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Si on l’imagine parfois menacé par l’omniprésence des écrans, le papier n’a nullement peur de la technologie. Au contraire, il devient lui-même un matériau de pointe. Ville à la longue tradition dans le domaine, Grenoble accueille aussi bien l’École internationale du papier, de la communication imprimée et des biomatériaux que le Laboratoire génie des procédés papetiers1 (LGP2). C’est ici qu’est né PaperTouch, une feuille contenant des circuits imprimés et composants électroniques.
« Si l’on presse ensemble deux feuilles de papier humide, elles se lient avec une excellente cohésion interne une fois séchées, explique en préambule Didier Chaussy, professeur à Grenoble INP et directeur du LGP2. Elles n’ont pas besoin d’adhésif et, au moment du recyclage, il suffit de les retremper dans l’eau pour qu’elles se séparent et se dispersent. » À son initiative et à celle de Davide Beneventi et Denis Curtil, les chercheurs du LGP2 ont donc appliqué ce principe pour concevoir PaperTouch, palme de bronze de l’innovation 2018 de l’Association technique de l’industrie papetière.
Une première feuille mouillée est imprimée avec une encre spéciale, capable de conduire le courant et choisie pour ne pas diffuser dans le milieu humide, puis une seconde feuille humide est placée au-dessus. Après avoir été pressées ensemble et séchées, elles ne forment plus qu’un seul feuillet contenant un véritable circuit électronique avec des composants ultraplats, comme des puces NFC (Near Field Communication) ou des LED, ou imprimés, comme des condensateurs.
Sensibilité, contact et interactivité
« Notre papier peut ainsi devenir sensible au contact et fonctionner comme un interrupteur, décrit Davide Beneventi, directeur de recherche CNRS au LGP2. Nous utilisons par exemple comme démonstrateur un clavier numérique tactile en papier, constitué par une matrice d’électrodes. » Dans ce cas, le contact fait varier la capacité électrique du circuit, un changement détecté par une carte électronique extérieure qui commande alors une action en fonction de sa programmation. La feuille est reliée à d’autres appareils par des fils de cuivre, mais les chercheurs réfléchissent à un connecteur plus spécifique.
L’équipe du LGP2 parvient également à imprimer des antennes connectées capables de réagir à l’approche d’un smartphone équipé de la technologie NFC. L’énergie de ce signal suffit alors à allumer des LED ou à émettre des données. Cela pourrait servir à concevoir des capteurs RFID, remplaçant les QR codes ou codes-barres, sur support papier plutôt que plastique. À terme, les chercheurs imaginent assembler davantage de feuilles à la fois, obtenant ainsi un circuit multicouche comme on en retrouve dans les cartes mères des ordinateurs.
Ils ont en tout cas déjà développé une cellule d’impression, basée autour d’un robot six axes, afin de façonner des circuits électroniques aussi bien sur des matériaux biosourcés plats que des objets en 3D. Cette cellule a été conçue par Gioia Furia, doctorante au LGP2, et financée par la région Auvergne-Rhône-Alpes. PaperTouch tend à présent vers la création d’une start-up en vue de commercialiser ses solutions. Le projet est incubé par la société d’accélération du transfert de technologies (SATT) Linksium, et porté par Fanny Tricot, post-doctorante ayant elle aussi travaillé sur PaperTouch.
Du luxe à la domotique
Pour l’instant, les chercheurs préparent l’exposition de leurs travaux au salon Cosmetic 360, qui se tiendra du 16 au 17 octobre au Carrousel du Louvre à Paris. Axé sur les cosmétiques de luxe, ce salon international de l’innovation correspond aux débouchés à court terme visés par PaperTouch. « Lors des études de marché pour notre phase de maturation, la SATT Linksium a identifié le potentiel de nos travaux pour le packaging de luxe, précise Davide Beneventi. Nous pouvons réaliser des emballages interactifs ou connectés. »
Le salon est organisé depuis plus d’une vingtaine d’années par Cosmetic Valley, qui rassemble plus de 500 partenaires établis sur un croissant allant du Loir-et-Cher à la Seine-Maritime. Une zone où l’on retrouve de nombreux laboratoires d’acteurs internationaux comme Chanel, L’Oréal, LVMH, Hermès, Johnson & Johnson, Yves Rocher… Un domaine potentiellement intéressé par des sacs capables de s’illuminer… Mais le papier intelligent est également capable d’envoyer notices et informations sur le produit en question, via une puce NFC, directement sur le smartphone du client. Les systèmes fabriqués actuellement utilisent surtout des supports plastiques, PaperTouch propose une alternative bien plus écologique.
La cellule développée au LGP2, composée d’un robot six axes et de ses outils, sera exposée au salon Cosmetic 360 afin d’y montrer l’impression de circuits encapsulés dans des feuilles en 2D, mais aussi sur des supports 3D, en l’occurrence des gobelets en carton. Le robot, équipé entre autres d’un capteur laser, peut en effet scanner une surface afin d’adapter l’impression de l’encre conductrice à son relief. Dans ce cas précis, un circuit composé d’un condensateur et de LED est fabriqué sur le gobelet, afin qu’il s’illumine en fonction de la hauteur du liquide qu’il contient.
Ces exemples servent de première étape avant d’autres développements. « Le milieu du luxe est notre cible à court terme, mais nous avons également en ligne de mire le monde de la domotique », avance Davide Beneventi. Les capteurs tactiles et de proximité pourraient en effet être intégrés à des papiers peints, remplaçant ainsi les panneaux de contrôle des maisons connectées. Voyants et interrupteurs seraient alors plus discrets et fondus dans le décor. La sensibilité à la pression ainsi qu’à l’humidité pourrait déboucher sur la conception de claviers sensibles au souffle, à destination des personnes tétraplégiques.
Les idées et les solutions sont nombreuses. Davide Beneventi et Didier Chaussy appartiennent en effet à l’équipe FunPrint du LGP2, qui travaille sur l’électronique imprimée au sens large. Différents chercheurs y inscrivent leurs circuits au-delà du papier, sur des céramiques, du verre, du silicium pour les panneaux photovoltaïques, du PVC, des membranes biocompatibles pour des biopiles implantables dans le corps humain… Les applications potentielles n'ont pas fini d’affluer.
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Le salon Cosmetic 360, salon international de l'innovation pour la filière parfumerie-cosmétique, se tient les 16 et 17 octobre au Carrousel du Louvre à Paris.
- 1. Unité CNRS/Grenoble INP-Pagora/CFA Agefpi.