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100 ans après le BCG, un forum mondial contre la tuberculose
Avec plus de 10 millions de cas et 1,5 million de victimes par an, la tuberculose reste la maladie infectieuse la plus mortelle à l’échelle mondiale, en dehors de la période 2020-2021 où elle a été surpassée par le Covid-19. Elle sévit tout particulièrement dans les pays en développement et est une cause majeure de décès chez les malades du sida, mais elle est aussi présente dans les pays riches où elle frappe les populations les plus précaires, comme les sans-abris et les migrants.
Si nous avons célébré l’année dernière le centenaire de la première injection du vaccin bilié d’Albert Calmette et Camille Guérin (BCG), la recherche sur les vaccins contre la tuberculose n’est pas terminée. Car le fameux BCG, qui fut obligatoire en France pour les enfants jusqu’en 2007, reste le seul vaccin disponible et ce, alors que son efficacité est très inégale chez les adultes.
« Les enfants développent principalement des formes méningées ou disséminées de la tuberculose. Ces formes sont graves, mais non transmissibles, et le BCG les prévient efficacement, explique Olivier Neyrolles, directeur de l’Institut de pharmacologie et biologie structurale (IPBS)1 et médaillé d’argent du CNRS en 2021. Avec le temps, nous nous sommes cependant rendu compte que le vaccin protégeait assez mal contre la tuberculose pulmonaire, transmissible, qui touche surtout les adultes. C’est pourquoi la recherche est en quête de nouvelles options, sous la forme de vaccins originaux ou de rappels du BCG. »
Le défi de l'antibiorésistance
Les vaccins sont essentiels, car les traitements contre la tuberculose mettent de très nombreux mois à vaincre la maladie. De plus, ils perdent en efficacité face à des souches de Mycobacterium tuberculosis, aussi appelé bacille de Koch, de plus en plus résistantes aux antibiotiques. Certaines demandent jusqu’à deux ans de traitement pour pouvoir être éradiquées, tandis que d’autres échappent tout simplement à toutes les solutions thérapeutiques connues. De plus, contracter la tuberculose ne semple pas protéger contre de futures infections.
Pour renforcer la recherche en faveur de la lutte contre cette maladie, un Forum mondial sur les vaccins contre la tuberculose se tient régulièrement depuis une première édition en 2001, au siège de l’OMS à Genève. Ont suivi les éditions de Tallinn en 2010, Le Cap en 2013, Shanghai en 2015 et New Delhi en 2018. Toulouse a été choisie pour accueillir la sixième édition en 2021, d’abord remplacée par une version virtuelle réduite pour cause de Covid-19 avant d’être reprogrammée en 2022 et se tenir finalement en distanciel du 22 au 25 février.
« Depuis le BCG, et avec les travaux des Instituts Pasteur de Paris et de Lille et de l’IPBS, la France tient un rôle de leader dans la recherche contre la tuberculose », souligne Isabelle Saves, responsable de la coopération internationale de l’IPBS, médaillée de Cristal du CNRS en 2020 et coordinatrice du forum avec Olivier Neyrolles. Signe fort de ce leadership : tous les acteurs de la recherche médicale française sont mobilisés pour l’occasion, du CNRS à l’Inserm en passant par l’Institut Pasteur, tandis que le Forum bénéficie du soutien des grands acteurs institutionnels régionaux (mairie, métropole, département, région, hôpitaux de Toulouse) mais aussi nationaux (ministères de la santé, de la recherche, présidence de la République…).
Malgré le format virtuel imposé par la crise sanitaire, le programme a assez peu changé par rapport à ce qui était prévu en présentiel. Environ quatre cents participants sont attendus et la liste des intervenants, résolument internationale, comprend le directeur général de l’OMS Tedros Adhanom Ghebreyesus, ou encore Anthony Fauci, directeur de l’Institut national des allergies et maladies infectieuses aux Etats-Unis et conseiller en chef pour la santé publique des deux derniers présidents américains…
Prolonger l'effet du vaccin chez les adultes
« Le forum permettra de faire le point avec tous les acteurs mondiaux de la recherche sur les vaccins contre la tuberculose, y compris des personnes issues des pays les plus affectés par la maladie, souligne Olivier Neyrolles. Chercheurs, cliniciens, politiques, financeurs, ONG, associations de patients… tous pourront discuter et échanger sur les dernières avancées, notamment sur les nouveaux vaccins en cours d’essais cliniques de phase 2 et 3. »
Pour parvenir à un vaccin prêt à être mis sur le marché, les scientifiques disposent de davantage d’armes que dans les années 1920, quand le BCG a été mis au point. Le développement de la génétique moderne les aide par exemple à modifier les bactéries pour les rendre inoffensives, ce que Calmette et Guérin avaient dû faire de manière empirique, en cultivant in vitro des souches du bacille de Koch jusqu’à ce que ce qu’elles perdent toute virulence et puissent être inoculées sans provoquer la maladie.
Première stratégie des scientifiques : maintenir la première vaccination avec le BCG, chez les jeunes enfants donc, et utiliser dans un second temps un vaccin qui servirait de « booster » afin de prolonger l’effet protecteur du BCG à l’âge adulte. Certains travaux utilisent des vecteurs viraux, qui permettent d’exprimer des gènes de la bactérie pathogène et de produire des protéines sans risques de réplication ou d’infection d’une cellule. Des protéines recombinantes (antigènes), complétées avec des adjuvants pour renforcer l’immunité fournie par le BCG, sont également à l’essai. Cette option est notamment testée en Afrique du Sud, avec des retours « prometteurs » selon Olivier Neyrolles. Des équipes, notamment à l’IPBS, étudient aussi les lipides produits par le bacille tuberculeux, et ont obtenu des résultats « encourageants » sur des modèles animaux.
L’autre stratégie consiste à remplacer purement et simplement le BCG par un vaccin plus efficace. « Là encore, il y a des candidats à des stades bien avancés, poursuit Olivier Neyrolles. Au niveau européen, un vaccin candidat a été conçu par l’Institut Pasteur à partir d’une souche atténuée du bacille de Koch. Il a ensuite été développé par une entreprise espagnole et devrait bientôt entamer les essais cliniques de phase 2 sur des humains. »
L'immunité au coeur des recherches
Mis sur le devant de la scène avec la lutte contre le Covid-19, les vaccins à ARN suscitent eux aussi un intérêt grandissant. Ces travaux en sont cependant encore à un stade trop précoce pour en tirer des conclusions. Le fait que le Covid soit causé par un virus et la tuberculose par une bactérie n’empêche d’ailleurs nullement de s’inspirer des stratégies qui fonctionnent pour l’un ou l’autre. Mais alors, avec toutes ces possibilités, pourquoi le BCG n’a-t-il toujours pas été remplacé après cent ans de recherche ?
« Toute la difficulté provient de la faible efficacité des anticorps contre le bacille de la tuberculose, détaille Olivier Neyrolles. L’immunité humorale, due aux anticorps qui attaquent les agents pathogènes, est ici bien moins importante que l’immunité cellulaire, liée aux lymphocytes T qui détruisent les cellules infectées et les bacilles. C’est d’ailleurs pour cela qu’une contamination ne protège pas contre de futures expositions à la tuberculose. Hélas, les principes de l’immunité cellulaire sont encore mal connus : on ne sait pas encore complètement quel type de lymphocyte T agit le mieux contre la tuberculose. »
Olivier Neyrolles et ses équipes travaillent depuis plus de vingt ans sur la famille des mycobactéries, dont fait partie le bacille de Koch. Ils ont exploré des vaccins centrés sur des bacilles complets et actifs, mais atténués. Ils ont notamment étudié la souche dite « Pékin », parmi les plus virulentes, avec l’espoir que partir d’une base aussi agressive permettrait d’offrir une meilleure immunité. Cette approche n’a pour l’instant pas montré une efficacité supérieure à celle du BCG. Les équipes de l’IPBS mènent également des recherches plus fondamentales, afin de mieux comprendre l’immunité cellulaire en jeu contre la tuberculose. Le rôle des lymphocytes cytotoxiques, impliqués entre autres dans la réponse immunitaire contre les tumeurs ou le VIH, est par exemple scruté.
Les étonnants effets thérapeutiques du BCG
Le sixième Forum mondial sur les vaccins contre la tuberculose ne manquera ainsi pas de grain à moudre… Et pourtant, malgré tous ces prétendants au remplacement ou au renfort du BCG, le vénérable centenaire n’a pas dit son dernier mot : il est aujourd’hui encore au cœur de nombreux travaux qui seront abordés lors du congrès, notamment sur les effets thérapeutiques du BCG.
Dès les premières décennies de son usage, le BCG s’est révélé très efficace et a provoqué une chute de la mortalité infantile. Au grand étonnement des médecins et chercheurs, le vaccin protégeait les enfants d’autres maladies infectieuses, ce que des études récentes sur certains modèles animaux ont confirmé. Le BCG a d’ailleurs été testé au cas où, mais sans succès à ce jour, face au Covid-19. Il se montre cependant efficace pour soigner les cancers de la vessie, s’ils ne sont pas traités trop tardivement, quand il est injecté directement dans l’organe. Il provoque une inflammation qui semble détruire les cellules cancéreuses, sans que les chercheurs comprennent tout à fait le pourquoi et le comment de ce processus..
« La tuberculose touche surtout les pays en développement et a été éclipsée par la Covid-19, qui frappe davantage les pays riches, regrette Olivier Neyrolles. Il faut pourtant rappeler l’importance de cette maladie en matière de santé publique, d’autant que l’OMS estime que les bactéries résistantes aux antibiotiques deviendront la principale cause de mortalité dans le monde d’ici 2050. Des souches totalement résistantes aux traitements ont déjà été découvertes près de nous, en Lettonie et en Italie. » Et le scientifique d’alerter : « La tuberculose ne nous submerge pas en France, mais elle nous concerne ».
- 1. CNRS/Université Toulouse Paul Sabatier.
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Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.
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