Chez la souris naine d’Afrique, les mystères du troisième chromosome sexuel
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Exception au système XY, la souris Mus minutoides compte un troisième chromosome sexuel, le X*. Et ses femelles X*Y, majoritaires, ont tout d’un troisième genre. Pour le chercheur montpelliérain Frédéric Veyrunes, cette exception à la règle est l’occasion d’élucider les mécanismes du déterminisme et du dimorphisme sexuels.
Des femelles XX, des mâles XY : chez les mammifères, la répartition des chromosomes sexuels suit toujours le même modèle… ou presque. « L’origine des chromosomes sexuels remonte à environ 150 millions d’années. Mais il existe une dizaine d’espèces ayant des déterminismes particuliers », échappant au dogme XX/XY, rappelle Frédéric Veyrunes, coordinateur de l’équipe « Sexe et spéciation » à l’Institut des sciences de l’évolution de Montpellier1. Parmi ces espèces, toutes des rongeurs, figure la souris naine d’Afrique, Mus minutoides2.
C’est à l’occasion d’une mission en Afrique du Sud, effectuée en 2004 lors de sa thèse, que Frédéric Veyrunes a fait la découverte chez cette espèce d’une étrange particularité chromosomique. « Je suis tombé par hasard sur des femelles présentant un caryotype3 XY, identique à celui des mâles. Dans certaines populations, jusqu’à 75% des femelles étaient XY. J’étais loin de penser que cette découverte allait déterminer toute ma carrière ! ».
Chez ces femelles M. minutoides de génotype XY, l’analyse a révélé la présence d’un chromosome X particulier. Dénommé X*, il est plus court que le X standard, et possède un profil différent de bandes chromosomiques. Au lieu de deux chromosomes sexuels, la souris naine d’Afrique en compte trois, X, Y et X*, pour un ensemble de quatre génotypes : un de type mâle (XY), trois de type femelle (XX, X*X, X*Y). Alors que le chromosome Y est dit ‘masculinisant’ chez les mammifères, le X* joue chez M. minutoides un rôle opposé, celui de chromosome ‘féminisant’ qui l’emporte sur le Y.
Souris naine Mus minutoides © Frédéric Veyrunes
Les femelles X*Y, un genre à part
L’observation des femelles X*Y s’est révélée riche en surprises. « Elles se reproduisent, en moyenne, un mois plus tôt que celles des deux autres génotypes féminins . Ce qui, à l’échelle d’une vie de M. minutoides, est loin d’être négligeable : à l’état naturel, ces souris vivent moins d’un an, en raison de la présence de nombreux prédateurs. Mais le plus surprenant, c’est que la taille moyenne de leur portée est supérieure, malgré la perte d’un quart de leurs embryons, les YY, qui ne sont pas viables. Elles présentent un taux d’ovulation 1,5 fois plus élevé », explique Frédéric Veyrunes.
Autre élément frappant, l’agressivité de la femelle X*Y, plus prompte à attaquer ses congénères lorsqu’ils empiètent sur son territoire : « les femelles X*Y attaquent plus vite, plus fréquemment, avec un nombre d’assauts trois fois supérieur aux deux autres génotypes ». A l’inverse, elles sont d’un tempérament moins anxieux, manifestant peu de crainte à explorer un territoire inconnu.
Ces femelles diffèrent aussi par les soins qu’elles apportent à leurs petits, que Frédéric Veyrunes a évalués par l’expérience du « pup retrieving ». Celle-ci « consiste à déplacer les petits dans un coin de la cage, puis à mesurer le délai avant que la mère aille les chercher. Les X*Y vont plus vite, et plus souvent, les récupérer ». Des mères attentives donc, mais aussi très possessives : « alors que les femelles des deux autres génotypes intègrent les mâles aux soins parentaux, les X*Y s’occupent généralement seules de leurs petits. Dans les trois jours qui suivent la naissance, il y a de fortes chances qu’elles évincent le mâle en l’agressant ».
Gènes ou hormones ?
Malgré ces particularités comportementales, les femelles X*Y ne présentent aucune différence hormonale notable par rapport aux autres femelles. « Jusqu’à récemment, le dimorphisme sexuel, qui regroupe toutes les différences (morphologiques, comportementales, psychologiques, etc.) entre mâles et femelles, était considéré comme principalement lié aux effets des hormones stéroïdiennes, sécrétées par les gonades », ovaires ou testicules, explique Frédéric Veyrunes. « Or il s’avère qu’une part non négligeable est due à l’action directe des chromosomes sexuels. La souris M. minutoides, chez qui le sexe gonadique est dissocié du sexe chromosomique, nous permet de distinguer les deux ».
Parmi les gènes responsables de cette « masculinisation » comportementale, pourrait figurer le gène MAOA (Monoamine Oxydase A). Frédéric Veyrunes a ainsi montré que le chromosome X* n’en compte qu’une seule copie, alors que le X en contient plusieurs. « MAOA, qui a fait le buzz au début des années 2000, a été qualifié de ‘gène du tueur’ après qu’on a découvert que des criminels étaient plus souvent porteurs de mutations. Chez la souris de laboratoire , l’inactivation de MAOA confère une agressivité accrue. Or MAOA est moins exprimé chez les femelles X*Y que dans les deux autres génotypes ».
Leur comportement agressif ne serait pas donc lié à des différences hormonales, mais au chromosome X* lui-même. Ce constat pourrait largement excéder le cas du gène MAOA : lors d’une analyse du transcriptome (ensemble des gènes transcrits) au niveau du cerveau, 80% des différences entre les génotypes sexuels étaient liées au sexe gonadique, donc aux hormones, mais pas moins de 20% au sexe chromosomique -donc aux chromosomes sexuels. « Il manque encore beaucoup de pièces au puzzle, ce modèle offre tellement de voies à explorer ! », estime Frédéric Veyrunes.
De nombreuses pistes d’exploration
Parmi les pistes à l’étude, la recherche du gène de X* responsable de la différenciation des individus en femelles, en dépit du chromosome Y. Ou encore les raisons de la répartition à 50%/50% entre mâles et femelles, un équilibre démographique qui n’a rien d’évident dans un système à trois chromosomes sexuels.
Le chercheur planche aussi sur les différences de vieillissement entre mâles et femelles, processus en partie lié aux chromosomes sexuels. Chez les mammifères, y compris chez l’humain, la longévité est en général moindre chez les mâles que chez les femelles. A l’inverse des oiseaux, dotés du système ZW : les mâles, homogamétiques ZZ, vivent plus longtemps que les femelles, hétérogamétiques ZW. Lors d’une étude publiée fin 2024, Frédéric Veyrunes a montré que les femelles X*Y, donc hétérogamétiques, connaissaient une sénescence reproductive plus rapide4.
Au-delà de leurs enseignements scientifiques, ces recherches font écho à d’autres questions très actuelles. « Suite à un article que j’ai publié en 20145, deux associations de personnes transgenres m’ont contacté pour me remercier », se rappelle Frédéric Veyrunes. « Ces souris remettent en cause la vision binaire que l’on a des genres. La nature nous prouve qu’il peut y en avoir d’autres »...
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre de l'ANR SEXREV - AAPG2018. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Science Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI JCJC et PRC AAPG 18/19).
- 1. ISEM - Unité CNRS / Université de Montpellier / IRD
- 2. Unusual mammalian sex determination systems: a cabinet of curiosities, Saunders et Veyrunes, Genes. 2021 Nov 8;12(11):1770. doi: 10.3390/genes12111770
- 3. Le caryotype se définit comme l’arrangement standardisé, à partir d’une prise de vue microscopique, de l’ensemble des chromosomes constituant le patrimoine génétique d’un individu
- 4. X*Y females exhibit steeper reproductive senescence in the African pygmy mouse, Lemaître et al., Proc Natl Acad Sci U S A. 2025 Jan 7;122(1):e2412609121. doi: 10.1073/pnas.2412609121
- 5. XY females do better than the XX in the African pygmy mouse, Mus minutoides, Saunders et al., Evolution. 2014 Jul;68(7):2119-27. doi: 10.1111/evo.12387