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Depuis un peu plus d'un mois que nous traversons la Guyane par son milieu, nous avons croisé des zones d'orpaillage à tous les stades de leur développement : chantiers sur le point de démarrer, zones de travail en activité, zones logistiques fonctionnelles, chantiers détruits ou abandonnés, régions autrefois très actives et devenues désertes aujourd'hui, comme une version forestière des villes fantômes de l'Ouest américain… C'est l'occasion de se souvenir que l'activité d'orpaillage, comme la plupart des activités extractives, suit des cycles successifs de croissance et de déclin qui sont une de ses spécificités.
De la rumeur à la ruée
Au départ, il y a toujours un prospecteur heureux. Il trouve un filon important et commence à l'exploiter. Son succès est rapidement connu, soit parce que lui ou ses ouvriers arrivent dans les villages d'appui avec beaucoup d'or à dépenser, soit parce que des confidences s'échangent autour d'une bouteille dans un cabaret… D'autres patrons de chantiers viennent alors s'installer. Au début le découvreur du site organise les choses car il dispose d'un « droit » sur la zone découverte. Mais si le mouvement prend de l'ampleur, il lui sera rapidement impossible de contrôler les installations.
Avec la multiplication des chantiers, arrivent les fonctions de support du garimpo. Un ou des villages d'appui se créent, avec des épiceries, des bars, des restaurants, des cabarets, etc. Chantiers et commerces nécessitent des approvisionnements constants et la chaîne logistique installe des pistes et dégage des criques afin de les faire passer.
Petite ou grande, c'est donc une ruée vers l'or qui s'installe, que les garimpeiros appellent fofoca, un nom qui signifie « rumeur » car la ruée est autant composée et entretenue par les chantiers qui se multiplient que par ce qu'on dit de la zone concernée à l'extérieur. Toujours à la recherche de la région qui leur permettra de devenir riches le plus vite, les orpailleurs sont attentifs à ces informations. La ruée initiale fait donc boule de neige. On nous a ainsi signalé que dans la zone de Grande Usine, qui est une des principales fofocas de Guyane aujourd'hui, il y a sans doute autant de personnes qui travaillent effectivement que de personnes venues à la recherche d'un emploi et qui attendent une hypothétique place.
Les garimpeiros distinguent les fofocas de máquina, ou ruées sur des placers alluviaux, et fofocas de poço ou ruées vers des filons primaires. Dans les régions que nous avons croisées et en considérant les ruées actives, la zone de la rivière Atouka est bien représentative du premier type, alors que Grande Usine l'est du second. Les ruées sur les zones de puits sont en général très concentrées, les orpailleurs travaillant un nombre restreint de collines proches les unes des autres dans lesquelles ils ont découvert des filons. Les ruées sur des placers alluviaux concernent en général des régions plus vastes, l'ensemble du cours des rivières concernées (et celui de la plupart de leurs affluents) finissant par être exploités.
Les filons s'épuisent mais les traces d'exploitation persistent
Toute ruée porte en elle les germes de son déclin. En effet, la quantité d'or est toujours finie et au bout de quelques mois ou quelques années, la production se tarit. C'est le blefe, dans l'argot des garimpeiros. Les commerçants quittent la zone peu à peu, les chantiers sont de moins en moins nombreux… Ils disparaissent rarement complètement car il y a toujours un petit peu d'or à trouver, mais la région est alors évitée par la plupart des travailleurs, qui n'y voient plus un grand potentiel. Certaines régions finissent par être totalement abandonnées. Les campements des orpailleurs disparaissent rapidement dans la forêt, mais les déchets plastiques ou métalliques y resteront très longtemps. Certaines plantes installées par les orpailleurs dureront quelques mois (courges, chicorée...) ou années (bananes, papayers, citronniers, piments…).
Dans certains cas des manguiers signalent encore aujourd'hui des exploitations créoles des années 1950. Les zones d'exploitation, elles, porteront pendant longtemps les marques des bouleversements qu'elles ont endurés. Les cours d'eau sont en effet totalement perturbés, souvent transformés en séries d'étangs, alors que la végétation peine à les reconquérir.
Parfois cependant, un des prospecteurs restés sur place trouve un filon qui avait échappé aux précédents, et le cycle redémarre. Ainsi, dans la région de l'Inini, Eau Claire a vu plusieurs cycles se succéder. De même, la plupart des sites alluviaux de Guyane ont été travaillés par les orpailleurs créoles de la fin du XIXe siècle et les garimpeiros concèdent qu'ils ne font en fait qu'un « deuxième passage » (repassagem).
L'influence de la lutte contre l'orpaillage illégal
Si les zones d'orpaillage vivent « naturellement » des cycles de croissance et de déclin, la lutte contre l'orpaillage illégal qui est menée en Guyane constitue un facteur supplémentaire dans leur évolution. Les régions les plus proches des zones urbaines de l'intérieur de la Guyane, comme Maripasoula, Camopi ou Saül, sont trop près des autorités pour que des ruées s'y déroulent. Dans certaines régions plus éloignées, des postes ont été installés par les Forces armées de Guyane et par la gendarmerie pour enrayer des ruées en cours. C'est par exemple le cas à Dorlin, région tristement célèbre du fait des affrontements intervenus en 2012 entre les forces de l'ordre et une bande armée qui s'y était implantée pour racketter les chantiers. Aujourd'hui les chantiers d'orpaillage illégal y existent encore mais ils se tiennent à bonne distance du poste, un peu comme des Indiens du Far-West encerclant de loin la caravane.
Car les orpailleurs clandestins sont aussi patients, et ils peuvent attendre que les autorités déplacent un poste de contrôle pour reprendre une ruée passée. C'est ce qui se produit en ce moment à Grande Usine. Ce site a connu une ruée de grande proportion en 2012, à laquelle une présence permanente a mis fin. Aujourd'hui le poste de contrôle a été transféré ailleurs, et les garimpeiros tentent de se réimplanter. Mais la partie ne sera pas facile pour eux puisque le poste permanent a été remplacé par des actions coup de poing fréquentes pour détruire les chantiers.
Les actions de lutte contre l'orpaillage illégal modifient donc la physionomie des ruées. Les orpailleurs optent pour des chantiers de plus petite taille, dont le matériel est plus rapidement rentabilisé ou remplacé en cas de destruction. Les gros villages d'appui qui accompagnaient les ruées du début des années 2000 ont disparu au profit de structures plus légères et moins voyantes. L'approvisionnement est beaucoup moins stocké sur place et de plus en plus les orpailleurs travaillent en flux tendu. Mais malgré cela, le principe du cycle, de la découverte au déclin, subsiste.
Sur notre chemin, nous avons donc croisé des zones de ruée active, comme Atouka (placers alluviaux) ou Pé de Limão (puits et logistique) ; des zones épuisées – au moins pour le moment –, comme la crique Alikéné, le haut de la crique Sapokaï, etc. ; des zones dans lesquelles le déclin semble amorcé, à la fois du fait du tarissement des ressources et de la pression des autorités, comme l'Inipi ; des zones dans lesquelles cette pression des autorités a pour le moment totalement enrayé le cycle, comme le Degrad Roche…
Comme on le voit, le paysage de l'orpaillage clandestin en Guyane est mouvant et évolutif. Cela explique la nécessité de toujours revenir sur le terrain pour essayer d'en avoir une vision actualisée. ♦
Commentaires
selva
Adam Lancero le 23 Juin 2021 à 04h41Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS