A la une
Comme tout bon accord scellé lors d’une convention internationale, la déclaration de la COP 26 sur les forêts et la déforestation est, selon le premier ministre anglais qui l’a parrainée « sans précédent », offrant « une chance de sortir de l’ère de l’humanité conquérante de la nature pour ouvrir celle où elle en devient la gardienne »… Mais que peut-on en dire une fois passé le concert de trompettes saluant sa signature ? Comment l’interpréter à la lueur de la situation, par exemple, de l’Amazonie ?
Rappelons les faits : le 2 novembre, plus d’une centaine de pays se sont engagés à faire en sorte que la déforestation soit totalement stoppée sur la planète à l’horizon 2030, et des moyens financiers ont été mis sur la table pour ce faire. Prenons d’abord les points évidemment positifs, car il y en a. En premier lieu, le nombre de pays signataires est important : 105 nations, qui abritent 85 % des forêts du monde. Il y a donc, en apparence, un consensus sur le fait que la déforestation est un processus délétère qu’il faudrait mieux stopper au plus vie. En clair, ce que l’humanité détruit quand elle remplace des forêts par des terres agricoles, elle ne sait pas le remplacer et cela a peut-être plus de valeur pour le présent (du fait des services climatiques rendus) et pour le futur (du fait du réservoir de biodiversité que les forêts abritent, en particulier dans les tropiques) que les bœufs ou les tonnes de soja et d’huile de palme qui proviendront de ce même espace.
Troupeau de vaches au Mato Grosso. La déforestation en Amazonie brésilienne est principalement liée à l’expansion de l’élevage bovin, dont les produits (viande mais aussi cuir) sont consommés au Brésil mais aussi exportés vers des marchés distants. (Crédit FMLT)
Le second point positif est que des moyens sont alloués pour aider les pays à franchir le cap, qui ne sont pas dérisoires. Plus de 10 milliards d’euros d’argent public et près de 6 milliards d’euros d’argent privé seraient engagés sur la période 2021-2025. Enfin, des mécanismes de traçage des activités économiques seront mis en place pour assurer que les produits mis sur le marché ne soient pas liés à de nouveaux défrichements.
En somme, le signal envoyé est fort. Problème résolu alors ? Voire. Chacun des éléments de cet accord a son revers de la médaille.
Ainsi, les signataires : quel crédit accorder à leur signature quand certains mènent depuis longtemps une politique exactement contraire ? Depuis 2014 la déforestation est repartie à la hausse au Brésil, et elle a particulièrement progressé sous le gouvernement de Jair Boslonaro, qui a fait du laisser-faire en Amazonie (notamment en étranglant financièrement tous les organismes de contrôle) sa marque de fabrique. Va-t-il subitement faire demi-tour ou bien continuera-t-il sa route sans désemparer ? La capacité des leaders populistes à affirmer quelque-chose tout en faisant l’exact opposé est connue (c’est d’ailleurs une des marques de fabrique de Boris Johnson, le parrain de l’accord de Glasgow) … Pour comprendre qu’un engagement international ne suffit pas à changer les choses sur le terrain, on peut simplement se souvenir qu’après un engagement similaire pris en 2008, la déclaration de New York avait promis en 2014 de réduire de moitié la déforestation en 2020 (dans les faits elle a progressé sur la même période) et qu’en 2015 le Brésil avait promis d’en finir rapidement avec la déforestation illégale sur son sol (selon une étude de l’ONG ICV et de l’Université fédérale du Minas Gerais publiée en 2021, jusqu’à 94% de la déforestation enregistrée ces dernières années serait illégale…). La fragilité de la déclaration de Glasgow est patente puisque l'Indonésie semble déjà faire machine arrière sur son engagement.
Et les moyens engagés ? Certes c’est beaucoup d’argent… Mais… Tout d’abord aucune précision n’a été donnée sur la manière dont ces chiffres ont été calculés. En général, les États s’arrangent pour comptabiliser des actions qu’ils avaient déjà en grande partie prévu de réaliser, si bien que la part d’argent « neuf » est faible. Combien exactement ? Il serait intéressant de le savoir. Combien la France contribuera-t-elle ? On voudrait le savoir aussi ! (spoiler alert : ce sera bien moins que vous le pensez !) Même chose pour le secteur privé. On comprend qu’une partie des fonds avancés correspond à des compensations d’émissions de CO2 qui auraient eu lieu de toute façon dans le cadre des mécanismes existant. Comment le reste sera-t-il réparti ? Encore une interrogation...
Mais surtout ces montants, pour importants qu’ils paraissent en eux-mêmes, ne le sont pas tant que ça. 16 milliards d’euros sur 5 ans pour toutes les forêts du globe (donc 3,2 milliards par an, en somme), cela ne représente que quelques euros par hectare ou par personne vivant des forêts. Pas vraiment de quoi faire la différence.
Pour s’en rendre compte, on peut proposer deux comparaisons. La première est l’effort de la France pour lutter contre l’orpaillage clandestin en Guyane, qui s’élève à 70 millions d’euros par an. Si un effort équivalent devait être consenti pour l’Amazonie brésilienne, qui est 50 fois plus grande, il faudrait 3,5 milliards d’euros chaque année, soit plus que la dotation proposée à Glasgow pour toutes les forêts du monde. On le voit, ces fonds ne suffiront pas si l’on veut attaquer la question au plan global. En second lieu, l’ONG Global Witness a mené une investigation dont il ressort que les institutions financières internationales ont investi plus de 157 milliards de dollars dans des entreprises liées à la déforestation entre 2016 et 2020. Soit au moins dix fois plus en montant annuel que l’engagement de Glasgow… On pourra aussi se souvenir que durant sa campagne électorale Joe Biden avait promis 20 milliards de dollars au Brésil pour l’Amazonie. Cette somme est-elle encore d’actualité en plus de ce qui a été promis à Glasgow ? Comme on peut craindre que non, on notera combien les promesses ont diminué, de 20 milliards des USA pour le seul Brésil à 19 milliards des tous les pays développés pour toutes les forêts de la planète…
Front de déforestation en Roraima. L’expansion des pâturages rentre peu à peu dans la forêt et menace les territoires amérindiens voisins comme celui des Yanomami. (crédit FMLT)
Il y a encore d’autres angles morts dans l’accord. Pourquoi, par exemple, fixer 2030 comme objectif si le problème est urgent ? Également, et malgré toute l’affection que je porte à l’Amazonie, le focus sur les forêts pose question. A partir de quand une formation végétale est-elle une forêt (et doit donc être protégée) ? Pourquoi seulement les forêts, au-delà du fait qu’elles constituent un objet de sympathie pour les opinions publiques internationales ? Les autres écosystèmes méritent aussi protection. Pour ne pas quitter le Brésil, ces questions ont été bien illustrées par la différence de traitement entre l’écosystème amazonien, sur lequel les yeux sont braqués depuis plus de trente ans pour en dénoncer la déforestation, et celui du cerrado, les savanes du Brésil central, dont on a bien peu parlé jusqu’aux années 2010. Or c’est le cerrado qui a supporté (et supporte encore) la plus grande partie de l’expansion des grandes cultures d’exportation comme celle du soja, et sa biodiversité, elle aussi exceptionnelle, en souffre : entre 2009 et 2020, si le biome Amazonie a perdu 90 794 km² de végétation, le biome cerrado, moins étendu, en a perdu 122 971 km² (chiffres sur le site de l’INPE Terra Brasilis)... Et pourtant, comme l’Amazonie, le cerrado stocke de grandes quantités de carbone. Mais la savane est moins sexy que la grande forêt !
Quant à la traçabilité devant garantir que les productions ne soient pas réalisées sur des nouveaux défrichements, elle constitue une solution séduisante mais le diable est dans les détails… Qui certifiera et comment ? Quel sera l’état initial à partir duquel on considérera que la déforestation est acceptable ou non ? Ce qui a été déforesté hier ou avant-hier est-il considéré désormais comme des terres agricoles ? Toujours au Brésil, certaines parcelles peuvent être déforestées en toute légalité. Les nouveaux mécanismes vont-ils se substituer à la loi locale ?
Enfin, il ne faudrait pas que l’arbre cache la forêt... Certes la déforestation est un facteur d’émission de gaz à effet de serre, mais elle n’est pas le facteur principal. La perte de forêts tropicale représente par exemple environ 10% des émissions de CO2. Ne faudrait-il pas s’attaquer principalement aux autres sources, notamment le transport (16,2 %), le chauffage (17,5 %) ou bien encore l’industrie (29,4 %) (Source Our World in data) ? De même, les forêts pourraient absorber jusqu’à 15 % du CO2 émis au niveau mondial. Ce n’est pas négligeable. Mais que fait-on des 85 % qui restent ? On a parfois l’impression que pointer la déforestation du doigt a l’avantage de détourner l’attention vers des pays lointains que l’on peut facilement blâmer pour leur conduite sans se poser la question des changements à réaliser « chez nous »…
Alors que serait un accord idéal sur la déforestation ? A mon sens, il devrait avant toute chose viser à renverser l’équation qui nuit aux forêts jusqu’à aujourd’hui : une forêt conservée ne rapporte rien alors qu’une forêt convertie en espace agricole est une source de revenu. Il faudrait donc rémunérer les propriétaires des forêts suffisamment pour qu’ils les considèrent d’un autre œil. Cette rémunération devrait aussi se baser sur un spectre plus ample de services que le simple stockage du carbone. Les forêts stockent de la biodiversité, elles participent au filtrage de l’eau, elles amortissent les extrêmes climatiques… Ce sont tous ces services qui devraient être valorisés. On peut trouver choquant de rémunérer ceux qui déforestent pour qu’ils ne le fassent pas, mais n’est-il pas aussi choquant de vouloir bénéficier des services proposés par les grandes forêts du monde sans les payer ?
Grumes de déforestation illégale saisie au Mato Grosso. (Crédit FMLT)
Mais de tels mécanismes impliquent aussi un changement de vision. Pour le moment les accords visent à mettre des sommes d’argent sur la table, mais dans l’idée de payer une fois pour régler définitivement le problème. Il faudrait passer à l’idée d’un paiement récurrent - comme vos logiciels préférés pour lesquels vous ne payez plus une licence, mais un abonnement annuel en échange de l’accès au service.
Un second point d’un accord idéal serait de travailler sur les efforts à réaliser dans les pays développés. L’huile de palme, le soja, le cuir ou la viande de bœuf qui sont produits sur les terres déforestées y sont souvent exportés. En somme, nous dénonçons la déforestation mais consommons abondamment les productions qu’elle permet, que ce soit directement, en achetant des produits importés, ou indirectement, en consommant des animaux nourris dans nos pays avec des matières premières importées… C’est en réduisant la consommation de certaines denrées que nous rendrons la conversion des forêts en surfaces agricoles moins rentable. A ce moment, la question de la traçabilité se posera moins puisque l’incitation à entrer toujours plus profondément dans les massifs forestiers aura considérablement diminué. Certes d’autres marchés prendront certainement le relai si les pays occidentaux baissent durablement leurs importations, notamment la Chine ou l’Inde. Cela étant, il sera bien plus facile de leur faire la leçon en ayant nous-mêmes fait nos devoirs.
La COP26 et sa « déclaration » sur les forêts sont loin de cet accord idéal. Faut-il pour autant n’y voir que de la poudre aux yeux ? Pour insatisfaisant qu’ils soient, tout petit pas vers une réduction de la déforestation sera bon à prendre. Mais ce sont les actes des pays signataires dans les tous prochains mois, et non leurs déclarations lors d’un sommet consensuel, qui montreront la sincérité de leurs intentions.
Commentaires
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS