Différences de longévité entre les sexes : le chromosome Y sous la loupe
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Les femmes ont une durée de vie plus longue que les hommes, un phénomène que l’on observe également chez de nombreux animaux. Le chromosome Y (ou son équivalent chez d’autres animaux) serait-il responsable ?
Entretien avec Miriam Merenciano, généticienne au Laboratoire de Biométrie et biologie évolutive [3]1.
Savons-nous pourquoi la longévité féminine est plus importante que la longévité masculine ?
Miriam Merenciano – C’est encore un sujet de recherche actif. Depuis plus d’un demi-siècle, des suivis de populations ont pu mettre en évidence une différence marquée entre la longévité des hommes et celle des femmes. Chez les humains, les femmes ont une durée de vie plus longue que les hommes. Cet écart varie en fonction des pays, mais en moyenne, les femmes vivent presque 6 ans de plus que les hommes. La question est effectivement de savoir pourquoi.
Notre hypothèse est qu’au moins une partie de cette différence (appelée " sex gap in longevity " en anglais) aurait des origines génétiques qui impliquerait le chromosome sexuel Y chez les hommes. C’est ce chromosome qui serait responsable de leur longévité plus faible. On l’appelle " l’hypothèse du chromosome Y toxique ".
Est-ce que seuls les humains sont affectés par ce "sex gap" ?
M. M. – Non, d’une manière générale, on observe ce lien entre les chromosomes sexuels et la longévité chez les animaux. Chez les mammifères il y a des écarts de longévité notables entre les sexes. Et comme pour les humains, ce sont là encore les femelles, homogamétiques (porteuses de deux mêmes chromosomes X), qui vivent plus longtemps que les mâles (hétérogamétiques, XY).
Chez les oiseaux et, entre autres, certains reptiles, le système de détermination du sexe n’est pas du type X et Y. À la place, ces animaux sont porteurs de chromosomes appelés "Z" et "W". Chez les oiseaux et les reptiles, ce sont les mâles qui sont homogamétiques (ZZ) alors que les femelles sont hétérogamétiques (ZW). Mais là encore, on retrouve la même tendance. Cette fois, ce sont les mâles (ZZ) qui vivent plus longtemps que les femelles (ZW).
D’une manière générale, les membres du sexe hétérogamétique (mâle chez les mammifères et femelle chez les oiseaux et les reptiles) auront la longévité la plus courte.
Couple d'albatros hurleurs dans leur nid, sur l'une des trois îles de l'archipel Crozet © Henri WEIMERSKIRCH / CEBC / CNRS Images
Qu’est-ce qui, dans le chromosome Y, pourrait diminuer la longévité des hommes ?
M. M. – Nous étudions en particulier des zones du chromosome Y appelées "éléments transposables". Ce sont des séquences d’ADN capables de se déplacer dans l'ensemble du génome, générant différents types de mutations. La conséquence de ces mutations est en générale délétère ou neutre, certaines ayant été associées à des maladies comme le cancer. Cependant, l’augmentation de la diversité génétique peut contribuer à l’évolution des espèces et certaines mutations peuvent jouer un rôle fondamental comme par exemple dans la formation du placenta chez les mammifères ou encore certaines résistances aux insecticides chez les insectes.
Ces éléments transposables sont présents dans le génome de toutes les espèces. Chez l’humain, plus de la moitié est constitué d’éléments transposables. Le chromosome Y est particulièrement riche dans ces séquences. L’hypothèse est que ces éléments, avec le vieillissement, pourraient être activés, provoquant plus de mutations et réduisant ainsi la longévité des hommes.
Sur quelles espèces concentrez-vous vos recherches ?
M. M. – Dans mon travail j’utilise des drosophiles (qu’on appelle aussi " mouches du vinaigre ") comme organisme modèle, mais nous sommes également intéressés par l'étude de l'hypothèse du chromosome Y toxique chez d'autres animaux ainsi que chez les humains.
Nos recherches se découpent en plusieurs parties :
Dans la première, nous avons justement étudié la corrélation entre la différence de longévité des mâles et des femelles, et la présence du chromosome Y ou W. Ces travaux se sont penchés à la fois sur les mammifères mais aussi sur les oiseaux et les reptiles. Nous avons ainsi mis en évidence ce lien entre baisse de longévité et sexe hétérogamétique (présence du chromosome Y chez les mammifères mâles ou W chez les oiseaux et reptiles femelles).
Dans la seconde partie, nous nous sommes concentrés sur l’humain pour étudier l’influence du chromosome Y. Pour cela, nous nous sommes en particulier concentrés sur des individus ayant un caryotype (arrangement des chromosomes) autre que XX/XY. Les personnes atteintes du syndrome de Klinefelter (XXY) ou du syndrome de Jacob (XYY) ont un chromosome sexuel supplémentaire par rapport au reste de la population, soit un X soit un Y. Nous avons pu montrer que l'addition d'un chromosome augmente effectivement l'expression des éléments transposables, de manière encore plus marquée si ce chromosome additionnel est un Y (dans le cas du syndrome de Jacob).
Que peut nous apporter l’étude de la mouche drosophile dans l’étude de ces écarts de longévité ?
M. M. –Dans la troisième partie du projet, nous nous sommes en effet penchés sur le cas des drosophiles, une espèce plébiscitée en biologie et en génétique. Leur génome est plus petit que le nôtre mais a entièrement été catalogué, ce qui permet de les étudier facilement. De plus, ces animaux sont eux-mêmes très petits (quelques millimètres de longueur), ce qui permet d’étudier un grand nombre d’individus. Enfin, les drosophiles ont un cycle de vie relativement court (quelques semaines), ce qui, là encore, facilite l’étude de leur longévité et leur suivi sur plusieurs générations.
Dernier élément, et pas des moindres : la génétique des drosophiles est assez similaire à celle des humains. Elles sont, elles aussi, constituées de mâles XY et de femelles XX. Ce sont donc d’excellents modèles dans nos recherches.
Drosophiles anesthésiées par le froid. Cet organisme modèle est utilisé dans le cadre de ce projet de recherche sur le chromosome Y © Simon BIANCHETTI / LBBE / CNRS Images
Quelles expériences ont été menées sur ces mouches drosophiles ?
M. M. – Nous avons tout d’abord mesuré la longévité de plusieurs espèces de drosophiles (Drosophila melanogaster, Drosophila simulans et Drosophila suzukii) et nous avons observé qu’à chaque fois, la longévité des mâles était effectivement plus courte que celle des femelles. Par contre, l’écart de longévité entre les mâles et les femelles était différente d’une espèce à l’autre et aussi différente en fonctions des souches utilisés. Cet écart est moins important chez Drosophila suzukii par rapport aux deux autres espèces.
En parallèle, nous avons aussi pu observer que beaucoup d’éléments transposables sont surexprimés chez les mouches mâles âgées, par rapport aux femelles âgées.
Mais comment vérifier que le responsable est bien le chromosome Y ?
M. M. – Pour répondre à cette question, nous avons voulu transposer le chromosome Y d’une souche (caractérisée par un sex gap petit entre les mâles et les femelles) vers une autre (avec un sex gap important) et observer les conséquences en termes de longévité.
Nous avons donc croisé plusieurs fois des mâles de la première souche avec des femelles de la deuxième, afin d’obtenir une souche possédant la génétique de la seconde, mais avec le chromosome Y de la première.
Au final, cela revient à prendre le chromosome Y de l’une des souches et à le déplacer dans l’autre.
En savoir plus: Différences de vieillissement et de longévité entre les sexes : le rôle des chromosomes sexuels à l’étude dans le projet ANR LongevitY. [4]
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-Longevity-AAPG2020. [5] Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018/2019 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 18/19).
- 1. Unité CNRS, Université Claude Bernard Lyon1, Vétagro Sup