Donner du sens à la science

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Découvrez ici les recherches et le récit des expéditions du géographe François-Michel Le Tourneau, spécialiste de la Guyane et explorateur de la forêt amazonienne. A suivre également sur le compte Twitter @7bornes.
 

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François-Michel Le Tourneau
Géographe aventurier, membre de l'International Research Laboratory (IRL) iGLOBES

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C'est reparti !
12.05.2021, par François-Michel Le Tourneau
C’est un nouveau raid scientifique qui débute aujourd’hui au cœur de la forêt guyanaise. Le géographe François-Michel Le Tourneau nous fait le récit sur ce blog de cette aventure de six semaines, qui permettra notamment d’en savoir plus sur l’orpaillage clandestin.

En 2015, le « raid des 7 bornes » a permis de suivre la frontière terrestre qui sépare la Guyane française du Brésil. Tout au long des 320 kilomètres du trajet, nous avons pu confirmer que cette zone, si elle a été peuplée par les Amérindiens jusqu’au milieu du XXe siècle, est aujourd’hui déserte. Aucune trace de présence humaine récente, hormis celle de quelques expéditions scientifiques ou militaires, n’y était présente.

Mais qu’en serait-il si, au lieu de traverser la Guyane par sa bordure sud, on réalisait un trajet analogue en son centre ?

C’est en partant de cette interrogation que j’ai proposé aux Forces armées de Guyane (FAG) un nouveau raid, dont le principe serait de réaliser une traversée est-ouest de la Guyane (en sens contraire, donc, des 7 bornes, pour varier un peu…) mais cette fois à mi-chemin entre la frontière sud et le littoral. Une fois de plus, j’ai reçu un soutien enthousiaste tant au niveau du commandement qu’à celui des personnels (que tous en soient remerciés ici !) sur le projet et nous voici sur le départ pour cette nouvelle expédition, dénommée « Oyapock-Maroni » puisqu’elle nous permettra de partir du premier fleuve pour arriver sur les berges du second.

Le raid Oyapock-Maroni traversera la Guyane « par le milieu » (carte de suivi disponible ici).
 
Le trajet prévu suit grosso modo une ligne autour de la latitude 3°30 Nord, qui correspond au milieu de la Guyane. Ce n’est cependant pas une ligne droite, car marcher tout droit nous amènerait à traverser d’innombrables marais et cours d’eau – une tâche harassante et peut-être impossible. Il faut, en Guyane, profiter le plus possible des lignes de crête, et avancer sur cet étroit fil qui sépare les bassins versants et permet de marcher avec les pieds – relativement – au sec.

Lors du raid des 7 bornes, la question était simple. La frontière suivant la ligne de partage des eaux entre le bassin de l’Amazone et ceux du Maroni et de l’Oyapock, le trajet que nous voulions suivre était une ligne de crête continue. Simple bien sûr dans la conception, puisque dans la réalisation il n’a pas toujours été facile de suivre cette ligne théorique, parfois escarpée et souvent à peine visible. Mais au moins ligne de crète il y avait.

Un chemin inédit
Dans le cas présent, nous ne pouvons suivre un tel itinéraire. Nous allons au contraire traverser perpendiculairement trois des quatre grands bassins versants qui constituent la Guyane (celui de la rive gauche de l’Oyapock, celui de l’Approuague et celui de la rive droite du Maroni), sans parler de centaines de cours d’eau mineurs. Il a donc fallu imaginer un chemin qui utilise le plus possible les séparations entre chaque lorsqu’elles vont dans notre direction, et minimiser les traversées. Les six prochaines semaines diront si l’étude menée sur la carte sera à la hauteur des espoirs que nous fondons sur elle…


Les quatre ravitaillements sont prêts, ils nous seront amenés en quatre endroits du parcours. Deux bouteilles d’eau par personne pour changer de celle des criques et de l’alimentation. Tout le reste est sur notre dos !
 
 
Mais, et c’est une grande différence avec le raid de 2015, nous n’allons pas marcher dans une Guyane « vide ». Le trajet prévu traverse en effet de nombreuses zones qui sont intensivement utilisées par les orpailleurs clandestins, les garimpeiros. Nous trouverons également leurs itinéraires de ravitaillement, et les voies de communication qu’ils utilisent. Car eux aussi sont coutumiers de la traversée est-ouest de la Guyane, en général réalisée en combinant tronçons en pirogue et parcours à pied. C’est le chemin emprunté par les moins fortunés ou par ceux qui n’ont pas de papiers en règle leur permettant d’aller directement à Paramaribo en avion. Partant de la ville d’Oiapoque, ils rejoignent ainsi les zones d’orpaillage de la Guyane ou du Suriname, ou rentrent au Brésil par le même itinéraire parcouru à l’inverse. C’est aussi, dit-on, le chemin de petits troupeaux de bœufs qu’ils amènent dans leurs chantiers pour les approvisionner en viande…

Un autre regard sur l'orpaillage
Nous ne bouderons pas leurs chemins, de temps à autres, puisqu’étudier leur présence et leur impact sur l’environnement sont les axes majeurs de cette nouvelle expédition. Par ce qui s’apparente à un coup de sonde donné au centre de la Guyane, je souhaite en effet compléter la vision de l’orpaillage clandestin élaborée depuis 2016 et exposée dans le livre Chercheurs d’or. Les principales régions d’exploitation sont connues, mais quelles sont les relations entre chacune ? Certaines régions voisines qui ne sont apparemment pas concernées sont-elles tout de même exploitées ? Voient-elles du passage ? Ont-elles été utilisées dans un passé plus ou moins récent ? Quelle est la fréquentation des axes qui permettent la communication est-ouest ?
 

Le défi c’est de tout faire entrer dans le sac… Mais en dehors de l’alimentation il y a là tout ce que j’utiliserai au cours des 6 prochaines semaines.
 
Toutes ces questions nécessitent un champ d’observation large. C’est pourquoi un raid est idéal pour donner les premiers éléments. Il est la seule manière d’avoir une vision synoptique d’est en ouest et de passer de nombreuses semaines à observer l’ensemble de ce trajet. Nous déplaçant à pied et alternant les tronçons de forêt fermée et d’autres plus ouverts, nous serons discrets, ce qui permettra d’observer au mieux. Car bien que notre finalité ne soit pas répressive, les orpailleurs se méfient dès que des étrangers pénètrent dans les zones qu’ils occupent. Pour voir leur système en action, il vaut donc mieux ne pas être trop voyant.

Le soutien des forces armées
J’ai la grande chance dans toutes ces opérations de pouvoir compter sur le soutien des FAG, et en particulier du 3e Régiment étranger d’infanterie (REI) – la légion étrangère. Notre équipe sera donc diverse, comprenant au moins une demi-douzaine de nationalités. Mais je suis heureux que ce raid soit aussi l’occasion d’une participation du 9e Régiment d’infanterie de marine (RiMA). Des « marsouins » seront donc présents aux côtés des légionnaires, représentant les deux principales formations de l’armée de terre présentes sur le territoire guyanais et engagées dans la lutte contre l’orpaillage illégal en appui des forces de sécurité intérieures. Enfin, nous compterons aussi sur l’appui indispensable de l’armée de l’air qui nous apportera des ravitaillements au fur et à mesure du trajet. C’est la condition sine qua non du type de raid envisagé, car on ne peut porter 6 semaines de ravitaillement et marcher vite. Toute expédition est un arbitrage entre la distance que l’on veut parcourir, le poids que l’on peut porter et le temps disponible…
 

Le produit fini… A chaque départ je gagne dix niveaux à Tetris
 
Départ bientôt pour Saint Georges de l’Oyapock, pour une « mise en place » à proximité de la crique Nousiri. A partir de là, ce sera la forêt avec cap à l’ouest jusqu’à trouver le Maroni. Vous pourrez suivre notre progression en ligne et j’espère poster régulièrement des billets dans ce blog. En attendant nous réalisons les derniers préparatifs, entre tri des rations, chargement des batteries et inventaire du matériel (que vais-je oublier cette fois-ci ?).

Nous voici donc dans les dernières heures qui nous séparent du départ. L’excitation de la découverte est là, et l’appréhension aussi. L’espoir d’aller au bout et la crainte de la blessure idiote qui compromettrait tout… L’envie de marcher et la certitude de la morsure des bretelles du sac trop lourd… Vivement le premier bivouac !