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Le drame des populations amérindiennes de la région des Tumuc Humac est très bien résumé par Coudreau : « S'il est quelqu'un au monde qui ne se doute pas de cette particularité de géographie politique, ce sont assurément les Oyampis. Ils s'imaginent naïvement que cette terre, qu'ils habitent et qu'ils cultivent depuis un siècle, est à eux. Pas du tout, mes amis, ce sont les Français (à moins que ce ne soient les Brésiliens), qui sont ici chez eux, et bientôt, pour vous récompenser de nous avoir ouvert votre pays avec confiance, nous autres Blancs, avec notre eau de feu et nos maladies à vous inconnues, nous ferons disparaître votre race jusqu'au dernier homme au nom des principes supérieurs de la civilisation et du progrès. Il y aura beaucoup de Blancs sur le territoire des Oyampis détruits. »
Sombre prophétie qui s’est pourtant presque réalisée mot pour mot.
Car si la région est vide d’homme aujourd’hui, et si elle paraît isolée et difficile d’accès, cela n’a pas toujours été le cas. Au contraire, de très nombreux groupes amérindiens y résidaient et y suivaient une dynamique complexe de déplacements, d’affrontements et d’alliances. Les quelques voyageurs qui sont passés ont largement bénéficié de cette présence, puisqu’ils allaient en général de village en village, utilisant des réseaux de chemins qui existaient, et qu’ils obtenaient d’eux leur ravitaillement pour la prochaine étape !
Il y a donc un lien direct entre la configuration du peuplement et le passage des explorateurs et, conséquemment, entre le dépeuplement dont souffriront rapidement certaines régions des Guyanes et la fermeture de certaines routes, notamment celles qui traversaient la région des Tumuc Humac.
Au début du XVIIIe siècle, le versant sud est occupé principalement par les Wayana, en cours de migration vers le nord et probablement arrivés depuis peu, ainsi que par des groupes avec lesquels ceux-ci ont noué des alliances, les Upuluis et les Namikwanes. Au nord, la ligne de partage des eaux est occupée par deux grands ensembles. A l'est, à proximité de l'Oyapock, les « proto-émérillons », un ensemble de groupes Tupi arrivés avant la colonisation. A l'ouest, à proximité des sources du Maroni, se trouvaient des groupes Caribes, comme les Aramakoto. Ils migreront pour la plupart en direction du Paru et formeront le creuset d'où sortiront les Tiriyo.
Cet ensemble sera redessiné au XVIII-XIXe siècles avec la migration en direction de l’Oyapock des Wajãpi, venus du sud de l’Amazone. Poussés sans doute par l’avancée des Portugais, ceux-ci conquièrent les territoires des ethnies présentes. Les Wayana, bousculés, se replient vers le nord et débordent sur la ligne de partage des eaux du côté du Maroni. Ce faisant, ils se heurtent aux Galibi puis aux Boni sur le Maroni et aux Akurio à l’Ouest, mais finissent par dominer toute la zone de la Lawa et de ses affluents. Souvent ils ne se contentent pas d'affronter leurs adversaires, mais incluent souvent des groupes vaincus ou soumis comme les Kumarawana de la Litani. Alliés aux Wayana, les Upului et Namikwane occupent eux le cours supérieur de la rivière Camopi.
Les Wajãpi, eux, occupent finalement toute la région du moyen Jari, du Cuc et de l’Oyapock. Ils vaincront les Namikwane et absorberont les Upului, mais auront des relations de bon voisinage avec les Emerillons qui occupent la rivière Camopi.
L’ensemble de ces mouvements se fait sous la pression de l’installation des colons européens sur les littoraux. Cette pression est parfois directe, notamment par la « chasse aux esclaves » qui était courante au XVIIIe siècle, comme en témoignent, pour ne citer qu’eux, les récits de voyage de La Haye ou de l’explorateur Canada. Mais la pression était aussi indirecte, par le biais de la contamination des villages amérindiens visités par les Européens par des maladies contre lesquelles ils se trouvaient sans défense, comme la grippe, la tuberculose, la rougeole, etc. De terribles épidémies touchent les groupes, même les plus éloignés, et sapent leur capacité à se défendre. Cela explique aussi les regroupements de groupes ethniques qui, décimés, finissent par fusionner avec leurs voisins.
A la fin du XIXe siècle, les différentes ethnies présentes dans la région du Jari ont fini par trouver un modus vivendi, chacune ayant déterminé son espace. Des relations de commerce apparaissent alors, qui se basent sur d’immenses trajets le long desquels on colporte, dans un sens, l’artisanat, et, dans un autre, les objets industrialisés. Les deux passages nord/sud du Maroni/Mapaoni et Oyapock/Cuc sont alors fréquemment utilisés.
A partir des années 1930 apparaissent des orpailleurs et des chasseurs de peaux. Leur présence croissante et les conséquences de celle-ci (épidémies, violences) amènent les groupes Amérindiens à déserter la partie des Tumuc Humac qu’ils occupaient encore à la fin des années 1960. Les Wajãpi se réfugient sur l’Oyapock ou au sud sur la route Perimetral Norte. Les Wayana abandonnent le Jari et descendent sur le Maroni. L’odyssée des survivants du dernier village du Jari est raconté par André Cognat, Français de métropole devenu chef Wayana sous le nom d’Antecume.
Le dense peuplement amérindien a ainsi disparu peu à peu du sud de la Guyane, chaque explorateur commentant la disparition de villages entiers connus par ses prédécesseurs. Si les Wayana et les Wayãpi ont réussi à survivre en se rapprochant de postes d’assistance , ce n’a pas été le cas des Kusari et d’autres groupes qui occupaient les têtes des rivières Ximi-Ximi, Culari ou Curuapi. Certains groupes très restreints et isolés continuent-ils d’habiter la zone, comme le pensent les Wayãpi ? On n’a pour l’instant retrouvé aucune trace, mais la grande forêt peut toujours receler de nouveaux secrets.
Commentaires
passionnante découverte d'un
evesan le 17 Juillet 2015 à 12h07Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS