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Comprendre les rouages du chant intérieur des oiseaux

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Comprendre les rouages du chant intérieur des oiseaux
28.10.2025, par Anaïs Culot pour la Délégation CNRS Île-de-France, Gif-sur-Yvette

Quand l’oiseau se tait, son cerveau continue de chanter. Derrière ces échos en apparence silencieux demeure une même question : comment le cerveau consolide-t-il un apprentissage sensorimoteur ?

Aucun geste maîtrisé n’est apparu sans la répétition de gestes maladroits : une chute à vélo, une fausse note au piano, un mot prononcé de travers. Essayer, se tromper, corriger, recommencer, c’est là que tout se joue. Car à chaque tentative, notre cerveau affine la coordination entre ce que nous faisons et ce que nous percevons. C’est le cœur de l’apprentissage sensorimoteur.

Mais que se passe-t-il dans la tête de celui qui apprend ? L’apprentissage sensorimoteur se matérialise par une conversation entre plusieurs régions du cerveau, à savoir le cortex, les ganglions de la base et le thalamus. Reste à comprendre comment ces zones dialoguent. C’est tout l’objet du projet SleepinBrainDyn, dirigé par Nicolas Giret, chercheur CNRS à l’Institut des neurosciences Paris-Saclay (NeuroPSI)[1].

Son équipe a littéralement mis le cerveau sur écoute. De Saclay, à Bordeaux en passant par Zurich et Munich, elle explore comment les régions du cerveau communiquent pendant un apprentissage, au repos ou pendant le sommeil, et comment ces moments de calme apparents pourraient aider à consolider les apprentissages sensorimoteurs.

Ce projet est financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), dont l’objectif est de soutenir l’excellence de la recherche et l’innovation française sur le plan national, européen et international.

Des oiseaux bavards

Pour percer la conversation intérieure au cœur de nos apprentissages sensorimoteurs, il faut tout d’abord trouver un cerveau qui accepte de parler. Les scientifiques du projet SleepinBrainDyn se sont tournés vers l’oiseau chanteur, en particulier le diamant mandarin. Apprendre à chanter, pour lui, c’est un peu comme apprendre à parler pour l’humain. Il écoute, imite, recommence — jusqu’à maîtriser un chant fixé pour la vie, avec seulement de légères variations d’une exécution à l’autre.

Son cerveau possède un réseau dédié au chant, composé notamment du LMAN[2] et de l’aire X, deux noyaux du cerveau rappelant le cortex et les ganglions de la base chez les mammifères. Nouveauté ? Jusqu’ici, les neuroscientifiques enregistraient l’activité d’une seule de ces zones à la fois. « On sait ce que font les neurones du LMAN et ce que font ceux de l’aire X, mais pas comment ils s’influencent mutuellement », souligne Nicolas Giret.

Le projet a ainsi permis d’enregistrer, pour la première fois et en simultané, des centaines de neurones dans ces deux régions grâce à une sonde ultralégère. Une avancée essentielle pour explorer leur coordination pendant l’éveil et le sommeil.

Silence, j’écoute

En analysant l’activité électrique des neurones du LMAN et de ceux de l’aire X chez des oiseaux endormis, l’équipe a observé des synchronisations brèves entre les deux régions qui sont plus importantes que celles mesurées chez des oiseaux éveillés, mais silencieux. Ces activités dites « spontanées » montrent que le cerveau reste actif au repos. « Ces coactivations rappellent ce que nous observons chez les mammifères pendant le sommeil dans des contextes de consolidation de la mémoire. Cela pourrait laisser penser qu’un processus similaire intervient dans l’apprentissage du chant », précise Nicolas Giret.

Pour approfondir cette idée, l’équipe a soumis des oiseaux adultes à une tâche d’apprentissage vocal : chaque fois qu’une note de leur chant descendait en dessous d’un certain seuil de fréquence, un bruit blanc était émis vers l’individu. En réponse, les oiseaux ont rapidement appris à modifier leur chant pour éviter ce son, illustrant une forme de plasticité du chant, c’est-à-dire la capacité d’adapter un comportement déjà maîtrisé. En perturbant parallèlement l’activité spontanée des réseaux de neurones de l’étude lors de période d’éveil silencieux (hors chant), cette plasticité s’est nettement réduite. De quoi conforter l’idée qu’une part de l’apprentissage se joue quand l’oiseau ne chante pas, éveillé ou endormi.

Poursuivre la boucle

Les données collectées sont encore en cours d’analyse. À terme, elles devraient aider à comprendre comment l’information circule entre le LMAN et l’aire X, et si cette dynamique change selon le contexte. Par exemple, quand l’oiseau chante seul ou pour une femelle, car sa motivation n’est pas la même et son chant peut être plus ou moins variable selon le contexte d’expression. De nouveaux enregistrements de l’activité des neurones à plus haute résolution sont aussi prévus afin d’identifier plus finement les neurones impliqués dans les échanges.

Par ailleurs, d’autres espèces, comme le canari, dont le chant évolue au fil des saisons, pourraient également être étudiées. Autant de pistes pour explorer un même mystère : comment le cerveau continue d’apprendre quand tout semble immobile.

 
[1] Unité CNRS/Université Paris-Saclay
[2]LateralMagnocellular Nucleus of the AnteriorNidopallium

URL source:https://lejournal.cnrs.fr/nos-blogs/focus-sciences/comprendre-les-rouages-du-chant-interieur-des-oiseaux

Liens
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