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En agriculture, les humains ont toujours tenté de s’affranchir de la nature: en sélectionnant les variétés les plus productives, en privilégiant l’usage de pesticides pour limiter les ravageurs des cultures et en privilégiant des variétés qui ne dépendent pas des insectes pollinisateurs pour leur reproduction. Ces pratiques contribuent à la raréfaction des abeilles.
Une équipe de recherche tente de comprendre l’impact des quelques pollinisateurs encore présents dans ces cultures. Auraient-ils un rôle pour les rendements agricoles et donc les revenus des agriculteurs ?
Vincent Bretagnolle - écologue (ou agro-écologue) :
“On s’est focalisé sur 2 cultures qui sont importantes dans un paysage agricole comme on en trouve dans le centre ouest de la France. Ces 2 cultures ce sont le colza et le tournesol”
Ces cultures oléo-protéagineuses, vous les connaissez bien ! On les retrouve dans le commerce sous formes d’huiles extraites à partir des graines.
Pour étudier le rôle des pollinisateurs sur ces plantes à floraison massives, des expériences sont menées en condition réelles dans la zone atelier Plaine & Val de Sèvre, un vaste territoire agricole des Deux-Sèvres.
Les scientifiques se sont intéressés dans un premier temps au Colza.
Vincent Bretagnolle :
“Le principe de l’expérimentation c’est d’utiliser une plante de Colza et de la mettre à l’intérieur de cette tente”
Le maillage de ce tissu empêche l’accès aux fleurs par les pollinisateurs à l’inverse de la plante de Colza témoin qui elle, peut être pollinisée à l’extérieure.
Vincent Bretagnolle :
“La comparaison de la fructification des deux plantes donnera une indication chiffrée et quantitative de l’effet des pollinisateurs sur le taux fécondité des fruits.”
A l’échelle des 260 parcelles étudiées, les résultats sont spectaculaires, les chercheurs ont montrés que les écarts de rendements peuvent atteindre 40% entre des parcelles faiblement fréquentées par les insectes et celles qui accueillent une forte densité d’abeilles. Pour obtenir ces résultats, il faut multiplier le nombre d’abeilles par 100. Mais ce n’est pas tout :
Vincent Bretagnolle :
Ce dont on se rend compte c’est que quand ces insectes pollinisateurs sont présents dans les parcelles, ils contribuent de manière majoritaire à la pollinisation de ces cultures et on voit des effets collatéraux tout à fait intéressant. On démontre par exemple qu’ils améliorent la qualité des graines, il améliorent le contenu lipidiques qui intéressent particulièrement l’homme dans la préparations de ces huiles.
En complément, les scientifiques enquêtent auprès des agriculteurs pour recueillir les quantités mais aussi les coûts des pesticides pulvérisés sur les parcelles de Colza et ainsi déterminer les marges brutes.
L’agriculteur peut donc opter soit pour une stratégie coûteuse basée sur l’agro-chimie, soit, à l'extrême inverse, pour une stratégie gratuite basée sur les abeilles.
Vincent Bretagnolle :
On a même quantifié dans le cas du colza de la “zone atelier” que la solution abeille pouvait amener à des augmentations de marges jusqu’à 150 à 160 €/ ha.”
Cette première expérience a incité les chercheurs à mieux comprendre le processus de pollinisation. Qui sont ces pollinisateurs et quelle est la contribution de chaque espèce dans le rendement final des cultures ?
Le dispositif expérimental est cette fois-ci centré sur le Tournesol avec un système de tentes d’exclusion encore plus sélectif que sur le Colza :
Vincent Bretagnolle :
Dans ce premier tissu les mailles sont très très fines, de l’ordre du 10ème de millimètres, donc aucun pollinisateurs ne pourra pénétrer à l’intérieur du mésocosme. Par contre le dispositif à côté, on a des mailles qui sont suffisamment grandes pour laisser entrer de petites pollinisateurs mais qui empêcheront malgré tout l’accès aux gros pollinisateurs que sont les abeilles domestiques et les bourdons.
Pour mieux comprendre le processus de pollinisation dans toute sa complexité, les scientifiques mènent de nombreuses autres expériences :
Le prélèvement de nectar pour évaluer la quantité et la qualité de ressources disponibles pour les pollinisateurs,
la quantification (dans ce nectar) des résidus de pesticides comme les néonicotinoïdes.
l’analyse des rendements / par le comptage de graines issues des plants pollinisés par nos différents groupes de butineurs,
l’étude de la compétition entre les abeilles sauvages et les abeilles domestiques pour l’accès aux fleurs,
et enfin plusieurs méthodes de comptages et d’identification des pollinisateurs comme cette capture au filet.
Alexis Saintilan - Entomologiste
Je suis en train de regarder les espèces qu’il y avait dans les parcelles de tournesol C’est un travail qui se fait en labo, car il faut savoir que les abeilles sauvages il y a plus de 1000 espèces en France.
Identifier et quantifier les espèces de pollinisateurs est un travail laborieux. L'équipe de recherche se penche cette année sur une nouvelle technique, aidé par une technologie assez simple, qui pourrait révolutionner l'étude de ces insectes...
Vincent Bretagnolle :
“On enregistre en continue ce qu’on appelle le buzz des abeilles. Ce sont des micros placés en face des fleurs pendant toute la saison de floraison donc c’est du continu pendant 4 à 5 semaines de suite. Et donc on aura une vision avec une précision jamais obtenue.
Cette méthode de bioacoustique est actuellement en phase de calibration afin de vérifier si les observations visuelles peuvent bien être décelées par l’analyse du signal sonore.
Ludovic CROCHARD - Doctorant Muséum national d’Histoire Naturelle
:
“Alors là c’est l’enregistrement de l’un de nos micros que l’on a posé hier et ici on voit le signal que l’on pu capté et cette petite zone là correspond au bourdonnement d’une abeille. C’était une abeille domestique. Donc on peut l’écouter”
La mesure en continu du buzz permet de connaître la fréquentation totale par les abeilles, fréquentation que l’on peut ensuite mettre en relation avec les rendements.
Si les pollinisateurs ne sont pas assez nombreux, l’ensemble des fleurs n’est pas pollinisé. On parle alors de limitation pollinique. Des chercheurs du Museum National d'Histoire Naturelle ont même élaboré une carte de France du déficit en insectes pollinisateurs.
Vincent Bretagnolle :
Ces études vont contribuer à calibrer ces cartes de France du service de pollinisation dans les grandes cultures qui indique pour l’instant cette limitation pollinique dans à peu près ⅓ du territoire national.
Face à la raréfaction des abeilles, les chercheurs apportent aussi à la communauté agricoles des résultats qui démontrent que l’abondance des abeilles dépend de leurs pratiques culturales et en particulier de l’utilisation d’herbicides et insecticides qui limitent les populations de fleurs sauvages et d’abeilles.
“Et puis l’autre déterminant majeur de l’abondance des pollinisateurs, c’est le paysage qui entoure la parcelle. là aussi les agriculteurs peuvent améliorer les habitats des pollinisateurs sauvage comme domestiques en offrant des ressources alimentaires, des fleurs, où des espaces dans lesquels les pollinisateurs sauvages peuvent se reproduire, comme les talus, les haies, les bandes enherbées”
Ces études soulignent l'importance de préserver un service essentiel de pollinisation nécessaire à l’agriculture mais aussi à l’apiculture.
Mais ces étude éclairent surtout l’importance des bienfaits que procurent gratuitement la nature, pour peu qu’on lui fasse un peu plus confiance…
Le rôle oublié des insectes pollinisateurs
Ils posent des micros dans des champs de tournesol... pour compter les abeilles et autres pollinisateurs ! Découvrez, dans ce reportage diffusé en partenariat avec LeMonde.fr, les expériences astucieuses menées par une équipe du Centre d'études biologiques de Chizé pour étudier ces différents insectes et leurs effets sur nos cultures.
Alexis Saintilan
Ludovic Crochard
Centre d’études biologiques de Chizé (CEBC)
CNRS / INRAE / La Rochelle Université
Centre d’écologie et des sciences de la conservation
CNRS / Muséum National d’Histoire Naturelle