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Cet article est issu de la revue Dialogues économiques éditée par AMSE.
Le 23 avril 2013, le Parlement français adopte le mariage pour tous, sous la présidence de François Hollande. La France devient ainsi le neuvième pays européen à ouvrir le mariage aux couples de même sexe, aujourd’hui au nombre de quatorze. Cette loi, il avait fallu la défendre jusqu’au bout, tant les manifestations et les pressions de communautés rassemblées sous la bannière « Manif pour tous » contre la proposition de la ministre de la Justice Christiane Taubira, avaient fait rage les mois précédant le vote. Au final, l’assemblée a approuvé cette loi avec 331 voix pour, 225 contre et une abstention. Dix ans plus tard, le regard sur l’homosexualité n’a cessé d’évoluer. Selon un sondage IFOP1, en 2019, 72 % des Français accepteraient le fait que leur enfant soit homosexuel, contre 61 % en 2003 et seulement 44 % en 1996.
Les dispositions législatives de protection des droits des personnes homosexuelles sont prises par des démocraties, donc en principe en suivant l’opinion de la majorité de la population. Elles peuvent d’un autre côté contribuer à l’ouverture d’esprit des citoyens et à intégrer ce droit comme une nouvelle norme sociale2. À ce jour 34 pays sur 195 autorisent le mariage homosexuel. Aux États-Unis, 69 % de la population se déclare en faveur du mariage homosexuel en 2022 contre 54 % en 20143. Dans l’Union européenne, 61 % des citoyens étaient d’accord pour dire que « les mariages entre personnes de même sexe devraient être autorisés dans toute l’Europe » en 2015, contre 44 % en 20064.
Pourtant, certains pays ou communautés restent fortement hostiles aux couples de même sexe et rejettent ces lois. En témoigne la récente hausse des crimes homophobes : selon le rapport annuel du FBI, le nombre de crimes visant les gays, les lesbiennes et les bisexuels aux États-Unis en 2018 a augmenté de près de 6 % par rapport à l’année précédente. En France, le nombre de témoignages reçus par S.O.S. Homophobie5, après un pic au moment du passage de la loi en 2013, a observé une augmentation de plus de 80 % de 2015 à 2019, année qui avait atteint 2396 témoignages d’agressions LGBTIphobes (envers des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres ou intersexuelles).
En se questionnant sur la contradiction entre acceptation et tolérance, trois économistes, Sylvie Blasco, Eva Moreno Galbis et Jeremy Tanguy, ont étudié l’importance des liens sociaux dans les changements d’opinion après la promulgation d’une loi en faveur du mariage homosexuel dans leur article "Social ties and the influence of public policies on individual opinions: The case of same-sex marriage laws".
Des communautés plus homophobes
L’étude se base sur les données d’une enquête européenne, European Social Survey 2002-2016, et plus précisément la réponse à l’affirmation : « Les gays et lesbiennes devraient pouvoir vivre leurs vies comme ils l’entendent ». L’idée étant de comparer les réponses, sous forme d’un score, de 17 pays dont environ la moitié ont légalisé le mariage pour des personnes du même sexe entre 2002 et 20166.
Dans ces pays, les personnes sont réparties au sein de deux types de communautés : communauté homophobe ou non-homophobe. Pour ceci les chercheurs utilisèrent deux approches.
Dans la première approche, la communauté est définie au niveau du pays, âge, genre et année. Il est considéré que si 60 % des individus de la communauté ont des avis « gay-friendly », la communauté est non-homophobe. Dans une deuxième approche, les auteurs se focalisent sur les individus nés en dehors de leur pays de résidence, c’est-à-dire les immigrés. L’ensemble des pays du monde est classé entre homophobes et non-homophobes, à l’aide des données de la World Value Survey et du site Gay Voyageur. Les immigrés sont ainsi classés entre ceux qui proviennent des pays homophobes et ceux qui proviennent des pays non-homophobes. Les auteurs exploitent le fait que les immigrés ont tendance à développer des relations principalement avec des gens de même origine géographique.
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On écoute plus son conjoint que ses amis
Les chercheurs distinguent deux catégories de liens sociaux : des liens forts et des liens faibles. Les premiers représentent un partenaire, conjoint officiel aux yeux de l’administration, avec lequel on partage des « liens forts ». Les « liens faibles » peuvent eux se rompre plus facilement. Ils représentent les amis, les associations, les collègues — en bref, la communauté. Les individus peuvent déclarer passer une majorité de temps avec leurs liens forts, leurs partenaires, ou bien une majorité de temps avec leurs liens faibles, leurs communautés. Ils sont ainsi divisés en deux catégories.
L’étude démontre que l’influence relative des liens faibles et forts dans la constitution d’un avis par les individus dépend de l’adéquation entre la loi approuvée et la norme sociale locale. En cas d’adéquation entre le texte de loi et la norme d‘une communauté non homophobe, les individus initialement opposés au mariage homosexuel, mais passant beaucoup de temps avec leurs amis/communauté ou communauté vont avoir plus de chance de changer positivement d’avis que ceux qui passent tout leur temps avec leur partenaire. À l’inverse, les personnes opposées au mariage homosexuel plus proches de leur partenaire que de leurs amis auront moins de chance d’avoir l’influence d’un avis positif sur l’homosexualité.
Deuxième cas de figure, si la loi contrevient à la norme sociale de notre communauté homophobe, les résultats s’inversent. Au moment où la loi partisane du mariage homosexuel passe, la communauté homophobe la rejette d’autant plus. En moyenne, l’avis de la communauté sera très négatif envers le mariage homosexuel et par conséquent, plus l’individu passera du temps avec sa communauté moins il aura des chances d’avoir un avis positif sur le mariage homosexuel. L’influence des liens faibles pour changer positivement l’avis chute donc fortement par rapport au cas où la loi s’alignerait avec la norme sociale.
Favoriser les échanges avec des personnes différentes
Les liens faibles peuvent donc jouer en faveur de l’acceptation d’une nouvelle norme sociale au sujet des droits des couples homosexuels. Dans une étude de 2016, les chercheurs David Brockman et Joshua Kalla avaient organisé des discussions de porte-à-porte à propos des personnes transgenres en Floride du Sud7. Ils avaient montré que ces conversations avaient réduit les préjugés et la transphobie pendant plus de trois mois, montrant ainsi l’importance des interactions sociales dans l’acceptation d’une nouvelle norme.
Pour encourager l’adhésion des personnes homophobes à ces nouvelles normes, les politiques publiques pourraient encourager ces liens faibles. Par exemple, avec des temps scolaires plus longs, les enfants pourraient développer plus de contacts au sein de l’école avec des enfants issus d’autres communautés. Elles pourraient aussi promouvoir les associations qui permettent de développer au maximum des moments de rencontres avec des personnes différentes de soi.
Notes
1. Étude Ifop pour la Fondation Jasmin Roy Sophie Desmarais et la DILCRA réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 29 mai au 3 juin 2019 auprès de 3 013 personnes, représentatives de la population française âgée de 18 ans et plus.
2. Acemoglu D., Jackson M. O., 2017, ‘Social Norms and the Enforcement of Laws’. Journal of the European Economic Association, 15(2), 245 295.
3. PRRI – American Values Atlas. (s. d.).
4. Eurobaromètre, 2015.
5. Rapport sur les LGBTIphobies 2022, SOS Homophobies.
6. Belgique, Suisse, République tchèque, Allemagne, Danemark, Estonie, Espagne, Finlande, France, Grande-Bretagne, Hongrie, Irlande, Norvège, Pologne, Portugal, Suède et Slovénie.
7. Broockman D., & Kalla J. (2016). Durably reducing transphobia: A field experiment on door-to-door canvassing.
Références
Sylvie Blasco, Eva Moreno Galbis et Jeremy Tanguy, "Social ties and the influence of public policies on individual opinions: The case of same-sex marriage laws", The Journal of Law, Economics, and Organization, Volume 38, Issue 1, March 2022, Pages 196–271, https://doi.org/10.1093/jleo/ewab001