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L’électrochimie : des matériaux 2D au recyclage des déchets

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L’électrochimie : des matériaux 2D au recyclage des déchets
17.11.2025, par Martin Koppe
Mis à jour le 17.11.2025

La rencontre de l’électrochimie et des matériaux 2D fait naître des matériaux qui changent de charge, et ce de manière contrôlée grâce à un potentiel électrique. Une équipe rennaise est pionnière dans la question, ainsi que sur d’autres applications.

Les matériaux 2D, ou matériaux bidimensionnels, sont composés d’une seule couche d’atomes ou de molécules. Le graphène en est l’exemple le plus connu. Dans des travaux coordonnés par l’Institut des sciences chimiques de Rennes1, des scientifiques ont modifié les propriétés de ces matériaux 2D, notamment celles de transport de charges électriques, en leur greffant des centres redox. Il s’agit de molécules capables de capter ou transférer de manière réversible au moins un électron.

« L’idée de ce greffage vient d’une discussion avec des collègues de l’Institut d’électronique, de microélectronique et de nanotechnologie2 explique Bruno Fabre, directeur de recherche CNRS à l’ISCR. Il s’agit de moduler les propriétés de transport de charge de matériaux 2D. La présence de centres à base de ferrocène permet, en faisant passer un courant, de transformer un matériau neutre en un matériau électriquement positif. Il y a très peu d’articles dans la littérature sur la modification des propriétés de matériaux 2D grâce à un potentiel électrique. La première équipe pionnière dans ce domaine est celle de Paolo Samori de l’Université de Strasbourg. »

Des dichalcogénures de métaux de transition

Ces travaux, très fondamentaux, visent à voir émerger des propriétés originales de transport de charge et de spin, qui seraient de plus modulables par un simple courant ou potentiel électrique. Si le contrôle du spin s’est montré retors, les chercheurs sont parvenus à démontrer le transport de charge dans des matériaux 2D grâce à un centre redox.

Les matériaux 2D en question appartiennent à la famille des dichalcogénures de métaux de transition, avec en particulier du disulfure de molybdène (MoS2), mais aussi le disulfure de tungstène (WS2) et le diséléniure de molybdène (MoSe2). Ces matériaux sont intéressants car leur gap énergétique, qui leur permet de passer d’un état énergétique à un autre, est modulable lors de leur fabrication. Leurs propriétés conductrices peuvent ainsi passer de l’état semi-conducteur à conducteur métallique.

L’importance des substrats

Ces matériaux sont fonctionnalisés par un centre ferrocène (Fe (C5H5)2), qui leur permet, lors de l’application d’un courant électrique, de passer d’un état neutre à un état positif, et vice-versa. Ces états sont tous les deux stables et ne changent qu’avec l’application d’un nouveau courant adéquat. L’équipe a également employé du tétrathiafulvalène (H2C2S2C=CS2C2H2), qui a la particularité d’avoir trois états redox stables : neutre, radical cation et dication. Chacun de ces états pourrait a priori changer les propriétés des matériaux 2D.

Pour pouvoir être bien caractérisés, les matériaux 2D ainsi fonctionnalisés ont été déposés sur un substrat d’or ou de silicium hydrogéné. Il est alors possible d’utiliser des méthodes de caractérisations fines pour savoir où et comment le centre redox s’est greffé au matériau 2D, comme le microscope à force atomique tel qu’utilisé à l’IEMN.

Les scientifiques de l’ISCR ont en effet reçu l’aide de collègues de l’IEMN, mais aussi de l’Institut de physique de Rennes3 qui ont déployé des techniques de Raman et de photoluminescence. Un collaborateur de l’Université de Mons (Belgique) a quant à lui contribué à une meilleure connaissance de ces systèmes grâce à des calculs théoriques.

L’électrolyse de l’eau de mer

Fort de son expertise en électrochimie, Bruno Fabre mène également d’autres projets, plus proches des applications pratiques. Il travaille notamment sur la production d’hydrogène par électrolyse de l’eau de mer.

« L’eau salée est plus complexe à utiliser que l’eau douce, la présence d’ions chlorure, magnésium et calcium est particulièrement nocive pour les électrodes, note le chercheur. Nous avons mis au point un support en nickel-chrome qui permet de limiter ces effets, permettant une électrolyse de l’eau de mer stable pendant une dizaine de jours en continu. »

Des acides à haute valeur ajoutée plutôt que de l’oxygène

Bruno Fabre vient également de lancer il y a quatre mois, par le biais d’une bourse européenne de postdoctorat Marie Skłodowska Curie, un projet sur la valorisation de déchets plastiques, comme le polytéréphtalate d’éthylène (PET) qui compose de nombreuses bouteilles. « Lors d’une électrolyse de l’eau classique, on produit du côté de la cathode de l’hydrogène, qui est valorisé, et du côté de l’anode de l’oxygène, qui ne l’est pas, explique le scientifique. L’idée est d’obtenir des deux côtés un produit à haute valeur ajoutée. »

Ici, le PET est dégradé dans de la potasse, puis les produits de dégradation peuvent être oxydés à l’anode en divers acides valorisables, dont l’acide formique. Les électrodes employées sont des photoélectrodes semiconductrices à base de silicium modifié par un catalyseur, permettant une activation de l’électrolyse grâce à l’énergie solaire. La cellule photoélectrochimique mise en œuvre permet la production de composés valorisables tout en s’affranchissant de la production d’oxygène.

Avec ses projets aux applications variées, Bruno Fabre montre l’étendue du pouvoir de l’électrochimie. Une discipline qui n’a pas fini de surprendre.


A gauche : quand l'électrochimie rencontre les matériaux 2D © Trung Nghia Nguyen Lê. A droite : Image d'illustration de l'électrolyse d'eau de mer © American Chemical Society

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet « « Transport de charge et de spin dans des matériaux 2D contrôlé par voie électrochimique – ECOTRAM ». Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2020 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 2020).

Notes
  • 1. ISCR, CNRS/ENSC Rennes/Univ. Rennes
  • 2. IEMN, CNRS/Univ. Lille/Univ. polytechnique Hauts-de-France
  • 3. IPR, CNRS/Univ. Rennes

URL source:https://lejournal.cnrs.fr/nos-blogs/focus-sciences/lelectrochimie-des-materiaux-2d-au-recyclage-des-dechets?page=3

Liens
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