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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches bénéficient du label « Science avec et pour la société » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
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Rare et cher, le palladium adopte un plan de sobriété
31.08.2023, par Samuel Belaud, Délégation Rhône Auvergne
Mis à jour le 31.08.2023
Métal rare, plus précieux que l’or, le palladium est une pierre angulaire de l'industrie chimique et pharmaceutique. Les scientifiques tentent de trouver des alternatives à son utilisation.

1979, les chercheurs japonais Akira Suzuki et Norio Miyaura révolutionnent la chimie moderne en décrivant et concevant une réaction de couplage de deux atomes de carbone à l'aide d'un catalyseur (accélérateur) métallique, du palladium dans ce cas. Cette méthode a ouvert le champ des possibles à toute la communauté scientifique mondiale, qui s’est - depuis - appuyée dessus pour créer des milliers de produits chimiques complexes, utilisés notamment dans la synthèse de médicaments innovants : anticancéreux, antiviraux, antibiotiques…

Un métal aux précieuses fonctions
 
Les travaux d'Akira Suzuki et ceux de deux autres chimistes, Richard Heck et Ei-ichi Negishi, ont été récompensés en 2010 par le prix Nobel de chimie pour leurs contributions au développement du couplage croisé catalysé au palladium. Le prix récompense le caractère disruptif de ce procédé pour « la recherche, ainsi que la production pharmaceutique et de molécules utilisées dans l'industrie électronique ». Au cœur de ce couplage, un catalyseur utilisant du palladium, un métal dont les propriétés exceptionnelles et la rareté suscitent l'intérêt de la communauté scientifique mondiale.

Valérie Meille, chimiste à l’Institut de Recherches sur la Catalyse et l'Environnement de Lyon (Ircelyon1), coordinatrice du projet HYPERCAT2 initié et mené par le laboratoire Chimie, Catalyse, Polymères et Procédés (CP2M3) en collaboration avec l'Ircelyon, explique que le palladium est indispensable à la réussite de la réaction de couplage dite de Suzuki-Miyaura. « Nous n'avons pas trouvé mieux jusqu'à présent et les chimistes du monde entier en font usage, expose-t-elle. Le problème tient à son coût qui ne cesse d'augmenter, son recyclage pratiquement inexistant et le fait qu'il soit un métal très peu abondant sur Terre. » Sa disponibilité est d’autant plus scrutée que la pharmacochimie n’est pas le seul secteur pour lequel le palladium est convoité. L’industrie automobile en consomme ainsi une importante quantité (80 % des réserves annuelles) pour les pots catalytiques des véhicules à essence, au sein desquels le métal permet de convertir les émissions toxiques (CO et NOx) en composés moins néfastes (diazote N2 et dioxyde de carbone CO2).

Faute de mieux, la communauté scientifique se concentre sur l’optimisation et l’efficacité du palladium dans les procédés catalytiques existants. Une ambition particulièrement cruciale au regard de la provenance de cette précieuse ressource. Valérie Meille rappelle en effet que les mines de métaux nobles auxquelles le palladium est associé (platine, cuivre, nickel) sont « essentiellement situées en Russie et en Afrique du sud. Les filons sont très ténus et les conditions d’exploitation souvent opaques ».

Moins de métal, pour plus d’efficacité
 
La concentration de palladium actuellement tolérée dans les produits pharmaceutiques est d’environ 10 ppm (parties par million), soit 10 milligrammes pour 1 kilogramme de matière. Les scientifiques se sont fixé pour objectif de réaliser la réaction de Suzuki-Miyaura avec des catalyseurs dont la teneur en palladium n’est plus de l'ordre du ppm, mais de celui du ppb (parties par milliard), soit 1 microgramme pour 1 kilogramme. Leur recherche vise à déterminer les conditions dans lesquelles une très faible concentration en palladium peut permettre de réaliser cette réaction, sans compromettre son efficacité.

Pour atteindre cet objectif, les scientifiques ont d’abord travaillé sur la création de catalyseurs solides utilisés dans un réacteur dit "continu", qui fonctionne de manière similaire à une machine à café. Le catalyseur est immobilisé dans la colonne du réacteur (voir ci-dessous) et joue le rôle d'un filtre à café au travers duquel passe, non pas de l'eau, mais des réactifs. Le palladium qui va se décrocher de ce catalyseur initial (du filtre) va ensuite passer en solution. Ce phénomène d'extraction par lavage et percolation est appelé la lixiviation.

Colonne du réacteur dans lequel le catalyseur est immobilisé © Raz Sabrina
Montage opératoire permettant le suivi de la lixiviation et de la conversion en plusieurs points © CNRS - Raz Sabrina

Cette première étape aboutie, les chercheurs impliqués dans le projet ont ensuite regardé la quantité et l’activité du palladium lixivié. Ils ont ainsi observé que la conversion des réactifs augmentait au fur et à mesure du séjour dans les tubes placés en aval de la colonne. Forts de cette découverte, les scientifiques considèrent les nouveaux catalyseurs, dérivés du premier filtre, comme « hyperactifs ». C’est-à-dire qu’ils n’ont besoin que d’une très faible teneur en palladium pour être efficaces : « nous avons observé une activité catalytique significative entre 15 et 20 ppb de palladium à la sortie de la colonne, et même avec seulement 2 ppb après plusieurs réutilisations des solutions » relève la chimiste lyonnaise, non sans dissimuler une pointe d’enthousiasme.

Schéma du montage © Valérie Meille
Schéma de principe de l'expérience avec la colonne catalytique et les différents points de prélèvement © Amira Jabbari-Hichri

Embarquer l’industrie
 
La réduction de l’apport en palladium dans les procédés catalytiques s’inscrit dans une démarche globale de sobriété vis-à-vis des ressources naturelles qu’offre notre planète. En parvenant à développer des catalyseurs moins gourmands en palladium, les recherches menées par le consortium permettent d’envisager leur transfert à l’échelle industrielle. Les équipes de scientifiques ambitionnent en effet d’adapter ces nouveaux catalyseurs à la synthèse de molécules médicamenteuses et évaluent actuellement leurs performances à des débits importants, propres à l’industrie pharmaco-chimique mondialisée.

Afin de pallier l'épuisement progressif du métal et l’augmentation continue de son prix, les acteurs du secteur ont ainsi tout intérêt à explorer des voies novatrices pour optimiser son utilisation et réduire les coûts, telles que celle proposée par les équipes de l’Ircelyon et du CP2M. D’autant plus que les alternatives basées sur la combinaison d'autres métaux se révèlent trop peu efficaces par rapport aux résultats obtenus avec le palladium.

Le travail des chimistes lyonnais ouvre la voie à une utilisation moins dispendieuse et plus durable de cet élément, dont le nom est inspiré de Pallas Athéna, déesse grecque de la sagesse plus connue sous le nom d’Athéna. Prémonitoire ? Avant d’être pleinement activé, le “plan de sobriété” du palladium a quoi qu’il en soit trouvé sa muse.

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR-HYPERCAT-AAPG2018. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI-JCJ et PRC AAPG 18/19).

 

Notes
  • 1. Unité CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1
  • 2. Le projet HYPERCAT (Génération d’espèces catalytiques hyperactives en phase liquide à partir de précurseurs nanoparticules ou moléculaires greffés sur solide) regroupait C. de Bellefon et C. Thieuleux, chercheurs au CP2M et V. Meille, L. Djakovitch et F. Rataboul, chercheurs à l'Ircelyon.
  • 3. Unité CNRS, CPE-Lyon, Université Claude Bernard Lyon 1

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