Donner du sens à la science

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Découvrez ici les recherches et le récit des expéditions du géographe François-Michel Le Tourneau, spécialiste de la Guyane et explorateur de la forêt amazonienne. A suivre également sur le compte Twitter @7bornes.
 

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François-Michel Le Tourneau
Géographe aventurier, membre de l'International Research Laboratory (IRL) iGLOBES

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Premiers résultats de l'expédition
30.12.2015, par François-Michel Le Tourneau
Cinq mois après leur retour d'Amazonie, les chercheurs du Raid des 7 Bornes tirent un premier bilan de l'expédition.

Le retour d’une expédition comme le Raid des 7 Bornes est toujours un peu chaotique. Il faut, bien sûr, se remettre physiquement. Le temps de récupération est variable selon les organismes, l’âge et l’entraînement physique. Surtout, après 6 semaines tendu vers un objectif unique, arriver à la borne 7, un peu de distance est nécessaire. Bref, on a tout sauf envie de se plonger immédiatement dans les données rassemblées, on a plutôt envie de parler d’autre chose et de voir d’autres paysages. Et puis il y a tout ce qu’on a laissé en suspens pendant le raid. Le monde n’a pas cessé de tourner, les collègues de produire et les projets d’avancer. 1241 mails non lus au moment de ma sortie des bois, il a fallu un moment pour épuiser le stock et revenir à niveau.

Depuis septembre, les membres de l’équipe ont repris peu à peu leurs activités. Les hommes du 3e REI, notamment l’adjudant Christophe, ont repris leurs missions en Guyane, notamment dans le dispositif de lutte contre l’orpaillage. Ils sont commandés par un nouveau chef de corps. Le colonel Walter et le chef de bataillon Aymeric, eux, ont pris des commandements en France. Les botanistes William et Guillaume ont repris le cours des autres projets qu’ils mènent, et enchaîné sur d’autres terrains, non sans, en ce qui concerne William, avoir posté sur Internet son ressenti de l’aventure. Quant à moi, heureux bénéficiaire d’un séjour de recherche à l’Université d’Indiana, j’ai passé un automne entre la France et les USA, afin de profiter de l’opportunité donnée d’un côté, mais sans fuir mes autres responsabilités de l’autre. Mon empreinte carbone en a pris un coup, mais après 300 km à pied j’ai un peu de crédit, non ?

Ce tourbillon d’autres activités n'empêche pas, bien sûr, d’exploiter au fur et à mesure le matériel collecté. L’analyse fine des traces GPS a ainsi permis de refaire le calcul des distances parcourues (310 km au total), et de comparer avec le parcours théorique. Nous avons ainsi parcouru près de 80 % de l’extension de la frontière (258 km sur la ligne de partage des eaux), la principale « perte » ayant été enregistrée lorsque nous avons piqué directement du Mitaraka vers la borne 1.

Les mesures GPS sur les bornes ont été remises au service de géodésie de l’IGN. Sous réserve de validation finale, des coordonnées de meilleure précision ont pu être calculées pour toutes celles que nous avons trouvées (9 sur 11). Elles sont désormais d’une précision centimétrique pour 6 des 9 bornes mesurées et de précision métrique pour les 3 restantes. L’analyse des données recueillies nous a aussi permis de résoudre des ambiguïtés cartographiques sur le tracé frontalier ou sur l’hydrographie, et de faire des propositions de rectification qui ont été transmises à qui de droit. Que l’on ne s’inquiète pas, les surfaces concernées sont très réduites et ne changeront pas vraiment la taille du Brésil ou celle de la Guyane française. Il ne s’agit pas de modification de la frontière, puisque celle-ci est fixée par le principe de la ligne de partage des eaux et qu’il n’y a aucune modification sur ce point, mais de l’apport de précisions à la connaissance et à la représentation cartographique de cette ligne.

Sur le plan botanique, les identifications sont en cours. Les photographies panoramiques prises entre la Trijonction et la borne 3 sont en ligne sur le site de suivi du parcours de l’expédition, ce qui permet de voir à quoi ressemble la forêt à intervalle régulier sur le parcours. Les assemblages sont en cours pour le tronçon de la borne 3 à la borne 7. Les échantillons prélevés pour identification ont été intégrés dans les herbiers, particulièrement à Cayenne, et le travail pour les faire parler est en cours.
Un résultat simple mais parlant illustre l’intérêt de la collecte de données. Lors d’une des rares chasses effectuées par l’équipe, un tatou a été abattu par le lieutenant Clément, puis dûment consommé, mais non sans avoir prélevé les éléments nécessaires à son identification. L’interprétation de ces éléments par B. de Thoisy, à l’Institut Pasteur de Cayenne, a permis d’établir qu’il s’agissait d’un tatou de l’espèce Cabassou unicinctus dont la présence dans le sud de la Guyane était mal assurée. Cela conforte une identification moins documentée réalisée par Pierre Grenand, et permet donc d’étendre avec certitude la carte de répartition de cette espèce en Guyane (ici un article sur le sujet). Bon, ça ne finit pas mieux pour le tatou, mais il aura servi la science !

Enfin, mais il fallait garder le dessert pour la fin, le reportage filmé par Raphaël et Frédéric a été monté en octobre et novembre et devrait sortir sur vos écrans en début d’année 2016. Vous aurez alors une bonne idée de tout notre périple, superbes images en perspective !

Les prochaines étapes sont, pour nous, la rédaction d’articles scientifiques. Ils seront nourris par les résultats qui apparaissent peu à peu et, bien sûr, par un peu de travail de réflexion autour d’eux. Mais nous pensons aussi à de nouveaux projets. Comme je l’avais noté lors d’un des posts dans ce blog, notre expédition avait pour beaucoup valeur de reconnaissance. Il nous faut maintenant utiliser ses résultats pour nourrir des propositions qui nous permettront de systématiser davantage la connaissance de la frontière sud de la Guyane. Bref, encore du pain sur la planche, mais avec, bien sûr, la perspective de retourner sur place…

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