Etana et la création de la royauté
A la une
Alors que plusieurs chefs d’État dans le monde s’accrochent à leur mandat par tous les moyens, modifiant la constitution de leur pays au risque de faire disparaître la démocratie, le pouvoir dans d’autres pays est perpétué par les fils qui succèdent à leur père. Mais encore faut-il avoir des enfants pour créer une telle dynastie. C’est le problème auquel fut confronté Etana [3], roi de Kish [4], qui n’avait pas de descendant.
Trois versions du mythe d’Etana rédigées en akkadien ont survécu, connues par plusieurs copies. Les versions les plus anciennes datent du début du IIe millénaire, mais le mythe existait déjà au IIIe millénaire comme en témoignent des scènes de sceaux-cylindres de l’époque d’Akkad (2335-2200) montrant le héros sur le dos d’un aigle. Le texte le plus complet provient de la bibliothèque d’Assurbanipal à Ninive [5] et date du 7e siècle. Le récit couvrait à l’origine trois tablettes, peut-être quatre, d’environ 150 lignes chacune. Son auteur, selon un catalogue d’œuvres littéraires cunéiformes, serait Lu-Nanna, l’un des sages de la ville d’Ur [6].
Tablette de l'épopée d'Etana, Bibliothèque d'Assurbanipal à Ninive.
Le récit débute après la création de l’humanité, alors que les hommes commençaient à vivre dans de grands centres urbains, dont la ville de Kish. C’est alors que les dieux se rendirent compte qu’ils avaient omis de créer des institutions politiques appropriées pour gérer de telles agglomérations.
Les créateurs des quatre régions du monde, les fondateurs de toute création
Par commande d’eux tous, les grands dieux avaient décrété la fête pour les gens
Ils n’avaient pas installé de roi sur les populations abondantes
Conseillés par Ishtar [7] et sous l’égide d’Enlil [8], les dieux inventèrent la royauté et ses attributs et désignèrent Etana comme roi de Kish. La Liste royale sumérienne [9] confirme que, après le Déluge [10], la royauté fut en effet tout d’abord exercée à Kish. En revanche Etana en serait le treizième souverain. Il y est défini comme « le pasteur, celui qui monta au ciel, qui mit en ordre tous les pays ». Selon les différentes versions, il y aurait régné entre six cent trente-cinq ans et mille cinq cents ans.
Bien que plusieurs fois centenaire, Etana était un mortel ; se posa alors le problème de la transmission de la royauté. Idéalement, celle-ci devait revenir au fils du roi, mais Etana n’avait pas d’enfant. Il se mit alors en quête de la plante d’enfantement pour son épouse, plante détenue par la déesse Ishtar, et pour cela il devait pouvoir accéder au monde divin.
Une longue fable coupe alors le récit. Elle met en scène un serpent et un aigle. À côté du sanctuaire construit par Etana pour le dieu de l’orage Adad [11] poussait un peuplier au pied duquel un serpent s’était établi et dans les branches duquel un aigle avait construit son nid. Les animaux avaient passé un pacte d’amitié et partageaient le produit de leurs chasses pour nourrir leurs petits. Mais l’aigle ayant rompu le pacte en dévorant les serpenteaux, il fut condamné par Shamash [12] à périr d’inanition au fond d’une fosse.
Sceau-cylindre de la période d'Akkad, Girsu, illustrant une scène du mythe d'Etana.
Pendant ce temps, Etana implorait le dieu de lui procurer cette fameuse plante d’enfantement. Shamash le guida alors vers la fosse où l’aigle dépérissait. Etana le soigna contre la promesse de l’aigle de l’emmener sur son dos jusqu’aux cieux, là où résidaient les dieux et où se trouvait la plante qu’il convoitait. Etana, juché sur le dos de l’aigle s’éleva dans les airs et découvrit le monde qui rapetissait.
Il plaça ses bras sur ses côtés, il plaça ses mains sur le plumage de ses ailes.
Il l’éleva d’une double-lieue et :
– Regarde mon ami, le pays, comment est-il ?
– La vaste mer aussi petite qu’un enclos à bestiaux
Il l’éleva d’une deuxième double-lieue et :
– Regarde mon ami, le pays, comment est-il ?
– Le pays s’est changé en jardin et la vaste mer est devenue aussi petite qu’un baquet.
Il l’éleva d’une troisième double-lieu et :
– Regarde mon ami, le pays, comment est-il ?
– J’ai regardé mais je ne vois pas le pays, et mes yeux ne sont plus capables de voir la vaste mer !
L’aventure tourna court. Parvenu au seuil du domaine des dieux, Etana et l’aigle retombèrent sur terre. Si Etana avait réussi à pénétrer chez les dieux, il aurait d’emblée acquis l’immortalité et réglé définitivement le problème de la transmission de la royauté. Mais, tout comme Gilgamesh en quête de la plante lui permettant d’obtenir la vie éternelle [13], Etana échoua tout près du but. La fin de la dernière tablette est cassée, mais nous devinons qu’Ishtar prit Etana en pitié et lui offrit la plante d’enfantement qui permit à son épouse de mettre au monde un héritier. La liste royale sumérienne montre en effet que le fils d’Etana lui a succédé sur le trône.
Quand bien même certains s’accrochent au pouvoir, ce mythe nous rappelle que l’homme ne peut sortir de sa condition de mortel et prétendre à la supériorité du monde divin.
