évolution, qui appuierait les notions présentées dans cet article : pourrait-on soutenir qu'elle privilégie presque mécaniquement les capacités d'autonomie individuelle des organismes? Ce serait un avantage, puisque ils pourraient ainsi développer des réponses plus variées aux défis de l'environnement, et donc mieux garantir la survie de l'espèce. L'idée semble corroborée par le développement continu des systèmes nerveux, de plus en plus complexes et efficaces, ouvrant à chaque étape des perspectives de plus en plus différenciées pour chaque individu, et donc plus "adaptatives". Et si cette tendance existe, pourrait-on en déduire que l'apparition d'une forme d'intelligence telle que l'humain la connaît, et qui lui confére une capacité d'autonomie individuelle inégalée, était inéluctable dès l'apparition des cnydères à la suite des éponges?? C'est brutalement résumé de la sorte, et demanderait à l'évidence beaucoup de développements, mais je me demande souvent où trouver des références qui iraient dans ce sens...

@Julien Galland Le problème majeur de votre raisonnement, c'est que le monde biologique ne vérifie absolument pas votre postulat de départ. Si on observe bien la Nature, on ne peut pas raisonnablement soutenir que "l'évolution privilégie presque mécaniquement les capacités d'autonomie individuelle des organismes". Par exemple, le parasitisme et le commensalisme, qui sont un peu le contraire de l'autonomie, sont très répandus dans le monde vivant. Idem pour les insectes sociaux pour lesquels l'évolution a privilégié une hyperspécialisation des individus au prix d'une dépendance totale de ces mêmes individus à l'égard de leur "collectivité". Sans compter les mitochondries et les plastes, anciennes bactéries "libres" et autonomes, et qui, moyennant la perte de toute autonomie et de la quasi-totalité de leurs gènes, ont définitivement élu domicile à l'intérieur des cellules eucaryotes.

@JulienGalland: probablement des éléments de réponse dans les travaux de James Baldwin: https://brocku.ca/MeadProject/Baldwin/Baldwin_1896_h.html Quant-au contenu de l'article, je ne crois pas qu'il a été démontré que l'évolution était un processus chaotique sensible aux conditions initiales (au sens de la théorie des trois corps de Poincarré). Les trouvailles des anciennes générations pourront diriger l'évolution (il y aura donc une certaine sensibilité aux conditions initiales) mais il ne faut pas oublier qu'elle sélectionne pour l'adaptation aux contraintes environnementales, dont il ne faut jamais oublier qu'elles évoluent dans le temps (c'est un problème d'optimisation adaptatif). D'autre part, il faut aussi tenir compte d'une co-évolution (proie-prédateur) qui fait que si, à un moment donné, c'est un avantage de détecter la lumière, l'évolution sélectionnera les individus détectant le mieux la lumière (proie et prédateurs). Et suivant ce qu'est capable de faire la chimie et la biologie en matière de détection de lumière, des principes similaires seront sélectionnés (car basés sur une même physique, chimie et biologie) et pourront apparaître dans des espèces différentes sans relation entre elles. Bref, si elle existe, la sensibilité aux conditions initiales est limitée par la sélection des individus les mieux adaptés aux contraintes environnementales (qui sont les mêmes pour les individus d'un même écosystème). Ce n'est pas une sensibilité aux conditions initiales au sens du chaos déterministe.
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