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Après une bonne première journée de marche, un cas de Covid-19 symptomatique nous a forcés à faire demi-tour pour une semaine d'isolement – en espérant pouvoir repartir au plus vite. Nous voici donc posés à Saint-Georges de l'Oyapock pour un repos forcé d'encore quelques jours. C'est l'occasion de se pencher sur l'aspect matériel d'un long séjour en forêt.
Des Yanomami au centre d'entraînement de la forêt équatoriale de la Légion étrangère en passant par les cueilleurs de noix de l'Amazonie brésilienne, j'ai pu voir de nombreuses manières de faire et des matériels différents, des plus simples – hamacs en liane et abris de chasse triangulaires des Yanomami – aux plus sophistiqués – hamacs de jungle ultra-légers avec bâche intégrée produits aux États-Unis. Il n'y a pas, bien évidemment, un seul matériel qui soit adapté, pas plus qu'il n'existe une seule manière de faire. Tout est question d'objectifs, de moyens ou d'habitude. On n'a pas les mêmes besoins pour un long raid en autonomie et pour une courte chasse, quand on peut compter sur la capacité d'emport d'une pirogue ou seulement sur celle d'un sac dos.
Mais dans le cas des expéditions longues en forêt, voici quelques points issus de mon expérience, que je partage ici...
Qu'est-ce qu'on emmène et pourquoi ?
Comme pour toute randonnée, la question est l'équilibre entre le poids qu'on peut porter et le confort dont on a besoin. Or, sur une longue durée, il est plus facile de se passer du confort que de porter du poids supplémentaire. Ainsi nous n'avons que deux tenues avec nous : la « tenue mouillée », utilisée le jour et comme son surnom l'indique, soit humide soit totalement trempée (de sueur ou d'eau, c'est selon) ; la tenue sèche, pour le bivouac et pour dormir au sec. Donc pas de changement de vêtements pendant plus d'un mois... il suffit de les laver le soir en prenant sa douche dans la rivière. Affaires de toilettes réduites au minimum (qui a besoin de plus qu'un savon et une brosse à dents ?), petite pharmacie et voilà pour les affaires personnelles. Ajoutez une liseuse légère si vous craignez de vous ennuyer (ou en prévision d'une septaine éventuelle...).
Coté chaussures, il y a de nombreuses écoles. Les garimpeiros et les catanheiros sont adeptes des bottes en caoutchouc, un choix incompréhensible pour moi car le pied ne respire pas, mais qui leur semble le seul qui vaille. Il s'accompagne d'une technique pour vider l'eau qui remplit les bottes en cas de traversée d'un cours d'eau. Il peuvent aussi partir en forêt avec une simple paire de tongs mais je ne m'y risquerai pas. Ne parlons pas des pieds nus des Yanomami – amateurs s'abstenir ! Je préfère les chaussures montantes, dites « de jungle » parce des œillets laissent sortir l'eau quand elle rentre. Pas d'erreur cependant, malgré cela on a les pieds mouillés toute la journée et chacun a sa petite astuce pour ralentir les mycoses...
Côté bivouac, le minimalisme est aussi de rigueur. Il ne fait pas très froid en forêt et tout le monde opte pour la simplicité. Un hamac avec moustiquaire, en nylon pour nous à cause du poids, mais les garimpeiros préfèrent le coton, plus confortable sur plusieurs mois. Une bâche pour arrêter la pluie et voilà notre logement, que nous déplions chaque soir. Plus un petit sac de couchage pour les frileux comme moi et un filet pour pendre ses affaires plutôt que de les laisser traîner par terre où toute sorte d'insectes se feront un plaisir de les visiter. Je dois à un sergent-chef du 3e REI l'habitude d'ajouter encore deux cintres en fil de fer. Ils ne pèsent rien et me donnent chaque soir la douce illusion que mes vêtements vont sécher. Bien sûr je déchante chaque matin...
Pour protéger l'équipement de bivouac de la pluie quand on marche (et de l'eau quand on traverse une rivière), certains utilisent des sacs étanches. Je suis plutôt partisan du bidon rigide, ou touque, qui protège aussi le matériel sensible des chocs et qui peut servir de tabouret le soir quand on mange au bord du hamac. En bonus le bidon flotte et vous permet de faire de votre sac une bouée, voire de confectionner un radeau en en attachant plusieurs ensemble.
Jamais sans mon Alice
Mais l'élément capital c'est ce qui va contenir tous ces objets, et aussi l'alimentation, le matériel de communication et tout ce dont on peut avoir besoin au cours d'un mois ou plus de travail de terrain. C'est le sac à dos. Tels des Thomas Pesquet de la forêt, nous portons en effet sur notre dos notre capsule spatiale, que nous déplions tous les soirs pour la replier au matin.
Et là c'est Alice qui gagne. J'ai testé au moins une demi-douzaine de modèles et de types de sacs, du plus populaire au plus onéreux, pensant à chaque fois que j'avais trouvé LA solution. Mais tous se sont avérés trop lourds, trop encombrants, trop fragiles face à l'humidité. Alors, avec humilité, il a fallu reconnaître que les anciens avaient raison et que le sac à dos ALICE (pour All-purpose Light Infantry Carrying Equipment), produit par l'armée américaine à partir des années 1970, a toutes les qualités. Il a été pensé à l'époque pour des opérations en milieu tropical – correspondant à celui de la Guyane, en remplacement des sacs en coton lourd hérités de la Seconde Guerre mondiale.
Il se compose d'un cadre en acier qui peut devenir une claie de portage et d'un grand compartiment avec quelques poches externes. Il laisse un espace entre le dos et le sac, qui permet une aération bienvenue, et est très pratique pour ranger sa machette. Le nylon est solide mais peu épais. Il ne se gorge pas d'humidité et reste donc léger. Bretelles et ceinture sont de simples bandes de caoutchouc. Moins de confort mais aussi pas de rembourrage en nid d'abeille qui absorbe plusieurs fois son poids en eau. Il s'agit enfin d'un sac qui n'est pas très haut. Certains attribuent cette caractéristique au fait que les GI devaient pouvoir voir derrière eux mais, mais à moins qu'ils aient été de la famille des hiboux, ce qui leur permettait de tourner complètement la tête, cela me semble peu probable. En revanche cela a pu être pensé pour les déplacements en forêt, où l'on baisse souvent la tête pour éviter une liane qui vient alors attraper et bloquer le sac à dos quand celui-ci remonte plus haut que les épaules...
Du fait de ces qualités, ce sac fait presque l'unanimité dans notre équipe. Certains, comme moi, y ont ajouté quelques options sous forme de poches supplémentaires. D'autres restent fidèles à sa simplicité avec une philosophie qui est pleine de bon sens : si ça ne rentre pas dans le sac tel qu'il est, c'est que c'est en trop...
Depuis, de nouveaux matériels sont apparus, adaptés à d'autres environnements. Alice a été mise à la retraite au profit de MOLLE (si bien que ce billet n'est pas du placement de produit puisque les sacs dont je parle ne sont plus fabriqués à l'exception d'imitations asiatiques de mauvaise qualité à éviter absolument). En parallèle, le matériel de randonnée civil s'est extraordinairement diversifié mais la forêt équatoriale est une niche qui a reçu moins d'attention.
Malheureusement, le sac moderne idéal pour la Guyane n'est pas encore inventé. Dès lors, si vous allez en forêt, partez avec Alice ! ♦
Commentaires
Bonjour François,
Adam Lancero le 24 Mai 2021 à 07h03Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS