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Traitement contre le Covid-19 : faudra-t-il payer le prix fort ?

Dossier
Paru le 02.03.2022
La société face au Covid-19

Traitement contre le Covid-19 : faudra-t-il payer le prix fort ?

11.06.2020, par
Dans les pays où le secteur public finance une grande partie de la recherche fondamentale et distribue au secteur privé des aides, l'État pourrait exiger, en échange, des prix modérés pour les médicaments issus de ces recherches. C'est l'analyse d'Izabela Jelovac, directrice de recherche au Groupe d’analyse et de théorie économique Lyon-St Étienne.

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Les ravages du Covid-19 sont énormes. À ce jour, on estime à plus de 29 000 les morts en France et à plus de 416 000 ceux dans le monde. Nous venons de vivre en France un confinement de 55 jours qui a engendré ralentissement économique, chômage, précarité, violences domestiques, troubles psychologiques, etc. Face à l’ampleur des dégâts, les retombées médicales, économiques et sociales d’un médicament (traitement ou vaccin) contre la maladie seraient considérables. Il permettrait en effet d’éviter de multiplier dans le temps cette somme de dégâts. Cela signifie-t-il que la société dans son ensemble est prête pour l’avoir à payer le prix fort ? Oui, certainement. Pour autant, doit-elle le faire ? Pas forcément.

Des bénéfices largement issus des fonds publics...

Le prix dont il est question ici est celui perçu par le laboratoire pharmaceutique, entreprise privée qui commercialiserait un nouveau médicament. Souvent, ce prix ne répond pas aux lois traditionnelles du marché entre l’offre des marchandises disponibles et la demande des acheteurs. Dans les pays qui ont un système de protection sociale développé, le prix d’un médicament est en effet largement subventionné par le secteur public pour protéger les malades d’un risque financier malvenu.

Dans de nombreux pays, le prix des médicaments innovants est le résultat d’une négociation entre l’entreprise pharmaceutique et l'État (qui s'apparente à un acheteur unique).

Au final, la majeure partie des bénéfices des grandes entreprises pharmaceutiques est issue des fonds publics consacrés à la santé et à la sécurité sociale. L’État s’apparente donc à un acheteur unique. Pour des produits médicaux innovants, cet acheteur unique fait face à un vendeur unique qui jouit d’une protection de son innovation par brevet et de l’exclusivité commerciale qui y est associée. C’est la raison pour laquelle le prix des médicaments innovants est dans de nombreux pays le résultat d’une négociation entre les deux parties prenantes, à savoir l’entreprise pharmaceutique et les pouvoirs publics.

Ce prix négocié doit l’être à l’avantage des deux négociateurs. Il ne doit donc pas être inférieur à la somme des dépenses du laboratoire pharmaceutique pour lui éviter des pertes et un découragement à la recherche future. Mais il ne doit pas être supérieur au montant maximal que la société dans son ensemble est prête à payer. Le prix négocié, influencé à la baisse ou à la hausse par les pouvoirs publics et par l’entreprise privée, se situe donc en théorie entre ces deux montants limites.

... Et des dépenses connues de l'entreprise commerciale seule

Concernant la limite supérieure, les méthodes de l’évaluation médico-économique permettent de définir le montant maximal qu’on est prêt à payer. On l’appelle la disposition à payer. Il est naturel de penser que cette disposition à payer est proportionnelle aux gains associés au nouveau traitement, et elle est vraisemblablement très élevée pour un traitement contre le Covid-19 pour les raisons évoquées plus haut. Les laboratoires pharmaceutiques en sont bien conscients.

Concernant la limite inférieure en revanche, on est dans le flou. Les dépenses des laboratoires pharmaceutiques sont certainement très élevées, ils nous le rappellent souvent. Les activités de recherche et de développement sont longues, risquées, et elles rencontrent divers échecs avant d’aboutir à une éventuelle innovation commercialisable. Le montant de ces dépenses n’est pour autant connu que de l’entreprise pharmaceutique qui n’a bien entendu aucun intérêt à le divulguer. La délocalisation des essais cliniques qu’ils réalisent et de la production des médicaments ne facilitent pas l’estimation de ces dépenses.
 

Via la recherche fondamentale et les crédits d'impôt, le secteur public est un important contributeur au développement de nouveaux traitements par les laboratoires pharmaceutiques.

Nous nous trouvons donc dans une situation d’asymétrie d’information entre les deux négociateurs et elle est à l’avantage du laboratoire pharmaceutique qui, de par sa forme juridique traditionnelle d’entreprise privée, se doit de maximiser ses gains financiers. Tout ceci explique assez naturellement que les prix des nouveaux médicaments soient si proches de la limite supérieure, à savoir, de la disposition à payer. Reste un paramètre important à considérer : le secteur public est lui aussi un important contributeur au développement de nouveaux traitements, et ce de deux manières au moins.

D’une part, il finance directement une grande partie de la recherche fondamentale. En France par exemple, celle-ci s’effectue dans les établissements publics : universités, organismes de recherche comme l’Inserm ou le CNRS. L’État finance les salaires de nombreux chercheurs et enseignants-chercheurs ainsi que le fonctionnement des laboratoires publics. La partie fondamentale de la recherche est une pierre angulaire du processus et les laboratoires privés bénéficient du transfert de ces connaissances.

Le transfert de connaissances et les aides publiques pourraient être assortis de conditions, comme un prix modéré ou un accès garanti à tous.

D’autre part, l’État distribue au secteur privé des aides à la recherche, sous forme de crédit d’impôt recherche par exemple. Il ne s’agit certainement pas de réduire à l’avenir les investissements privés et publics dans la recherche, bien au contraire. Cependant, le transfert de connaissances ainsi que les aides publiques pourraient être assortis de conditions.

C’est exactement la nature de l’entente entre Sanofi et le ministère américain de la Santé et des Services sociaux (Biomedical Advanced Research and Development Authority ou Barda) qui conditionne le partage des risques financiers de Sanofi à la primeur de la mise sur le marché d’un éventuel nouveau vaccin anti-Covid-19 sur le sol américain.

S'inspirer de l'entente entre Sanofi et le ministère américain de la Santé ?

Dans un autre style, c’est également la nature des Product development partnerships (PDP) qui associent par des contrats des acteurs privés et publics avec l’objectif de développer des médicaments accessibles pour traiter des maladies endémiques de pays en développement.
 

Rien n’empêche la France et l’Europe de proposer elles aussi des conditions à la hauteur de leurs valeurs.

Par exemple, le Fexinidazole, un nouveau médicament contre la maladie du sommeil (ou trypanosomiase humaine africaine) est le résultat d’un tel partenariat public-privé articulé autour de la fondation DNDi (Drugs for Neglected Diseases initiative), avec la participation d’experts des pays endémiques et de Sanofi. Ce partenariat a fonctionné en mode collaboratif et ouvert (open source) et le Fexinidazole a été mis sur le marché sans demande de brevet préalable.

Rien n’empêche la France et l’Europe de proposer elles aussi des conditions à la hauteur de leurs valeurs. Le transfert de connaissances et le paiement des aides à la recherche privée pourraient par exemple être conditionnés à un prix final modéré, à un accès partout dans le monde au nouveau médicament ou encore à l’assurance d’une disponibilité de la production. Payer le prix fort n’est donc en rien une fatalité. À nos pays d’être créatifs… ♦

Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.

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