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Pourquoi Internet doit rester neutre

Pourquoi Internet doit rester neutre

05.07.2018, par
Principe fondateur d'Internet, la neutralité du Net a cessé d'être appliqué aux États-Unis depuis le mois de juin. En France, au contraire, des parlementaires tentent à nouveau de l'inscrire dans la Constitution. Le spécialiste Serge Abiteboul nous indique pourquoi ce principe d'égalité d'accès aux données en ligne est précieux et indispensable pour garantir la liberté de chacun.

Internet est à la base de toute notre économie et de notre société. La neutralité du Net établit l’égalité de traitement de tous les flux de données sur Internet. Selon ce principe, il est exclu de discriminer ces données suivant la source, la destination ou le contenu de l’information transmise sur le réseau. Un fournisseur d’accès Internet ne doit pas, par exemple, bloquer ou même ralentir les vidéos YouTube (discrimination négative) ni proposer des accès hors forfait à Facebook quand d’autres services en sont exclus (discrimination positive).

Un principe fondamental récemment contesté

Depuis ses débuts dans les années 1980, Internet s’est bâti sur le principe de neutralité. Ce principe s’appuie sur un présupposé, une partie intégrante de notre imaginaire depuis la création d’Internet : ce réseau connecte tous les humains, leurs entreprises, leur société, et, en cela, il est un bien commun au service de tous. C’est le principe qu’« Internet est un droit fondamental » qui sous-tend la loi pour une République numérique de 2016, ou la loi européenne. C’est cette vision qui est contestée quand, par exemple, Ajit Pai, président de la FCC (Commission fédérale des communications des États-Unis), a remis en cause en décembre 2017 les dispositions qui garantissaient la neutralité du Net aux États-Unis (Open Internet Order) pour aboutir à abroger la neutralité du Net aux États-Unis le 11 juin dernier. Cette neutralité est bien au centre d’un conflit économique et politique international.

La logique des fournisseurs d’accès

Le transport de données numériques exige de la part des fournisseurs d’accès à Internet (FAI) – comme Orange ou Free en France – des infrastructures importantes. Il faut des serveurs, des communications entre eux et jusqu’à l’utilisateur final. Les utilisateurs paient pour leur accès Internet. Sur les grandes distances, les pure playersFermerexpression désignant les entreprises exerçant uniquement sur Internet. d’Internet participent aussi aux coûts de transport de leurs données en installant leurs propres réseaux ou en s’appuyant sur des serveurs de « cache ». Par exemple, plutôt que des milliers de Français téléchargent la même vidéo de Netflix aux États-Unis, cette vidéo va être stockée sur un cache en France et sera ainsi accessible plus rapidement.

Ces FAI ont deux raisons principales de vouloir contourner cette neutralité : la qualité et les profits.
D’abord, la qualité. Il s’agit de pouvoir offrir des services de haute qualité comme la télémédecine. Il faut noter que les usages très sensibles à la qualité de service préfèrent typiquement se développer hors du cadre d’Internet. Une opération à cœur ouvert, ou la conduite d’une voiture autonome exigent des contraintes de temps réel peu compatibles avec la technologie actuelle de ce réseau basée sur une transmission en « best effort » (la meilleure possible) dans un réseau grand public. Pour que d’autres applications ne soient pas perturbées, il est tentant de ralentir par moments – voire de bloquer – certains usages intensifs, comme la vidéo à la demande. Mais la systématisation de telles pratiques risque surtout pour les FAI d’être une excuse pour ne pas investir dans des réseaux plus performants.

Ensuite, les profits. Le but des FAI est de développer de nouveaux modèles économiques en donnant une priorité de transport à certains utilisateurs ou certains services contre rémunération. Dans ce cadre, elles peuvent par exemple offrir à des clients des services « premium », un Internet plus rapide, s’ils paient plus. Elles peuvent aussi souhaiter demander aux fournisseurs de contenus de payer pour que leurs données soient transportées plus efficacement sur le réseau. Ce second point est vraiment le cœur du sujet car il n’est évidemment pas absurde pour les entreprises que sont les FAI de vouloir augmenter leurs profits.
Pourquoi la loi devrait-elle intervenir dans de tels sujets de nature, en apparence, purement commerciale ? Par exemple, pourquoi la loi devrait-elle prendre la défense de géants américains du Net, les Facebook ou Google, en interdisant à un FAI local d’exiger qu’ils participent aux frais de transport de leurs données ? Car il faut peser les enjeux !

Une concurrence sereine

Le principe de neutralité d’Internet est précieux parce qu’il établit une aire de jeu sereine et ouverte à la concurrence. C’est elle qui a fait le succès d’Internet et permis l’éclosion d’entreprises parties de rien pour devenir des géantes. Sur Internet, tous sont égaux.

Imaginons ce qu’Internet deviendrait sans cette neutralité. Un FAI pourrait exiger d’une grande entreprise de musique en ligne le paiement de « marges arrière ». Mais qui nous garantit que cette entreprise n’imposerait pas d’inclure dans le marché le bannissement d’une entreprise de musique en ligne concurrente ? Les plus gros écraseraient les plus petits. Internet se transformerait rapidement en une jungle économique, et il n’est même pas évident qu’à terme, nos FAI européens en bénéficieraient.
 

Manifestation à Washington, le 27 février 2018, contre la fin de la neutralité du Net aux États-Unis. La mesure, votée en décembre, est devenue effective le 11 juin 2018.
Manifestation à Washington, le 27 février 2018, contre la fin de la neutralité du Net aux États-Unis. La mesure, votée en décembre, est devenue effective le 11 juin 2018.

Les libertés de choix

Il s’agit d’abord de garantir la liberté de chacun. Supposons que je veuille un service de télévision en OTTFermerL’over-the-top service est un service de livraison d’audio, de vidéo et d’autres médias sur Internet sans passer par un opérateur de réseau traditionnel (une compagnie de câble, de téléphone ou de satellite) qui contrôle ou distribue le contenu. et que mon service d’accès à Internet ait choisi d’en privilégier un autre. Que dois-je faire ? Changer de service de télévision ? d’accès à Internet ? Mes choix se réduisent. Ma vie se complique. On peut même craindre que mon FAI aussi n’influence mes opinions en choisissant à quelles informations m’exposer. Et que dire si je veux diffuser une information et que mon FAI décide qu’elle ne lui plaît pas ? Ma liberté d’expression s’est évaporée avec ma liberté de choix.

Cette question de la neutralité du réseau est une belle source de problèmes de recherche. Comment spécifier formellement une telle neutralité ? Comment la mesurer ? Même mesurer plus simplement les performances d’un réseau est un défi quand ce qu’on observe dépend de tant de critères : le terminal utilisé, son environnement, le serveur visé, etc. Il existe de nombreux dispositifs commerciaux de mesure de la qualité du réseau, tels que Speedtest. Des équipes de recherche en proposent d’autres, comme le système Acqua d’Inria. Les écarts observés entre les mesures montrent que des recherches sont encore bien nécessaires.

Pour conclure, soulignons que la question ne se limite pas à la seule neutralité des réseaux : à quoi sert cette neutralité si à un bout, les terminaux d’accès, ou à l’autre, les services Web, en position d’oligopoles, brident la concurrence entre services et les libertés de choix. Cela conduit à d’autres sujets, d’autres principes, ceux de la neutralité des terminaux et des plateformes. Ce sont de telles questions qui sous-tendent les propositions d’une Charte du numérique, et de modification de la Constitution, soutenues par des parlementaires français.
 

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

Commentaires

1 commentaire

Je vous cite :¨Principe fondateur d'Internet, la neutralité du Net a cessé d'être appliqué..." : appliqué avec un "e" à la fin. Au CNRS, s'il-vous-plaît, écrivez un français exempt de fautes d'orthographe. De l'erreur orthographique on glisse vers la faute de syntaxe en dérapant pour finir sur des fautes de sens. Circulent déjà de nombreux écrits qui sont maladroits au mieux, incompréhensibles au pire. Merci.
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