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Cécile Charrier, des synapses plein la tête

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Cécile Charrier, des synapses plein la tête

11.02.2022, par
Emmanuelle Picaud [6]
Temps de lecture : 7 minutes
Paris rue d'Ulm le 8 février 2022. Portrait de Cécile Charrier jeune chercheuse scientifique de l'année 2021.
Benoît Rajau/CNRS Photothèque
À l'occasion de la Journée internationale des femmes et des filles de science, le 11 février, découvrez le parcours de la biologiste Cécile Charrier. Lauréate du Prix Irène Joliot-Curie 2021 de la "Jeune Femme scientifique", elle s’efforce depuis plusieurs années de percer les mystères des circuits neuronaux de notre cerveau.

Dans son bureau au 46, rue d’Ulm, Cécile Charrier a placé sur son étagère un cadre avec le cliché d’un neurone observé au microscope. « Je trouve cela très beau, un neurone. Avant l’observation au microscope, nous les marquons avec des sondes fluorescentes permettant de visualiser les protéines synaptiques, donc il y a toujours plein de couleurs qui ressortent sur les clichés. De mon point de vue, regarder un neurone avec ses connexions synaptiques, c’est un peu comme voir des individus échanger une poignée de main », s’émerveille la scientifique.
 

Nos synapses sont à la base de toutes nos émotions et de tous nos comportements.

Depuis environ 15 ans, cette chercheuse au sein de l'Institut de biologie de l'Ecole Normale Supérieure1 observe les synapses, ces connections qui assurent la transmission et le traitement du signal nerveux entre nos neurones, et sans qui notre système nerveux s’avère incapable de fonctionner. « Nos synapses sont à la base de toutes nos émotions et de tous nos comportements. Elles contrôlent par exemple la peur, la faim, la mémoire ou l’apprentissage », décrit Cécile Charrier. Ce qu’essaye de comprendre cette biologiste, c’est en quoi le fonctionnement des synapses humaines diffère de celui des autres animaux.

La plasticité des synapses

« Nous tentons de comprendre comment certaines mutations génétiques apparues au cours de l’évolution humaine affectent les mécanismes fondamentaux responsables du développement des synapses et de leur plasticité. La plasticité synaptique est un processus qui permet au cerveau d’apprendre et de s’adapter tout au long de la vie et qui est particulièrement important chez les enfants et les adolescents. Chez l’homme, le cerveau en général, et les synapses en particulier, se développent sur des durées beaucoup longues que chez les autres mammifères. On considère que le cerveau n’est mature que vers 20 ans. Cela augmente l’influence de l’environnement et des interactions sociales, mais aussi la vulnérabilité à certains troubles neurologiques ou psychiatriques comme l’autisme, la schizophrénie ou les déficiences intellectuelles », détaille-t-elle.

Neurone cortical dont les synapses sont marquées par des protéines fluorescentes.
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Neurone cortical dont les synapses sont marquées par des protéines fluorescentes.
Marine Depp/IBENS
Marine Depp/IBENS
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Pour récompenser ses travaux, Cécile Charrier a reçu à l’automne dernier le prix Irène Joliot-Curie, catégorie jeune femme scientifique, une récompense qui distingue chaque année cinq femmes du monde de la recherche. La biologiste de 39 ans attribue ce succès à ses choix de carrière, mais aussi à la chance. « Mes travaux postdoctoraux ont eu un impact important. Ils ont soulevé de nouvelles questions que j’ai pu ensuite approfondir quand je suis rentrée en France», explique-t-elle. Après avoir passé un magistère en biologie à l’école Normale supérieure en 2005 et une thèse en 2009, Cécile Charrier décide en effet de partir Outre-Atlantique, à San Diego, où elle travaillera sur le gène SRGAP2C, un gène apparu au moment de la séparation entre Australopithecus et Homo, il y a environ 2,4 millions d’années. Elle parviendra à montrer que ce dernier joue un rôle primordial sur le développement de caractéristiques propres aux synapses humaines. Une découverte déterminante pour la suite de sa carrière.

 « Antoine Triller, mon directeur de thèse, disait « nous ne sommes pas là pour faire des choses faciles ». C’est une façon d’expliquer que la science n’est pas là pour céder à la facilité et que les découvertes ne se font pas sans prendre de risque, qu’il faut oser poser des questions qui sortent des sentiers battus pour la faire avancer. Son exigence intellectuelle m’a portée. Je me suis dit : « je ne vais pas forcément faire ce que les autres trouvent intéressant, je vais faire ce qui m’intéresse. »
 

Reconstruction tridimensionnelle d'une dendrite en microscopie électronique. Les dendrites des neurones pyramidaux du cortex sont couverts d'épines qui forment les synapses excitatrices.
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Reconstruction tridimensionnelle d'une dendrite en microscopie électronique. Les dendrites des neurones pyramidaux du cortex sont couverts d'épines qui forment les synapses excitatrices.
Olivier Gémin/IBENS
Olivier Gémin/IBENS
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Le tournant européen

De ses années aux Etats-Unis, elle se souvient surtout de l’ambiance propice à l’innovation qui régnait au sein de son laboratoire et de son directeur, Franck Polleux. « Pour lui, tout était possible. Il ne mettait jamais de barrière intellectuelle ou technique dans les projets ». Ce raisonnement a permis de débrider ma créativité », reconnait-elle. Sur place, la jeune chercheuse se rend aussi compte que les intérêts scientifiques diffèrent en fonction des cultures. « À l’époque, en Californie, il y a eu un véritable engouement pour les neurones dérivés de cellules souches. Nous avons mis plus de temps à nous emparer de ce sujet en Europe, notamment à cause des questions d’éthique qui se posaient », observe-t-elle.
 

Le cerveau m’a toujours fascinée, j’ai su dès le lycée que je voulais devenir neurobiologiste.

Elle revient en France en 2013 et monte une équipe de recherche à Paris. Au départ, celle-ci était composée de deux personnes, puis elle s’est progressivement étoffée. Ses recherches se sont surtout accélérées à partir du moment où Cécile Charrier a obtenu un financement européen, en 2018. Grâce à ces fonds, Cécile Charrier et son équipe ont pu poursuivre leurs recherches sur le rôle de gènes liés à l’évolution humaine dans la régulation des mécanismes moléculaires et cellulaires au sein des neurones.

Aujourd’hui, Cécile Charrier dirige une équipe de huit personnes. Son quotidien est rythmé par l’encadrement des étudiants et postdoctorants, les discussions scientifiques, les demandes de financements, la dissémination des résultats scientifiques dans le cadre de publications ou de conférences, la production de rapports et d’évaluations, et la lecture des publications des autres chercheurs internationaux. Elle a étendu ses recherches à d’autres gènes humains afin de mieux comprendre le rôle de ces derniers sur l’activité synaptique. Elle n’est plus aussi souvent que ce qu’elle le souhaiterait en train d’observer des neurones au microscope. « La paillasse me manque parfois. Je l’échangerais bien contre mes e-mails ! En tant que biologiste, il faut prendre le temps d’observer les échantillons. C’est ce qui va parfois nous permettre de reformuler une hypothèse ou d’explorer une nouvelle piste d’étude », insiste-t-elle.

Neurones pyramidaux du néocortex.
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Neurones pyramidaux du néocortex.
Joseph Zamith/IBENS
Joseph Zamith/IBENS
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Le métier qu’elle fait aujourd’hui, c’est celui qu’elle voulait faire depuis son enfance. « Le cerveau m’a toujours fascinée, j’ai su dès le lycée que je voulais devenir neurobiologiste », assure-t-elle. Son parcours pourra peut-être, à l’avenir, inspirer d’autres jeunes filles qui souhaitent se lancer dans la biologie. « J’ai eu la chance d’avoir un parcours rectiligne et d’obtenir un poste assez jeune. L’âge moyen de recrutement a beaucoup reculé. Cela pose des difficultés particulières aux femmes parce qu’elles se retrouvent parfois à faire des choix personnels et professionnels importants en même temps. Il faut plus d’initiatives pour retenir les femmes dans le domaine de la recherche académique ». Une façon d’exprimer que, au-delà de sa passion pour la science, Cécile Charrier se révèle être aussi une femme de conviction. ♦
 

Notes
  • 1. Unité CNRS/ Inserm/ ENS

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