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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches bénéficient du label « Science avec et pour la société » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
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Plongée au cœur des fluides conducteurs
04.12.2023, par Anaïs Culot
Mis à jour le 04.12.2023

Certains fluides dissipent ou convertissent de l’énergie sous l’effet d’un champ magnétique. Des batteries à métal liquide à la mort d’une étoile, suivez le périple expérimental du projet MagnetDrive qui repousse les limites de notre compréhension de ces transformations d’énergie.

Dans les méandres de la mécanique des fluides, Christophe Gissinger explore les transformations d’énergie à grande échelle. Le chercheur au Laboratoire de physique de l’ENS1 s’intéresse à des fluides comme les métaux liquides, les plasmas et l’eau salée qui partagent un potentiel commun : celui de conduire l’électricité. Son objectif : comprendre comment ils convertissent ou dissipent efficacement de l’énergie lorsqu’ils sont soumis à un champ magnétique et à un courant électrique.
Leur omniprésence autour de nous fait qu’ils interviennent dans une grande diversité de phénomènes, notamment astrophysiques et industriels. Le chercheur a d’ailleurs placé ces deux domaines au cœur de son projet ANR MagnetDrive2 : « Nous avons mis en place une série d’expériences originales, complétées par des simulations numériques, qui nous ont permis de reproduire différents phénomènes naturels et industriels pour percer certains de leurs mystères depuis notre laboratoire », précise Christophe Gissinger.

Des batteries à métaux liquides

Afin d’allonger la durée de vie des batteries, chercheurs et industriels explorent le potentiel de technologies à base de métaux liquides. Finies les cathodes et anodes solides sujettes à la corrosion et aux pertes d’énergie ! C’est tout du moins les limites des technologies actuelles que cette nouvelle génération de batteries ambitionne de contourner.
Afin de reproduire ce système « tout-liquide », Christophe Gissinger a mis en place une expérience utilisant du mercure et du gallium qui sont tous deux liquides à température ambiante. Ces métaux ont été superposés dans un conteneur cylindrique soumis à des champs électriques ou à des gradients de température. Les conditions expérimentales ont permis de reproduire l’environnement interne aux batteries lors des phases de charge et de décharge. « Nous avons observé que ces métaux génèrent un courant électrique sous l’effet d’un gradient de température. C’est le phénomène de thermoélectricité qui est bien connu avec des composés solides, mais nous l’avons observé pour la première fois sur des liquides », s’enthousiasme le physicien. Ce dernier planche déjà sur de nouvelles expériences afin de scruter en profondeur les mécanismes mis en jeu à l’interface entre les deux métaux. Peut-être aideront-elles à déterminer comment exploiter cette transformation d’énergie à l’avenir.
© Timothé Paire / LPENS / CNRSBatterie à métaux liquides en cours de remplissage. © Timothé Paire / LPENS / CNRS

Un pont industrialo-galactique

Plusieurs systèmes industriels impliquant des fluides conducteurs sont sujets aux transformations d’énergie. Des champs magnétiques ou des courants électriques servent, par exemple, à pomper des métaux liquides pour refroidir des centrales nucléaires. Ce phénomène de pompage – qui permet de déplacer les fluides – est dû à la variation temporelle du champ magnétique qui leur est appliqué. Au cours de ses recherches, Christophe Gissinger s’est rendu compte que ce phénomène industriel existe aussi en astrophysique !
À plusieurs millions de kilomètres de nous, la lune Europe orbite autour de Jupiter. Ce satellite naturel est recouvert d’une croûte glacée sous laquelle se trouve un très vaste océan d’eau salée. « Jupiter émet un champ magnétique qui varie au cours du temps. Autrement dit, elle se comporte comme une pompe magnétique géante qui met en mouvement l’océan d’Europe », décrit le chercheur. Ces recherches ont notamment estimé que les courants océaniques ainsi induits pourraient contribuer à l’apparition des fissures observées à la surface de la croûte glacée de cette lune. Et c’est loin d’être le seul phénomène astrophysique à impliquer des fluides conducteurs !
Surface d’Europe © Nasa / JPL-Caltech / SETI InstituteSurface de la lune Europe. ©Nasa / JPL-Caltech / SETI Institute

Une étoile est née
 
« 99 % de la matière de l’Univers est du plasma capable de dissiper d’importantes quantités d’énergie, par exemple, lorsqu’une étoile meurt et se transforme en trou noir », expose Christophe Gissinger. Avec son équipe, le chercheur a recréé en laboratoire des disques d’accrétion, des amas de gaz et de matière en orbite autour d’un objet céleste. À la mort d’une étoile, ce disque tourne de plus en vite jusqu’à s’effondrer violemment sur le trou noir. Autrement dit, le gaz perd de l’énergie d’une manière très efficace entraînant la chute de la matière. Mais comment l’expliquer ?
Afin de reproduire cette danse chaotique, les chercheurs ont utilisé un conteneur cylindrique formant un disque très fin rempli d’un métal liquide (conducteur comme le plasma). Les effets de la gravité observés dans un trou noir ont été reproduits en injectant un courant électrique dans le disque, lui-même placé au sein d’un champ magnétique. Les conditions de rotation du métal liquide de l’expérience étaient ainsi analogues à celles des disques d’accrétion. « Nous avons démontré que la turbulence - c'est-à-dire la nature chaotique et désordonnée de l’écoulement du fluide qui compose le disque d’accrétion en rotation - est responsable de la perte d’énergie observée lors de la mort d’une étoile », explique Christophe Gissinger.
L’ironie veut que ce mécanisme soit également impliqué à la naissance de certaines étoiles. Lors de leur formation, celles-ci se contractent sur elles-mêmes et tournent de plus en plus vite, à l’image d’un patineur artistique qui replie ses bras contre son corps afin de conserver son moment cinétique. Peu de temps après, le cœur de ces astres ralentit de manière spectaculaire. « Les lois physiques sont les mêmes que précédemment, mais cette fois-ci, l’étoile « freine » sa propre course grâce à la turbulence », ajoute le physicien.
Simulation du champ magnétique d’une étoile  © Christophe GissingerSimulation montrant le champ magnétique intense généré à l'intérieur d'une étoile (lignes blanches). Ce champ magnétique engendre de fortes turbulences du plasma (lignes bleues) des régions internes de l’étoile, qui ralentissent. Le champ magnétique étant toroïdal (en forme de tore ou de beignet) et situé en profondeur, il est caché de l’extérieur. © Christophe Gissinger

À un an du terme de MagnetDrive, le chercheur commence à envisager la suite : « Ce projet m’a permis de mettre en place une équipe autour de moi, de m’équiper et de réaliser des expérimentations nouvelles. Nous avons ainsi identifié plusieurs phénomènes astrophysiques et industriels qui pourraient être étudiés via de nouvelles expériences ».

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-MagnetDrive-AAPG2019. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projets Science Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PPRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 18/19).

Notes
  • 1. Unité CNRS/ENS – PSL/ Sorbonne Université/Université Paris Cité
  • 2. MagnetDrive : Transformations d'énergies contrôlées par instabilités magnétohydrodynamiques - de l'astrophysique aux applications industrielles

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