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Matière noire : la recherche passe à l'axion

Dossier
Paru le 27.10.2023
Une année sous le signe de la physique

Matière noire : la recherche passe à l'axion

05.09.2023, par
Illustration d'un axion, candidat à la matière noire.
Face aux résultats décevants d’autres candidats pour expliquer la matière noire, une particule conceptualisée il y a plus de 40 ans revient sur le devant de la scène : l’axion.

C’est un voyage qui nous mène à la croisée des chemins entre la cosmologie, l'astrophysique et la physique des particules. Il démarre en 1933 avec une observation astrophysique : la matière visible ne suffit pas à rendre compte des mouvements des étoiles dans les galaxies et des galaxies dans les amas galactiques. Il faut ajouter une matière « noire », invisible, interagissant très peu avec la matière ordinaire. Bien qu’elle représenterait 84 % de la densité totale de matière de l’Univers, cette matière noire demeure aujourd’hui hypothétique et sa nature encore mystérieuse : « si l’on ne sait pas de quoi est faite la matière noire, on sait maintenant que ce n’est rien de ce qui est déjà connu », résume Fabrice Hubaut, directeur de recherche CNRS au Centre de physique des particules de Marseille1.

Parmi les candidats, figure une particule appelée « axion ». Elle avait été proposée, au départ, pour résoudre un tout autre défi, cette fois-ci en physique des particules.

Des paramètres trop ajustés

Le modèle standard de la physique des particules est une théorie qui décrit l’ensemble des particules observées et leurs interactions : il n’a jamais été mis en défaut à ce jour par les expériences, mais sa formulation contient quelques limitations. En particulier, les observations contraignent la valeur de certains paramètres sans explication théorique sous-jacente. On remarque par exemple dans les années 1970 qu’un paramètre de la théorie qui régit la structure et la stabilité des atomes prend une valeur extrêmement petite.

Si l’on ne sait pas de quoi est faite la matière noire, on sait maintenant que ce n’est rien de ce qui est déjà connu.

Or ce paramètre a deux contributions : l’une liée à l’interaction forte qui structure le noyau des atomes, l’autre à la force électrofaible – qui unifie électromagnétisme et force responsable de la désintégration radioactive des particules. « Dans le modèle standard, ces deux forces n’ont aucun lien apparent. Mais, pour que le paramètre soit proche de zéro, il faut que ces deux contributions se compensent exactement », relève Jérémie Quevillon, théoricien CNRS au Laboratoire de physique subatomique et de cosmologie2.

Deux physiciens, l’italien Roberto Peccei et l’australienne Helen Quinn, proposent alors un mécanisme permettant de résoudre ce problème dit « CP fort ». Steven Weinberg et Frank Wilczek, qui recevront le prix Nobel de physique pour d’autres travaux, en déduisent l’existence d’une particule baptisée « axion » – du nom d’une marque de lessive, car son existence « nettoyait » le problème !

L’axion, un candidat sérieux

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. La particule ainsi modélisée possède des couplages très élevés avec les autres particules du modèle standard et aurait donc pu être observée dans les accélérateurs de particules de l’époque. « Cet axion est exclu par les données dès les années 1980, raconte Julien Lavalle, du Laboratoire Univers et particules de Montpellier3. On passe alors au modèle de l’axion invisible avec un mécanisme réduisant ces couplages problématiques tout en gardant les propriétés qui répondent au problème CP fort. » L’axion devient alors arbitrairement léger… ce qui en fait un excellent candidat à la matière noire pour des masses de l’ordre du millionième de milliardième de la masse du proton. Mais ces propriétés le rendent difficile à détecter.

Intérieur du détecteur de matière noire XENONnT.
Intérieur du détecteur de matière noire XENONnT.

« Les axions sont des candidats sérieux depuis 40 ans pour expliquer la matière noire », appuie Julien Lavalle. Mais d’autres particules candidates existent. En particulier, les Weakly interacting massive particles (WIMPs) ont été proposées suite à une histoire similaire à celle des axions, sur la base d’un autre problème de physique des particules, et possèdent des propriétés intéressantes pour l’observation. Contrairement aux axions, les WIMPs seraient produites plus communément à partir du plasma primordial à la naissance de l’Univers, au même titre que la matière ordinaire. « Les recherches se sont donc d’abord concentrées sur les WIMPs, mais aucune n’a encore mené à une observation fiable. Il y a donc un regain d’intérêt pour les axions aujourd’hui », conclut le chercheur. D’autant plus que les avancées technologiques permettent aujourd’hui d’envisager la découverte de matière noire sous forme d’axions.

Des méthodes directes et indirectes

Quand on cherche un axion, avec sa toute petite masse, utiliser un accélérateur de particules en espérant faire interagir la particule avec un atome d’un détecteur – méthode très utilisée pour les WIMPs – ne fonctionne pas. Mais cette légèreté implique aussi que les axions doivent être présents en bien plus grand nombre que les WIMPs pour donner la même masse de matière noire. Il y aurait ainsi plusieurs centaines de milliards de particules par centimètre cube. Ils ont dès lors un comportement plus proche de l’onde que de la particule individuelle, ce qui permet d’envisager d’autres méthodes de détection.

Pour faire un bon haloscope, il faut trois ingrédients majeurs : un fort champ magnétique, un milieu résonant à très basse température pour éviter tout bruit thermique, et une bonne amplification du signal.

La principale utilise le couplage des axions aux photons, ces particules élémentaires qui transportent l'énergie de la lumière. Une méthode « paradoxale », s’amuse Jérémie Quevillon, « puisque par définition on ne voit pas la matière noire ». Grâce à l'application d'un champ magnétique, il serait possible de convertir des axions en photons, que l’on sait étudier. Et ce grâce à un appareil appelé « haloscope ». « Pour faire un bon haloscope, il faut trois ingrédients majeurs : un fort champ magnétique, un milieu résonant à très basse température (inférieure à 50 millikelvin) pour éviter tout bruit thermique, et une bonne amplification du signal », liste le chercheur.

A gauche, le montage du prototype de l'haloscope Baby-GrAHal, conçu et développé à l’Institut Néel. A droite, vue de dessus de la bobine hybride supraconductrice au LNCMI (Laboratoire National des Champs Magnétiques Intenses) devant servir au projet GrAHal.
A gauche, le montage du prototype de l'haloscope Baby-GrAHal, conçu et développé à l’Institut Néel. A droite, vue de dessus de la bobine hybride supraconductrice au LNCMI (Laboratoire National des Champs Magnétiques Intenses) devant servir au projet GrAHal.

Or, les laboratoires situés à Grenoble cumulent des expertises mondialement reconnues dans ces trois domaines. L’expérience GrAHal (pour Grenoble Axion Haloscopes) qui s’y trouve prend en ce moment ses premières données sur un prototype avancé. À terme, une plateforme intégrera de nombreux haloscopes fonctionnant en parallèle; notamment l'haloscope Baby-GraAHal, qui a été entièrement conçu et développé à l’Institut Néel. En effet, l’amplification du signal est réalisée grâce à des cavités résonantes qui ont l’inconvénient de devoir être réglées sur la masse supposée de l’axion. Cela nécessite soit de multiplier les haloscopes, soit d’effectuer des réglages constants pour scanner l’ensemble des masses possibles.

Prototype de l’expérience MadMax.
Prototype de l’expérience MadMax.

« L'idée de l’expérience MadMax4, dont je suis responsable en France, est d'aller au-delà de ces limitations », explique Fabrice Hubaut. Ce nouveau type de résonateur se base sur un enchaînement de miroirs semi-transparents qui vont à la fois laisser passer et réfléchir l’onde électromagnétique qu’est la lumière : en superposant ainsi les ondes, on amplifie le signal. Pour tester plusieurs masses, il suffit alors de déplacer les miroirs les uns par rapport aux autres. 

Nous cherchons des signaux inexpliqués qui pourraient traduire la conversion d’axions en photons, par exemple dans le halo de notre galaxie où doit se trouver de la matière noire.

« Nous sommes encore dans une phase de R&D avec de nombreux défis à tous les niveaux : les miroirs doivent être bien lisses, le champ magnétique intense, l’appareillage pour déplacer les miroirs très précis, le tout à très faibles températures », prévient le physicien. MadMax est une des expériences en cours de développement au sein du Dark Matter Lab, officiellement lancé en juin 2023. Cet International Research Laboratory associe le CNRS à trois institutions de recherche parmi les plus importantes et prestigieuses en Allemagne5. Il testera plusieurs méthodes de détection de différents composants possibles de la matière noire.

De son côté, au Laboratoire d'Annecy-le-Vieux de physique théorique6, Francesca Calore étudie les signatures des particules proches de l’axion dans les données de l'astrophysique à haute énergie. Une approche indirecte basée sur les données collectées par des télescopes terrestres ou spatiaux. « Nous cherchons des signaux inexpliqués qui pourraient traduire la conversion d’axions en photons, par exemple dans le halo de notre galaxie où doit se trouver de la matière noire », détaille la chercheuse qui s’intéresse aussi au cas où l’axion existerait sans entrer dans la composition de la matière noire.

Le mystère reste entier

En effet, d’autres expériences cherchent par exemple des axions qui pourraient être produits au cœur d’étoiles comme le Soleil ou lors de la fin de vie explosive d’étoiles massives (les supernovae). « Toute la difficulté consiste à avoir une compréhension complète et fine de l’ensemble des autres phénomènes astrophysiques qui composent le fond des données, afin d’isoler un véritable signal. C’est un défi théorique et technique fascinant ! » témoigne Francesca Calore.

Image composite montrant l'amas de galaxies 1E 0657-56, aussi connu sous le nom d'amas du Boulet.
Image composite montrant l'amas de galaxies 1E 0657-56, aussi connu sous le nom d'amas du Boulet.

À ce jour, aucune recherche directe ou indirecte, ni même les quelques expériences de laboratoire tentant de produire des axions à partir de photons (le couplage fonctionnant dans les deux sens), n’ont donné de résultat. Mais chaque expérience permet de restreindre l'espace de paramètres possibles et de poser des contraintes sur le modèle de la particule axion. « Je suis agnostique, dans la vie mais aussi dans la recherche, confie Francesca Calore. Bien que les motivations théoriques pour les axions soient très convaincantes, il faut garder en tête qu’ils pourraient ne pas composer la matière noire, voire ne pas exister. Mais nous avons des données intéressantes qu’il faut explorer. »

« Faire un test qui n'a jamais été fait auparavant, même si le résultat est négatif, reste une avancée majeure : on crée de la connaissance », confirme Fabrice Hubaut qui tient à préciser que la matière noire pourrait aussi bien être des trous noirs primordiaux, une gravité modifiée ou encore un mélange de différents types de particules, déjà envisagées ou encore à conceptualiser. Le mystère reste entier, mais le voyage continue : les scientifiques envisagent déjà d’autres expériences. Car la matière noire fait toujours briller leurs yeux. ♦

Notes
  • 1. Unité CNRS/Aix-Marseille Université.
  • 2. Unité CNRS/Université Grenoble Alpes.
  • 3. Unité CNRS/Université de Montpellier.
  • 4. Pour MAgnetized Disc and Mirror Axion eXperiment.
  • 5. Deutsches Elektronen-Synchrotron (Synchrotron allemand à électrons, DESY), Gesellschaft für Schwerionenforschung mbH (Centre de recherche sur les ions lourds, GSI), Karlsruher Institut für Technologie (Institut de technologie de Karlsruhe, KIT).
  • 6. Unité CNRS/Université Savoie Mont Blanc.

Commentaires

1 commentaire

Dans son dernier livre "L'Univers comme expérience de pensée", J. Perdijon fait remarquer que, si le plateau des courbes de rotation des galaxies se prolonge, c'est que le fluide cosmique se modifie au fur et à mesure qu'on s'éloigne du noyau sous l'effet de l'expansion: son coefficient d'état gamma passe progressivement de1 à 2/3, ce qui correspond au passage d'un nuage de poussières (pression nulle) à un trou noir (masse proportionnelle au rayon). Cela impliquerait une continuité vers un univers-trou noir (pas loin des données expérimentales), qui enflerait à la vitesse de la lumière. Ce raisonnement se rapproche de la théorie MOND qui remplace une gravitation en 1/r² par 1/r, mais sans son côté ad hoc. Et cela permet surtout de se passer de particules introuvables comme l'axion!
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