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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Des bibliothèques pour préserver les œuvres érudites
31.01.2021, par Cécile Michel
Mis à jour le 31.01.2021

Les bibliothèques représentent un bien culturel commun. Aujourd’hui, elles figurent parmi les derniers lieux de culture encore ouverts en ces temps de pandémie alternant confinement et couvre-feu. Dans ces bibliothèques, on conserve et consulte des collections d’écrits, et ce, depuis l’antiquité. Les bibliothèques naissent au cours du IIe millénaire av. J.-C. et se développent tout au long du millénaire suivant en Mésopotamie. L’une des plus célèbres est celle constituée par Assurbanipal à Ninive au 7e siècle av. J.-C.

Dès les débuts de l’écriture, les Mésopotamiens réunissent leurs textes en collections et forment ainsi des archives, conservées tout d’abord dans les bâtiments institutionnels et plus tard également chez des particuliers. Ces archives contiennent principalement des textes administratifs et juridiques et de la correspondance. Les bibliothèques, quant à elles, rassemblent des textes érudits, littéraires et scientifiques. Elles se développent à une époque où les lettrés, qui recopient les écrits savants depuis des siècles, donnent aux textes littéraires leur forme finale. Ce lieu, où sont préservés les manuscrits érudits et où on les produits, s’appelle « la maison des tablettes ».

Les prêtres, les devins et d’autres savants rassemblent dans leurs bibliothèques ou dans celles des palais et des temples, des manuscrits d’argile traitant de sciences et techniques, telles la divination et la médecine, ou encore de religion et de littérature. Ces textes sont parfois rédigés dans plusieurs langues. Ainsi, dans la bibliothèque du grand prêtre d’Ougarit daté du 13e siècle figure plus d’une centaine d’ouvrages relatifs à la mythologie écrits en langues sumérienne, akkadienne, hourrite et ougaritique, à l’aide de signes cunéiformes selon des systèmes logographique, syllabique et alphabétique.

Dans les palais, les bibliothèques se développent à l’initiative du pouvoir royal. Les souverains assyriens ont vraisemblablement emporté avec eux l’essentiel leur bibliothèque à chaque fois qu’ils ont changé de capitale. En effet, c’est à Ninive, dernière capitale de l’empire assyrien, que les archéologues ont découvert plus de 20 000 tablettes cunéiformes formant plusieurs bibliothèques royales (et aujourd’hui conservées au British Museum). Les fonds ont été enrichis sous Sennacherib (704-681) et Assarhaddon (680-669), et systématiquement complétés sous Assurbanipal (668-627).

Les fonds de manuscrits, rangés dans des niches creusées dans les murs, sont constitués de diverses manières. Les rois profitent de leurs campagnes militaires pour rapporter des textes érudits dans leur capitale, ou encore ils confisquent les œuvres chez les particuliers. Dans une lettre envoyée vraisemblablement par Assurbanipal à son gouverneur dans la ville babylonienne de Borsippa, le roi ordonne : Le jour où tu liras cette lettre, prends avec toi (…) les érudits de Borsippa que tu connais, et rassemble toutes les tablettes qui se trouvent dans leurs maisons, ainsi que toutes les tablettes qui sont placées dans le temple de l’Ezida (…) Recherche pour moi : les tablettes concernant les amulettes pour le roi, […], les incantations (…), les séries en rapport avec la guerre, […] les rituels (…), tous les textes dont on pourrait avoir besoin dans le palais, autant qu’il en existe, ainsi que les tablettes rares, qui sont connues de vous et qui n’existent pas en Assyrie.[1]

Assurbanipal, qui n’est pas à l’origine destiné à régner et a reçu une éducation lettrée, s’est ainsi constitué une bibliothèque encyclopédique d’environ 5 000 œuvres, dont les tablettes ont été recopiées inlassablement afin de les conserver dans la durée. Aujourd’hui, nous n’en avons qu’une partie car les textes étaient copiés non seulement sur des tablettes d’argile mais aussi sur des écritoires en bois recouverts de cire – support organique qui n’a pas survécu au temps. Les principaux textes rédigés sur tablettes d’argile sont des textes divinatoires, des prières, des rituels, des textes lexicographiques et en moindres quantités des textes littéraires. Parmi ceux-ci figure par exemple l’Épopée de Gilgamesh.

La bibliothèque d’Assurbanipal à Ninive n’est sans doute pas aussi célèbre que celle fondée par Ptolémée à Alexandrie au 3e siècle av. J.-C., mais contrairement à cette dernière, réduite en cendres par un incendie, les tablettes d’argile contenant les œuvres millénaires de la culture mésopotamienne sont parvenues jusqu’à nous.

[1] Texte publié en copie dans Cuneiform texts from Babylonian tablets in the British Museum, Part XXII, Londres, 1906, n°1, édité entre autres par G. Frame et A. R. Georges, « The royal libraries of Niniveh : new evidence for king Assurbanipal’s tablet collecting », dans D. Collon et A. George éd., Niniveh. Papers of the XLIXe  Rencontre Assyriologique Internationale, London, 7-11 July 2003, Londres, vol. 2, 2005, p. 280-281.
 

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