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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Gilgamesh n’a pas livré tous ses secrets !
15.10.2015, par Cécile Michel
Mis à jour le 05.04.2023

L’Épopée de Gilgamesh, l’un des textes les plus célèbres de la littérature mésopotamienne, est bien connue par les élèves de collège puisqu’elle est entrée au programme de français enseigné en classe de sixième, en 2008, parmi les textes fondateurs, au même titre que La Bible, l’Illiade et l’Odyssée. Une nouvelle tablette découverte en Irak permet de préciser l’un des épisodes de cette histoire.

L’Épopée de Gilgamesh, dont la version la plus complète provient de la bibliothèque d’Assourbanipal à Ninive (VIIe siècle av. J.-C.), raconte les aventures héroïques de Gilgamesh, roi d’Ourouk. Mi-homme mi-dieu, Gilgamesh règne en tyran. Pour venir en aide à la population d’Ourouk, les dieux créent Enkidou, un sauvage qui vit avec les animaux de la steppe et devient civilisé en rencontrant une courtisane. Il se rend à Ourouk, affronte Gilgamesh au cours d’un combat sans vainqueur. Les deux hommes devenus amis partent en voyage et se rendent à la forêt des Cèdres gardée par le géant Houmbaba. Ils le tuent et abattent les arbres. La déesse Ištar s’éprend du héros à son retour dans la ville où elle possède son temple, mais Gilgamesh repousse ses avances. Furieuse, la déesse envoie le taureau du ciel détruire Ourouk, mais les deux amis le tuent. Pour donner satisfaction à Ištar, les dieux condamnent Enkidou qui agonise sous les yeux de Gilgamesh. Gilgamesh se rend compte ainsi qu’il est mortel et cherche à échapper à son destin. Il se met en quête d’Outanapishtim et de son épouse, les seuls survivants du Déluge qui ont reçu la vie éternelle en cadeau des dieux. Ils offrent à Gilgamesh une plante de jeunesse, qu’un serpent lui vole alors qu’il rentre à Ourouk.

La version de l’Épopée de Gilgamesh conservée à Ninive comporte douze tablettes. La tablette V raconte la rencontre de Gilgamesh et Enkidou avec Houmbaba : ils pénètrent dans son royaume, abattent ses arbres et rentrent à Ourouk avec la tête du géant en trophée. Jusqu’à présent, cet épisode était représenté par deux manuscrits, l’un découvert à Ninive et rédigé en néo-assyrien, l’autre, en néo-babylonien et venant d’Ouruk. Les manuscrits commençant de manière différente, on a pensé qu’il s’agissait de deux traditions différentes. Une nouvelle tablette récemment publiée1, T. 1447, montre que ce n’est pas le cas.

Cette tablette fragmentaire néo-babylonienne a été achetée à des trafiquants en 2011 par le musée de Souleimaniye (Kurdistan irakien), dans un lot de 90 tablettes provenant du sud de l’Irak. Il s’agissait d’intercepter les antiquités avant qu’elles ne partent à l’étranger en échange de l’anonymat pour les vendeurs et du secret sur l’origine des objets.

Ce fragment, qui correspond à la moitié gauche d’une tablette à six colonnes (trois sur chaque face), permet de faire la jonction entre les deux manuscrits déjà connus, de replacer dans l’ordre la succession des événements, et offre vingt nouvelles lignes du texte de l’Épopée de Gilgamesh. À leur arrivée dans la Forêt des Cèdres, les deux amis admirent sa végétation luxuriante et sentent la bonne odeur du cèdre. Cette forêt est décrite comme une jungle épaisse habitée par une faune bruyante : des singes qui jacassent, des cigales qui stridulent et des oiseaux qui chantent pour le bonheur du gardien. On apprend également que, dans son enfance, Enkidou avait passé du temps avec Houmbaba, et que ce dernier se réjouissait dans un premier temps de son retour, mais se trouve trahi. On s’aperçoit également que Gilgamesh et Enkidou, après avoir décapité Houmbaba, craignent la colère des dieux. Ils s’empressent de tuer les témoins du meurtre, les « sept fils de Houmbaba », selon un motif bien connu de la littérature mésopotamienne. Ces vingt nouvelles lignes de l’Épopée de Gilgamesh proposent donc une vision différente de Houmbaba : ce n’est plus un ogre barbare, mais un souverain étranger entouré d’une cour et de musique. De même, on perçoit le sentiment de culpabilité des héros, conscients d’avoir mal agi.

Les milliers de tablettes exhumées de manière illicite sur les sites archéologiques d’Irak et revendues dans le monde entier cachent certainement d’autres passages de ce récit, l’un des plus vieux écrits dans l’histoire de l’humanité.

Pour ceux qui désirent entendre des extraits de cette épopée dans la langue originelle, un chercheur britannique a réuni des enregistrements d’assyriologues lisant des poèmes et de la littérature de l’Assyrie et de la Babylonie antiques. Il est possible d’écouter quelques chapitres de l’épopée de Gilgamesh, dans la version du début du IIe millénaire ou dans celle du VIIe siècle : par exemple plus de 160 lignes de la tablette XI sont lues par Karl Hecker.

[1] F. Al-Rawi et A. George, Back to the Cedar Forest: The beginning and end of Tablet V of the Standard Babylonian Epic of Gilgameš.

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du journal CNRS