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C’est chaud une ville la nuit

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C’est chaud une ville la nuit

16.03.2018, par
Fui Lee Luk [6]
Temps de lecture : 7 minutes
Los Angeles au crépuscule.
Tierney/Adobe Stock
Il tend à faire plus chaud en centre-ville qu’en banlieue, mais certains centres chauffent davantage que d’autres. Une équipe de recherche internationale vient d’établir que la disposition des immeubles conditionne la température nocturne des villes – une découverte clé pour l’urbanisme de demain.

Depuis les œufs au plat cuits sur des trottoirs brûlants jusqu’au personnage provocateur de Marilyn Monroe au cinéma, prenant l’air sur une grille du métro new-yorkais, la canicule urbaine est objet de légendes. Mais ces températures élevées ont aussi des conséquences très réelles – et indésirables – sur les habitants des villes. Pour mieux comprendre les mécanismes qui rendent le centre ultra-urbanisé des villes plus chaud que leurs banlieues – un phénomène connu sous le nom d’îlot de chaleur urbain (ICU) –, des chercheurs du laboratoire MSE21 basé au MIT2, du LPTMS3 et de l’université de Californie à Irvine se sont associés en vue d’étudier pourquoi les effets d’ICU nocturnes sont plus importants dans certaines villes. Leurs résultats, qui viennent d’être publiés dans la revue scientifique Physical Review Letters [7]4, établissent une corrélation nette entre les températures nocturnes et la configuration de la ville.

Végétation et courants d’air

Le concept d’îlot de chaleur urbain n’est pas nouveau. Même si le terme a été forgé au milieu du XXe par le climatologue britannique Gordon Manley5, les premiers rapports sur le contraste entre la « chaleur artificielle » de Londres et celle de la campagne remontent à 200 ans6.
De fait, les ICU résultent d’abord de l’urbanisation des paysages ruraux. Le facteur majeur est le remplacement de la végétation naturelle par des matériaux de construction – le béton et l’asphalte – qui absorbent davantage d’énergie thermique et solaire. L’effet d’ICU est particulièrement marqué la nuit, quand les zones moins urbanisées tendent à se rafraîchir alors que les matériaux de construction de la ville rayonnent de l’énergie accumulée durant la journée, issue essentiellement des radiations solaires et des activités humaines telles que l’industrie, les systèmes de refroidissement et la conduite automobile. L’effet de réchauffement urbain est accentué par les grands immeubles, qui bloquent les courants d’air refroidissants, et l’absence d’une couverture végétale susceptible de créer des zones ombragées et d’augmenter l’humidité de l’air. Cette combinaison de facteurs fait grimper la température des villes, parfois dans de fortes proportions. « Nous parlons de différences de température allant de 1,5 à 5 °C en moyenne, mais le record est détenu par Phœnix, en Arizona, avec une différence de près de 10 °C entre son centre et sa périphérie », indique Roland Pellenq, coauteur de l’étude et chercheur au MIT et au CNRS, qui dirige l’unité mixte internationale MSE2.
 

Les données sur la densité des constructions à Los Angeles (b-d) indiquent une similitude entre la structure de la ville et celle du verre amorphe (a), tandis que les données de Chicago (f-h) montrent une ressemblance avec le cristal colloïdal (e).
CNRS Le Journal
Les données sur la densité des constructions à Los Angeles (b-d) indiquent une similitude entre la structure de la ville et celle du verre amorphe (a), tandis que les données de Chicago (f-h) montrent une ressemblance avec le cristal colloïdal (e).
R. PELLENQ
R. PELLENQ
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L’ennui, c’est que les ICU peuvent également provoquer des problèmes de santé, aggraver la pollution et accroître la consommation d’énergie. Sur ce dernier point, Roland Pellenq cite le cas de la Floride, où « le surcoût énergétique dû à la climatisation dans les ICU est évalué à 400 millions de dollars par an, ce qui entraîne le rejet de 2 500 tonnes supplémentaires de CO2 dans l’atmosphère ». Mais les ICU ne sont pas toujours nuisibles : « Le Massachusetts, par exemple, économise 200 millions de dollars par an en chauffage, soit l’équivalent de 1 200 tonnes de CO2, » ajoute-t-il.

Des disparités entre centres-villes

Une chose pourtant a toujours échappé aux chercheurs. Pourquoi certains centres-villes sont-ils plus chauds que les autres durant la nuit ? Pour leur étude, Roland Pellenq et ses collaborateurs se sont focalisés sur la « texture », c’est-à-dire les motifs dessinés par l’agencement des rues et des immeubles et jusqu’ici jamais considérés à l’échelle d’une ville entière. Pour déterminer les textures des 51 villes de l’échantillon (principalement en Amérique du Nord, mais également en Nouvelle-Zélande, en Australie, au Royaume-Uni, en Allemagne, en Autriche, aux Pays-Bas et en Suède), l’équipe a entré les données sur la position des immeubles recueillies sur Internet (Google Maps) dans des algorithmes de physique statistique adaptés pour le besoin, et qui étaient habituellement utilisés pour décrire la façon dont les atomes sont disposés au sein des matériaux.
« L’idée était de réduire la complexité urbaine à un agglomérat moyen représentant le voisinage immédiat d’un immeuble », explique Roland Pellenq, qui a eu l’idée de cette approche avec le codirecteur du MSE2, Franz-Josef Ulm, « pendant les pauses-café, dans la cour du MIT, en admirant la ligne des gratte-ciel de Boston, au-dessus de la rivière Charles… » Il précise que la plupart des immeubles étudiés appartiennent aux « secteurs résidentiels, qui représentent environ la moitié de la consommation d’énergie en chauffage et climatisation aux États-Unis ».
Grâce à ces calculs, les physiciens ont fabriqué un index d’aménagement des villes, sur une échelle allant de 0 (en désordre, comme des atomes dans un liquide) à 1 (très structuré, comme les atomes d’un cristal). Ensuite, pour mesurer l’intensité des effets d’ICU dans les villes étudiées, l’équipe s’est reportée pour chacune aux statistiques de température sur plusieurs années, comparées à celles relevées en dehors de la ville, « généralement l’aéroport local », précise Roland Pellenq.
 

Les tours de Phœnix, en Arizona (États-Unis). Dans cette ville, on enregistre une différence de près de 10 °C entre la température nocturne du centre et celle de la banlieue.
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Les tours de Phœnix, en Arizona (États-Unis). Dans cette ville, on enregistre une différence de près de 10 °C entre la température nocturne du centre et celle de la banlieue.
DSZC/Getty images
DSZC/Getty images
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Villes « cristallines » et villes « liquides »

Les résultats ont révélé que les villes « cristallines » – à l’image de la plupart des villes nord-américaines, caractérisées par une structure en « grille » comme à Manhattan ou Chicago – emmagasinaient plus de chaleur que des villes chaotiques « liquides » comme Londres, généralement plus anciennes, qui se refroidissent plus facilement. Cette tendance s’explique par la façon dont la chaleur est piégée dans les rues droites et perpendiculaires, dont les immeubles se renvoient la chaleur émise par ceux d’en face. « Nos travaux permettent de savoir dans quels quartiers il faudrait d’abord mettre en place des stratégies d’atténuation des effets d’ICU », souligne le directeur du MSE2. L’équipe espère également « étendre ses recherches aux grandes villes européennes et étudier l’évolution des ICU au cours du temps, en retraçant l’histoire de la croissance de ces villes ».
 
Tournées vers l’avenir, ces découvertes offrent de nouvelles orientations aux urbanistes et aux élus qui souhaitent des villes moins énergivores. Le principal enseignement, c’est que si la structure urbaine en grille mène, dans les zones chaudes, à une surchauffe et à un gaspillage d’énergie en climatisation, elle est un atout dans les zones froides, qui peuvent s’accommoder d’un surcroît de chaleur. « Mais ça ne veut pas dire que nous allons démanteler les villes existantes, ajoute Roland Pellenq. Cette étude montre que si nous voulons réduire les effets d’îlots de chaleur urbains, il faut s’orienter vers la science des matériaux et l’ingénierie pour trouver de meilleures solutions d’isolation thermique, afin de réduire les rayonnements et les transferts de chaleur entre immeubles. » ♦

 

Lire aussi :
- « Les défis de la ville durable » [12]
- « Des villes toujours plus grosses » [13]
- « Le solaire a rendez-vous avec la ville [14] » [14]
 
 

Notes
  • 1. Multi-Scale Materials Science for Energy and Environment, unité mixte internationale (CNRS/MIT/Aix-Marseille Université).
  • 2. Massachusetts Institute of Technology (États-Unis).
  • 3. Laboratoire de physique théorique et modèles statistiques (CNRS/Université Paris-Sud).
  • 4. J. M. Sobstyl, T. Emig, M. J. Abdolhosseini Qomi, F.-J. Ulm et R. J.-M. Pellenq, « Role of City Texture in Urban Heat Islands at Nighttime, » Physical Review Letters, publié en ligne le 9 mars 2018. https://doi.org/10.1103/PhysRevLett.120.108701 [7]
  • 5. G. Manley, « On the frequency of snowfall in metropolitan England, » Quarterly Journal of the Royal Meteorological Society, janvier 1958, vol. 84 (359) : 70-72. http://dx.doi.org/10.1002/qj.49708435910 [15].
  • 6. L’ouvrage de Luke Howard, The Climate of London (volume 1), a été publié en 1818.

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