Les petits ARN qui murmurent à l’oreille des bactéries
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Comment le staphylocoque doré parvient-il à s’adapter à tant d’environnements hostiles ? Une équipe de recherche a identifié les petits ARN qui pilotent ses capacités d’adaptation, un mécanisme clé chez l’une des bactéries les plus redoutées au monde.
Le staphylocoque doré, ou Staphylococcus aureus, est l’une des principales causes d’infections bactériennes dans le monde. Présente chez environ 30% de la population sans provoquer de symptômes, cette bactérie opportuniste peut devenir redoutable en cas de blessure ou d’intervention chirurgicale. Sa force ? Une capacité d’adaptation remarquable qui lui permet de résister aux attaques du système immunitaire comme aux traitements antibiotiques, dans des contextes très variés.
Pour percer son secret, le projet RRARE s’est penché sur une classe de régulateurs génétiques encore peu étudiée chez le staphylocoque doré : les petits ARN non codants. Il est financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) qui soutient l’excellence de la recherche et l’innovation française sur le plan national, européen et international.
Les ARN aux commandes
Pendant longtemps, les ARN ont été vus comme de simples messagers : ils recopient l’information génétique de l’ADN pour la transmettre aux « machines » qui fabriquent les protéines, tout en étant des composants essentiels de ces machines. Mais certains ARN, surnommés sRNA chez les bactéries, ne servent pas à fabriquer des protéines. Ils agissent comme des régulateurs qui décident si un message doit être lu ou mis sous silence.
Mais comment s’y prennent-ils ? « Les sRNA bactériens s’apparient, c’est-à-dire se collent par complémentarité de bases aux ARN messagers. En se fixant ainsi, ils changent la structure des messagers, ce qui modifie leurs propriétés », explique Philippe Bouloc, chercheur CNRS à l’Institut de biologie intégrative de la cellule[1] et porteur du projet RRARE2. Résultat : la cellule ne lit plus correctement l’instruction et la protéine associée à cet emplacement n’est pas produite.
Cette forme de régulation agit comme un ajustement fin, une sorte de bouton de volume génétique. Subtile, mais redoutablement efficace, elle permet à la bactérie de réagir rapidement à son environnement sans avoir besoin de tout reprogrammer.
Des mutants en compétition
Si beaucoup de sRNA ont été identifiés à ce jour, leur fonction est souvent inconnue. Le projet RRARE visait à repérer ceux qui influencent réellement la survie de la bactérie dans des environnements variés. Pour cela, les scientifiques ont créé une cinquantaine de mutants, chacun privé d’un sRNA précis qu’ils ont remplacé par une petite étiquette génétique — une sorte de bague numérotée pour repérer chaque mutant dans l’essaim bactérien.
Les bactéries ont ensuite été mises en culture dans différents milieux : riche, appauvri en fer, contenant un antibiotique, etc. « L’idée est de voir quels mutants disparaissent au fil des générations. S’il en manque un à l’arrivée, c’est que le petit ARN régulateur que nous lui avons retiré était crucial pour la survie de la bactérie dans ce milieu », résume Philippe Bouloc.
Le projet a ainsi mis en évidence plusieurs sRNA clés. L’un protège la bactérie contre la rifampicine, un antibiotique qui bloque la transcription. Un autre régule des pompes à efflux — des protéines qui expulsent des molécules toxiques. Sans lui, la quantité de pompes n’est plus correctement ajustée et la bactérie devient vulnérable à certains antibiotiques.
Déjouer la carence en fer
Mais comment ces petits ARN agissent-ils exactement ? Pour le savoir, les chercheurs ont utilisé le ribosome profiling. Cette technique mesure combien de ribosomes — les « machines qui fabriquent les protéines » —s’installent sur un ARN messager. Si un sRNA bloque l’accès, les ribosomes ne peuvent s’y fixer.
En comparant les ribosomes sur les ARN messagers des souches normales et mutantes, les scientifiques ont ainsi identifié les cibles des sRNA. Cette approche a révélé des circuits de régulation jusqu’alors inconnus chez le staphylocoque doré, notamment en cas de carence en fer — une stratégie utilisée par l’organisme hôte pour affamer les bactéries et empêcher leur prolifération. Une défense que la bactérie sait pourtant contourner.
L’équipe de RRARE a ainsi découvert un sRNA du staphylocoque doré qui s’active en l’absence de fer pour bloquer la production de protéines non essentielles qui contiennent cet élément, notamment celles impliquées dans la respiration cellulaire. « Si la bactérie fabrique ces enzymes, elle gaspille une ressource vitale. Ce petit ARN l’empêche de faire cette erreur », explique Philippe Bouloc.
Ces résultats fondamentaux pourraient ouvrir sur des pistes thérapeutiques prometteuses. En ciblant ces sRNA ou leurs circuits, il serait possible d’affaiblir la bactérie et de mieux lutter contre l’antibiorésistance, leur capacité à résister aux antibiotiques.
2 Le projet RRARE a également impliqué Isabelle Hatin, ingénieure d’étude Université Paris-Saclay à l’I2BC, et Daniel Gautheret, professeur Université Paris-Saclay à l’I2BC.