Donner du sens à la science

A propos

Ce blog est alimenté par Dialogues économiques, une revue numérique de diffusion des connaissances éditée par Aix-Marseille School of Economics. Passerelle entre recherche académique et société, Dialogues économiques donne les clefs du raisonnement économique à tous les citoyens. Des articles sont publiés tous les quinze jours et relayés sur ce blog de CNRS le journal.

 

 

Les auteurs du blog

Plus d'informations sur l'équipe de rédaction et le comité éditorial : www.dialogueseconomiques.fr/a-propos

A la une

Comment évaluer l’impact des délibérations sur les votes des citoyens ?
22.05.2024, par Charles Figuières, Hélène Frouard
Mis à jour le 22.05.2024

Conférences de consensus, assemblées citoyennes, conseils de quartier, etc. Depuis les années 1980, la délibération apparaît comme une réponse à la crise de la démocratie. Mais comment mesurer son intérêt et son impact ? Pour la première fois, une équipe de chercheurs a étudié le rôle des outils utilisés pour recueillir l’avis des participants. 

Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.

Coupable ou innocent ? Dans un célèbre film américain, 12 jurés délibèrent du sort d’un homme accusé de meurtre1. Qu’ils le jugent coupable et il finira sur la chaise électrique. Qu’ils aient des doutes valables, l’homme sera acquitté. Un premier vote à main levée est effectué : 11 jurés se prononcent pour la culpabilité. Mais le juré n°8 exprime des doutes. Dans la chaleur étouffante de la salle de délibération, un débat long et difficile s’engage. Tout au long du film, arguments et votes se succèdent, les modalités de vote pouvant varier. Au bout du processus, les jurés parviennent à un verdict de non-culpabilité en raison d’un doute raisonnable. Que s’est-il donc passé ? La différence des résultats est-elle le fruit de la discussion ou tient-elle au changement des modes de scrutin ? Au-delà des salles de cinéma, la délibération offre-t-elle une solution pour créer un consensus construit sur l’élimination des mauvais arguments ? C’est précisément à ce type de questions que s’est intéressée l’équipe de chercheurs Mariam Maki Sy, Charles Figuières, Helene Rey-Valette, Richard Howarth et Rutger de Wit. Ils se sont demandé si le choix des outils utilisés pour recueillir l’avis des participants lors d’une délibération collective impactait le résultat de cette délibération.

La boite noire de la démocratie délibérative

L’enjeu est de taille. Depuis les années 1980, le constat d’une désaffection grandissante des citoyens pour la démocratie représentative a conduit à encourager de nouvelles formes de participation. Le recours à des processus de décision fondés sur l’échange et la discussion a le vent en poupe. Cette démocratie délibérative semble plus à même de faire émerger des solutions répondant au bien commun et recueillant l’adhésion de la population2. En France, un exemple récent est celui de la Convention citoyenne pour le climat, constituées de citoyens tirés au sort. Ces citoyens avaient au départ des idées très variées quant aux politiques à mener en matière de climat. Or après débats, les 149 propositions élaborées au sein des différentes « commissions » ont été adoptées par l’ensemble des conventionnaires de façon quasi consensuelle. 

Parce que la délibération collective est aujourd’hui encouragée, il est important de bien comprendre son fonctionnement et d’éviter de possibles dérives ou effets pervers. Les chercheurs en science politique, par exemple, ont étudié les conditions pour que la délibération soit inclusive et juste, alors qu’elle se déroule dans des sociétés marquées par des inégalités et des rapports de domination. Ces travaux ont porté sur les modalités des débats eux-mêmes. Par exemple, comment s’assurer que personne ne préempte la parole au cours des discussions ? Mais jusqu’à présent, personne ne s’était intéressé à la façon dont l’avis des participants est agrégé. Pourtant, toute délibération utilise explicitement ou implicitement une méthode pour synthétiser les avis des participants. C’est ce que la théorie du choix social, qui étudie ces procédés pour aboutir à une décision collective cohérente, appelle une « préférence sociale ».

Néon bleu sur un fond noir affichant une invitation à voter Photo par Manny Becerra sur Unsplash

Un vote n’égale pas un vote

Or depuis longtemps, cette théorie du choix social a montré que les méthodes de vote n’étaient pas équivalentes les unes aux autres. Ainsi, pour une élection présidentielle, organiser un scrutin majoritaire à deux tours ou demander aux électeurs de noter l’ensemble des candidats puis agréger les notes peut aboutir à des résultats divergents. Et au risque de tuer tout suspens, sachez qu’il n’existe aucune méthode idéale, mais une multiplicité de méthodes ayant chacune leurs qualités et leurs défauts. Or les études sur les délibérations collectives ont étonnement passé sous silence cette dimension : les méthodes d’agrégation utilisées pour mesurer l’impact des délibérations sont rarement explicitées. Pourtant le choix de la méthode influence le résultat obtenu. Voici de quoi tempérer le message optimiste du film « 12 hommes en colère » dans lequel c’est la délibération qui conduit, in fine, à faire évoluer les décisions des jurés.

L’équipe de chercheurs a décidé d’ouvrir cette boite noire de l'agrégation de façon expérimentale. Ici, pas de meurtre et de chaise électrique, mais une réflexion sur l’espace lagunaire de Palavas-les-Flots. Ces étangs qui s’étendent sur une vingtaine de kilomètres entre Montpellier et Sète sont des espaces fragiles, objet de politiques de protection. Afin que ces mesures soient le mieux adaptées possible et bénéficient de l’adhésion de la population, on encourage les processus de consultation des personnes impliquées. Dans l’expérience, 42 personnes ont été invitées à déterminer collectivement les priorités à dégager dans la protection de la lagune. Par exemple faut-il privilégier la qualité des eaux ? le maintien de la biodiversité ? Les ressources halieutiques ? L’usage récréatif ? Le sentiment de relaxation des visiteurs ? Une vingtaine services écosystémiques ont été proposés aux participants afin d’être classés par ordre de priorité. Deux méthodes d’agrégation différentes de ces priorités individuelles ont été utilisées puis comparées.

Flamands roses les pieds dans un étang
Flamants roses les pieds dans un étang. Photo par Philippe Graille / stock.adobe.com

Qu'entend-on par "services écosystémiques" ? 

En matière de politique environnementale, le choix des actions à mener dépend des buts que l’on se fixe. Dans telle montagne certains privilégieront la biodiversité avec l’introduction du loup, d’autres le maintien des activités touristiques, ou encore l’accès aux matières premières, voire la préservation du patrimoine naturel pour les générations futures… Pour rationaliser ces enjeux, on utilise depuis une quinzaine d’années la notion de services écosystémiques (SE) 3. Cette notion a été popularisée par l’Evaluation des écosystèmes pour le millénaire, un programme de travail qui a réuni plus d’un millier d’experts entre 2001 et 2005 sous la houlette de l’ONU. Le terme désigne les « services » rendus aux humains par la nature. Ces services sont entendus au sens le plus large, et peuvent être matériels ou immatériels. On les classe souvent en 4 grandes familles : les services d’approvisionnement (apports de ressources naturelles, d’énergies renouvelables, etc.), les services de régulation (e.g. stockage du carbone, régulation des épidémies…), les services culturels (offre de loisirs, rôle du lieu dans l’imaginaire, etc.) et les services de maintien (pollinisation, formation des sols…). Dans une certaine mesure, aucun de ces services ne s’impose de lui-même et il est donc nécessaire de déterminer collectivement l’ordre de priorité que l’on souhaite soutenir lors de la mise en place d’une politique environnementale.

Délibérer, mais pour quel résultat ?

Dans un premier temps, les préférences des 42 personnes participant à l’expérience ont été agrégées à l’aide de deux méthodes. La première, nommée RESPA, consiste à définir au préalable un sous-ensemble de services jugés prioritaires ; puis de classer ces services au sein de ce sous-ensemble. Imaginez 6 choix possibles : si votre priorité est le maintien des « activités de loisir », vous lui affecterez 6 points. Le service « réguler le microclimat », qui ne vous intéresse pas du tout, aura 1 point. On calcule ensuite, pour chaque service, la somme des points qui lui ont été attribués par l’ensemble des participants. Le service en haut du classement social est celui avec la plus grande somme, le deuxième service celui avec la deuxième somme et ainsi de suite. Ce type d’agrégation, formellement étudié et défendu par le Chevalier de Borda au 18ème siècle, était déjà utilisé par les sénateurs romains. On l’utilise aujourd’hui en Europe… dans le concours de l’Eurovision. 

Fresque « Cicéron dénonce Catilina devant le Sénat » « Cicéron dénonce Catilina », par Cesare Maccari, 1889 (fresque d’une salle du palais Madame, à Rome).

L’autre méthode utilisée lors de l’expérience est le « jugement majoritaire », un dispositif mis en avant en 2010 par deux chercheurs du CNRS4. Il consiste pour chaque participant à affecter, à chaque service, une appréciation qualitative choisie dans un ensemble prédéfini et ordonné d’appréciations, indépendamment du jugement qu’il porte sur les autres options. Par exemple, un participant peut estimer que protéger la biodiversité est une « priorité élevée » alors que maintenir la beauté du lieu est « non prioritaire ». On détermine ensuite, pour chaque service, son appréciation médiane que l’on nomme sa mention majoritaire. Par exemple, si la mention majoritaire du service régulation est « faiblement prioritaire », cela veut dire que la moitié des participants pensent que ce service mérite une importance plus grande que « faiblement prioritaire » et l’autre moitié une importance plus faible. Finalement, la préférence sociale suit l’ordre indiqué par les mentions majoritaires : le service classé en premier est celui dont l’appréciation médiane est la plus grande, et ainsi de suite. Cette méthode tend à prioriser les options les plus consensuelles. Elle a aussi l’avantage d’être relativement robuste aux manipulations stratégiques5

Séparés en 8 groupes, les participantes et participants ont ensuite eu un temps d’échanges et de débats, accompagnés par des experts. À l’issue du processus de délibération, ils ont renouvelé leur classement en suivant les deux mêmes méthodes. 

La comparaison des résultats est éloquente. Avant la délibération, les préférences collectives des participants à l’expérience étaient globalement les mêmes qu’on utilise l’une ou l’autre des méthodes d’agrégation. En revanche, après délibération collective, les priorités à privilégier pour les politiques de protection des espaces lagunaires de Palavas n’ont pas été classées de la même façon, selon qu’on utilisait l’une ou l’autre méthode. La méthode la moins impactée a été celle du jugement majoritaire, peut-être parce qu’elle a été précisément conçue dès l’origine pour faire émerger les options les plus consensuelles. En revanche l’agrégation de type RESPA a conduit à de fortes divergences avant, et après, délibération. L’impact d’une délibération dépend donc de la méthode de vote utilisée. Ce résultat invite à étudier plus en détail les méthodes d’agrégation des préférences individuelles utilisées dans le cadre de la démocratie délibérative. Et peut-être d’aboutir à des décisions collectives plus justes, comme au cinéma…

 

Référence 

Sy M. M., Figuières C., Rey-Valette H., HowarthR. B., De Wit, R., 2022, « Valuation of ecosystem services and social choice : The impact of deliberation in the context of two different aggregation rules ». Social Choice and Welfare.

Notes

1. « 12 angry men » (Douze hommes en colère), Sidney Lumet, 1957.
2. Voir par exemple Habermas Jürgen, « Discourse ethics: notes on a program of philosophical justification ». Polity Press Cambridge, 1990.
3. Philippe Méral, Denis Pesche, Les services écosystémiques - Repenser les relations nature et société. Librairie Quae, 2016.
4. Balinski M, Laraki R (2007) A theory of measuring, electing, and ranking. Proc Natl Acad Sci 104:8720–8725. Voir aussi Edelman, Paul. (2011). Michel Balinski and Rida Laraki “Majority judgment: measuring, ranking, and electing”, Public Choice. 151. 807-810.
5. L’élection présidentielle française dans laquelle le premier tour est l’objet de stratégies complexes d’anticipation du second tour est un bon exemple de vote tactique, souvent désigné sous le nom de « vote utile ».

Commentaires

1 commentaire

Ceci est mon témoignage sur la façon dont j'ai finalement rejoint le nouvel ordre mondial, les Illuminati, après avoir essayé de le rejoindre pendant plus de 2 ans maintenant, mais les escrocs m'ont pris de l'argent à plusieurs reprises. Je cherche à rejoindre les Illuminati depuis si longtemps, mais les escrocs continuent de prendre mon argent jusqu'au début de cette année, lorsque j'ai rencontré Lord Andrei Bogdanov en ligne, je l'ai contacté et je lui ai tout expliqué et il a recommandé l'inscription utilisée et j'ai payé pour le grand membre pour me lancer et j'ai été initié dans l'Ordre Mondial et je reçois la somme de 4 000 000 $ US une fois mon initiation terminée. Je suis très heureux! Et promettez de diffuser le bon travail du Seigneur Andrei Bogdanov. Si vous êtes intéressé à rejoindre le nouvel ordre mondial Illuminati aujourd’hui, contactez Lord Andrei Bogdanov aujourd’hui, c’est votre meilleure chance de devenir membre des Illuminati que vous désirez toujours. Contacter Lord Andrei Bogdanov Email : Illuminatiofficial565@gmail.com ou WhatsApp +2348055459757
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS