Nous sommes au royaume des morts peuplé d’objets funéraires, de momies d’animaux et d’humains. Une salle isolée, au fond d’un musée fantôme – le musée Guimet de Lyon a fermé ses portes en 2007.
 
Aujourd’hui, trois personnes viennent perturber le sommeil des morts : deux conservateurs et un scientifique.
Ils viennent voir un corps en particulier, une momie Copte de l’Egypte chrétienne, enfouie il y a 1500 ans et découverte au début du 20^ème siècle par l’archéologue français Albert Gayet.
 
Ambiance.
 
Le scientifique, c’est Roberto Vargiolu, un tribologue, ou spécialiste de l’usure et du frottement. Parmi ses domaines d’expertise : la peau et les cheveux.
 
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On étudie ce que l’on appelle la bio-ingénierie, c’est à dire qu’on va s’intéresser aux tissus vivants et au vieillissement des tissus vivants. On a une autre activité qui est la tribo-archéologie c’est à dire qu’on va s’intéresser à l’usure des objets archéologiques pour comprendre comment ils ont été fabriqués ; ou comment ils ont été utilisés. Et finalement, l’étude des momies, c’est la connexion de ces deux aspects c’est à dire l’étude du vieillissement archéologique de tissus vivants.
 
Moins bien étudiées que leurs ancêtres pharaoniques, les momies coptes gardent encore une grande part de mystère.
La tribologie permet une étude très fine de ces corps, tout en restant peu invasive.
 
Pour analyser la peau, on réalise une empreinte en silicone – ce silicone va permettre d’imprimer le relief inverse de la peau – c’est une technique non invasive et non destructive. Une fois qu’on a ce silicone, ce qui est intéressant c’est qu’on va pouvoir ensuite analyser le relief en laboratoire et comme cela, mesurer la topologie du relief de la peau à une échelle micrométrique ce qui n’est pas possible lorsque l’on étudie la momie directement ici au musée.
 
L’intérêt de réaliser des empreintes sur la peau de la momie, c’est que ces empreintes vont pouvoir être utilisés et analysés en laboratoire alors que la difficulté, c’est qu’on ne peut pas, effectivement, analyser, sous nos appareils, directement la peau de la momie puisqu’il y a des problèmes de transport et de toute façon la place des appareils ne le permet pas.
 
Il existe une dizaine de momies coptes dorées conservées en France. Mais toutes n’ont pas le même degré de dégradation. C’est en comparant différents spécimens que l’on peut déterminer les méthodes de momifications les plus efficaces utilisées à cette époque. Roberto Vargiolu a ainsi pu étudier la momie copte la mieux conservée de la collection : la momie du musée de Dunkerque appelée Ounouth et surnommé « la prêtresse. »
 
AMBIANCE AVEC MUSIQUE…
 
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Alors c’est vrai que lorsqu’on va étudier la momie de Dunkerque, d’un premier abord, ce qui est spectaculaire, c’est qu’elle est entièrement dorée. Et puis cette momie est superbe, elle est intacte. Et donc on s’est intéressé à la peau dorée et notamment aux techniques qui ont été utilisées pour appliquer les feuilles d’or sur la peau. Cette étude était très intéressante à différents niveaux : d’une part, en observant cette peau, on a observé que l’or était appliqué sur une couche de résine, et, en trouvant un petit fragment de peau qui était détachée de la momie, on a pu analyser l’épaisseur des feuilles d’or. Et ce qui est extraordinaire, c’est qu’on a découvert que les feuilles d’or avaient une épaisseur de 100 nm. Alors aujourd’hui on parle beaucoup de l’échelle nanométrique, mais si on compare les techniques de fabrication modernes des feuilles d’or, - aujourd’hui on fabrique des feuilles d’or à une échelle de 100nm et on voit donc que 1500 ans en arrière, on fabriquait, avec des techniques différentes, des feuilles d’or toutes aussi fines.
 
Les prélèvements faits sur les momies sont alors analysées. C’est ici, au Laboratoire de Tribologie et Dynamique des systèmes dans la banlieue de Lyon, que l’on va faire parler les échantillons…
 
L’intérêt d’observer la surface de la peau des momies
 
il est double : d’abord de voir le relief de la peau, pour voir si effectivement la peau des momies ressemble à notre peau. Et là on a constaté que la peau des momies était différente de la nôtre – la nôtre est composée de sillons orientés dans différentes directions alors que celle des momies est complètement lisse. Et ça c’est une information importante parce que ça montre que les techniques de momification ont complètement annulés la réponse mécanique de la peau.
Le deuxième objectif de la mesure du relief de la peau
 
c’est de pouvoir quantifier les traces de textile encore imprimées sur le relief de la peau de la momie. En effet, la plupart des momies ont été complètement dévêtues et celles-ci ont perdu les traces des textiles qui les revêtaient lors de leurs morts. Grâce aux empreintes des textiles qui ont imprimé la peau, et grâce aux mesures que l’on réalise, on va pouvoir mesurer la signature du textile qui revêtait ces momies.
 
Il faut savoir qu’au début du 20^ème siècle, les archéologues dévêtaient les momies soit pour les observer, donc ils les mettaient complètement à nu – soit pour conserver les textiles qui étaient les plus beaux. Et sur certaines momies, on a perdu complètement l’histoire des textiles de ces momies et donc il est important, grâce à la peau qui a gardé une empreinte de ces textiles, de pouvoir mesurer la signature de ces textiles. Avec cette méthode, on peut remonter à la signature des textiles qui a marqué la peau.
 
D’autres indices proviennent des cheveux. Couleur, résistance,
état de la cuticule sont autant d’informations sur les techniques d’embaumement.
Les cheveux sont préparés, et placés sous un microscope à interférométrie.
 
Sur cette image, on voit le relief d’un cheveu d’une momie de paris et si on compare l’état de surface de ce cheveu à celui d’un cheveu moderne, on constate qu’il y a très peu de différences entre ce cheveu et un cheveu moderne car il a des écailles organisées de la même façon. Cela signifie que le cheveu de cette momie est parfaitement bien conservé et il est équivalent, en terme d’état de surface à un cheveu humain moderne. Si maintenant on compare le cheveu de cette momie de Paris à celui de la momie de Dunkerque, on voit qu’il y a une réelle différence entre les deux états de surface des cheveux. Et, on constate que les écailles sur le cheveu de Dunkerque ont complètement disparus. Cela signifie que le cheveu de Dunkerque a subi une dégradation importante et ces écailles que l’on appelle la cuticule ont complètement disparu. En disparaissant, ces écailles ont fragilisé le cheveu de la momie de Dunkerque ce qui explique pourquoi mécaniquement ce cheveu est devenu plus fragile mais aussi pourquoi il s’est dégradé en terme de couleur – c’est à dire qu’il a subi un jaunissement parce que les UV effectivement ont permis une dégradation plus vite du cheveu sans la protection de la cuticule.
 
Cette étude tribologique a permis de multiples avancées. L’analyse de la peau apporte des pistes aux archéologues pour d’éventuelles reconstitutions vestimentaires ; celle des cheveux, de leur côté, donne aux conservateurs des indications sur leur degré de fragilité en cas de manipulation. La tribologie devient ainsi certainement un des nouveaux outils d’analyse de ces corps humains qui ont réussi à traverser les âges…