Logo du CNRS Le Journal Logo de CSA Research

Grande enquête « CNRS Le Journal »

Votre avis nous intéresse.

Le CNRS a mandaté l’institut CSA pour réaliser une enquête de satisfaction auprès de ses lecteurs.

Répondre à cette enquête ne vous prendra que quelques minutes.

Un grand merci pour votre participation !

Grande enquête « CNRS Le Journal »
Donner du sens à la science

A propos

Le 18 novembre 2015, le président du CNRS a lancé à la communauté scientifique un appel à propositions « sur tous les sujets pouvant relever des questions posées à nos sociétés par les attentats et leurs conséquences, et ouvrant la voie à des solutions nouvelles – sociales, techniques, numériques. » Plus de 60 projets de recherche ont été retenus (lire à ce sujet l’éditorial de Sandra Laugier). Ce blog a pour objectif de présenter certains de ces travaux en cours.
 

A la une

Quels sont les effets des attentats sur les discriminations ?
05.12.2016, par Francis Lecompte
Deux études visent à évaluer l’impact des attentats sur les perceptions à l’égard de la population d'origine arabo-musulmane.

Les attentats ont-ils entraîné une augmentation des préjugés envers les musulmans en France ? Pour le vérifier, le psychologue Dominique Muller, directeur du laboratoire interuniversitaire de psychologie à Grenoble, a décidé de s’attaquer aux mécanismes implicites à l’œuvre dans la pensée, via le projet « Amalgame ». Ces préjugés inconscients – vis-à-vis des étrangers, des femmes, des homosexuels… – ont une influence sur nos comportements, même s’ils sont difficiles à détecter.

 « Un premier événement nous avait déjà fait réagir sur ce sujet du racisme latent avant même l’appel à projets du CNRS, raconte Dominique Muller. C’est le livre publié par Emmanuel Todd1 à la suite des immenses manifestations qui ont suivi l’attentat de Charlie Hebdo, en janvier 2015. L’auteur y soutenait que, même si les participants à ces défilés affirmaient ne rien avoir contre les musulmans, ils étaient en réalité motivés par des sentiments racistes inconscients. Il en déduisait que les villes où il y avait eu le plus de manifestants étaient les villes les plus racistes de France. » Dominique Muller et son équipe se lancent alors dans une série de tests destinés à évaluer l’écart éventuel entre les déclarations explicites des participants et leurs opinions ou préjugés inconscients – qui échappent donc en partie à leur contrôle.

Mesurer les préjugés implicites

« En psychologie sociale expérimentale, nous disposons depuis plus d’une quinzaine d’années d’un outil très largement utilisé par les chercheurs du monde entier, explique Dominique Muller. Il s’agit de l’IAT ou Implicit Assimilation Test (Test d’association implicite). » Développé d’abord aux États-Unis, l’IAT mesure les temps de réponse d’une personne à qui l’on demande d’associer spontanément des mots (positifs ou négatifs) aux membres d’un groupe donné. « L’idée derrière ce test, précise le psychologue, c’est que plus le temps de réponse est long, plus la personne tente de contrôler ses réponses et ne donne pas de jugement sincère. » De nombreux tests menés aux États-Unis ont ainsi pu montrer que le niveau réel de racisme était plus important que le niveau déclaré – éclairant ainsi d’éventuels comportements discriminatoires.
G. DUBOIS

Dans le cas des manifestations de l’après-Charlie, l’équipe de Dominique Muller a utilisé un test reposant sur deux catégories de prénoms, « typiquement français » ou à consonance maghrébine. Après avoir mesuré « l’effet IAT » sur plus de 3 360 personnes, le laboratoire de Grenoble a présenté des résultats allant à l’encontre des conclusions d’Emmanuel Todd : dans cette étude, les villes où l’on avait compté le plus de manifestants faisaient en effet preuve de moins de sentiment antimusulman.

Le projet Amalgame, centré sur les attentats de novembre 2015, s’inspire du test de l’IAT tout en y ajoutant une variable contextuelle. L’équipe du chercheur a en effet demandé à deux groupes de personnes de réagir à des séries de visages (hommes français de types européen, maghrébin et asiatique) en y associant notamment des jugements (hostile ou amical). Au premier groupe, on rappelait le contexte des attentats, au deuxième on ne disait rien… Si les résultats ne sont pas encore disponibles, Dominique Muller ne masque pas son impatience. « Cette étude est une première mondiale et devrait fournir une mine d’informations aux futures recherches sur les discriminations », explique-t-il.

Le facteur proximité

Dans le même esprit, l’économiste Yannick L’Horty, du laboratoire Erudite2, a bâti le programme « Adam » en s’appuyant sur le « testing », une méthode très utilisée dans le monde depuis le début des années 2000 pour déceler des discriminations à l’embauche ou dans l’accès au logement. Le principe consiste à répondre à des offres d’emploi ou de logement avec deux candidatures exactement similaires, à une variable près – homme ou femme, patronyme à consonance étrangère ou non, adresse d’un quartier « à problèmes » ou pas…

Yannick L’Horty travaille sur ces questions depuis plusieurs années. En 2015, il a ainsi conduit une vaste étude sur la discrimination au logement, en réalisant 5 000 tests dans toutes les grandes aires urbaines de l’Hexagone. Il a alors pu mettre en évidence une forte discrimination à l’encontre des candidats portant des patronymes à consonance arabo-musulmane. Le programme Adam est venu tout naturellement se greffer sur cette première enquête, à la suite des attentats parisiens du 13 novembre 2015 et de l'appel à projets du CNRS.

« On part d’un présupposé, précise l’économiste, qui consiste à dire que les personnes qui ont vécu les événements en proximité directe, c'est-à-dire les habitants des 10e et 11e arrondissements de Paris, ont été beaucoup plus affectées que celles qui les ont vécus indirectement, par le biais de la médiatisation. On peut donc se demander dans quelle mesure leur comportement a changé vis-à-vis de la population arabo-musulmane. » À Villiers-le-Bel, des tests sur la discrimination à l’embauche conduits par son équipe avant les émeutes de 2007, puis deux ans après, avaient déjà montré une persistance dans la durée de la discrimination envers les populations d’origine étrangère.

Sur le plan méthodologique, une batterie de 350 candidatures concentrées sur ces deux arrondissements parisiens a donc été ajoutée aux 5 000 déjà expédiées. Une fois les résultats connus, elle permettra de comparer l’ampleur des discriminations enregistrées sur cette zone géographique des 10e et 11e arrondissements avec celle constatée dans les autres aires urbaines.

Là encore, le chercheur défriche un domaine pour ainsi dire inexploré. « Autant les études sur la discrimination à l’embauche sont nombreuses, ce qui permet d’enclencher des mécanismes de prévention et de répression, autant celles sur la discrimination au logement sont plus rares », souligne Yannick L’Horty. Qui compte bien, grâce aux résultats du programme Adam, contribuer à faire évoluer les comportements.

Notes
  • 1. Emmanuel Todd, Qui est Charlie ? Sociologie d’une crise religieuse, Seuil, coll. « Documents », mai 2015, 252 p., 18 €.
  • 2. Équipe de recherche sur l’utilisation des données individuelles en lien avec la théorie économique.

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS