Quasi-cristaux : voyage au cœur de la matière ordonnée et apériodique
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Quarante ans après la découverte des quasi-cristaux[1] dans des alliages métalliques, Marianne Impéror, directrice de recherche au Laboratoire de physique des solides[2], s’est lancée dans un défi inédit en France : recréer à l’échelle nanométrique ces matériaux aux propriétés optiques remarquables.
Les quasi-cristaux suscitent un intérêt particulier dans la quête de nouveaux nanomatériaux, notamment pour leurs propriétés optiques. Leur structure, ordonnée à grande échelle mais désordonnée à l'échelle nanométrique, engendre des comportements largement inexplorés.
Marianne Impéror[3] est directrice de recherche CNRS au Laboratoire de physique des solides à Orsay. Sa spécialité est d’étudier la cristallisation de nanoparticules métalliques par auto-assemblage. « Le principe est que les nanoparticules s'organisent spontanément en structures ordonnées, explique-t-elle. Si on arrive à contrôler leur forme, leur taille et leurs interactions à l’échelle nanométrique, il est possible de fabriquer des structures complexes, avec à la clef, de nouvelles propriétés physiques dues à leur structure inédite. » L’auto-assemblage en solution consiste à disperser des nanoparticules dans un solvant tel que l’eau. « On dépose une goutte de la solution de nanoparticules sur un substrat, puis on la laisse s'évaporer. Lors du séchage, les nanoparticules se rapprochent et s'assemblent spontanément pour former des structures cristallines. »
Une danse bien ordonnée
L’objectif de départ de Marianne Impéror est clair : obtenir par auto-assemblage des quasi-cristaux à l’échelle nanométrique. Mais la tâche s’avère compliquée. « Contrairement aux cristaux dans lesquels un motif se répète de manière périodique, la formation des quasi-cristaux est beaucoup plus complexe en raison de leur caractère apériodique », souligne-t-elle. L’expérience n’a jamais été réalisée en France. La chercheuse fédère donc une équipe pluridisciplinaire[4] d’une douzaine de personnes au sein du projet ANR « Auto-assemblage de nanoparticules : des super-réseaux périodiques aux phases quasicristallines – SoftQC »[5] qu’elle coordonne de 2019 à 2024. Ce projet est financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), dont l’objectif est de soutenir l’excellence de la recherche et l’innovation française sur le plan national, européen et international.
Découverte d’un nouveau quasi-cristal
Grâce à leurs expertises complémentaires, l'équipe de Soft-QC explore différentes formes adéquates de nanoparticules, « notamment des mélanges de nanoparticules sphériques présentant deux tailles différentes », détaille Marianne Impéror. L’équipe est parvenue à mettre à jour par simulation numérique une nouvelle forme de quasi-cristal de symétrie 8 totalement inconnue jusqu’à présent. « Ce résultat a pu être ensuite réalisé expérimentalement avec des billes métalliques à l’échelle millimétrique. À partir d’une phase désordonnée semblable à un liquide, les billes commencent à s’organiser localement en trois types de motifs carrés et triangulaires qui se combinent pour former un quasi-cristal de symétrie 8. » Ce résultat inattendu a fait l’objet d’une publication dans la revue Nature Physics[6] en 2024.
Un nouveau pavage du plan
Plus inattendu encore, une mathématicienne[7] montre que cette symétrie 8 correspond à un nouveau type de pavage mathématique du plan[8], « une belle surprise » , pour Marianne Impéror qui souhaiterait poursuivre ces travaux dans le cadre d’un deuxième projet ANR. « Un nouveau laboratoire partenaire, spécialisé dans la microscopie électronique environnementale, permettra d’observer directement en solution l’auto-assemblage de plusieurs centaines de nanoparticules ». Suivre la croissance d’un quasi-cristal en temps réel sera-t-il possible un jour ? « Nous espérons que d'ici cinq ans, nos recherches auront apporté des éléments de réponse à cette question », conclut Marianne Impéror.
crédit photo: Christian MOREL / LIPN / CNRS Images