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Un siècle après son invention, quel avenir pour le BCG ?
C’est une vraie révolution sanitaire, qui a rendu ses deux initiateurs (presque) aussi célèbres que Pasteur lui-même. En juillet 1921, la première administration du vaccin contre la tuberculose était réalisée sur un nouveau-né de l’hôpital de la Charité, à Paris. Le BCG, pour « Bacille bilié de Calmette et Guérin », respectivement médecin et vétérinaire à l’Institut Pasteur de Lille, était né. Depuis, 4 milliards de doses ont été injectées dans le monde, évitant la mort de millions de jeunes enfants.
« La tuberculose était l’une des principales causes de mortalité infantile, raconte Olivier Neyrolles, microbiologiste à l’Institut de pharmacologie et biologie structurale1. Contrairement aux adultes qui développent en majorité des formes pulmonaires, chez les enfants, la tuberculose prend une forme disséminée, sous la forme de méningites notamment, très létale. Le vaccin d’Albert Calmette et de Camille Guérin a permis de faire chuter de plus de 95 % cette mortalité. » Plus étonnant : les médecins de l’époque se sont rapidement aperçus que si le vaccin était redoutablement efficace contre la tuberculose, il protégeait aussi les enfants d’autres maladies infectieuses.
Des millions d'enfants sauvés
L’efficacité du BCG chez l’humain est d’autant plus miraculeuse qu’il avait été initialement développé pour protéger les... animaux d’élevage. « C’est un vaccin développé contre la tuberculose bovine, dont la souche est un peu différente de la tuberculose humaine, rappelle Camille Locht, microbiologiste au Centre d'infection et d'immunité de Lille2. Il a tellement bien marché chez les bovins, et la pression était tellement énorme, qu’il a été testé chez les enfants de familles tuberculeuses avec le succès que l’on sait. »
La technique, 100 % pasteurienne, est celle du bacille vivant atténué : durant treize années, l’agent de la tuberculose bovine a été répliqué in vitro 230 fois, jusqu’à perdre toute virulence et ne plus présenter aucune dangerosité... « C’est généralement la façon dont évoluent les pathogènes lorsqu’ils ne sont soumis à aucune pression de sélection, explique Camille Locht. Depuis, on a séquencé le génome complet du bacille atténué et on a pu constater qu’il avait perdu des morceaux entiers d’ADN très importants pour la virulence. »
Utilisé depuis un siècle maintenant – c’est le plus ancien vaccin encore en usage à ce jour –, le BCG n’a pourtant pas réussi à éradiquer la tuberculose. Dix millions de personnes développent la maladie et près de 1,5 million décèdent chaque année (dont 400 000 sont coinfectées par le VIH), ce qui en fait l’infection la plus mortelle dans le monde, hors Covid-19. Très efficace chez l’enfant, le vaccin de Calmette et Guérin s’avère en effet beaucoup moins protecteur contre la forme pulmonaire de la tuberculose chez l’adulte, moins létale, mais beaucoup plus contagieuse puisqu’elle se propage par aérosols.
La tuberculose, un ennemi redoutable
« La tuberculose est une maladie de la pauvreté, qui sévit surtout en Afrique et en Asie, d’où le relatif désintérêt dans lequel elle est tombée dans les pays développés. Mais dès que la précarité resurgit quelque part, la tuberculose refait son apparition », souligne Olivier Neyrolles, qui pointe la promiscuité, une mauvaise alimentation et un accès insuffisant aux soins comme principaux facteurs d’émergence. En France, où 5 000 à 6 000 cas de tuberculose se déclarent chaque année, les départements les plus touchés sont ainsi les banlieues défavorisées de la région parisienne.
La tuberculose est un ennemi redoutable – dix bactéries suffisent à infecter un individu –, qui avance le plus souvent masqué : un quart de la population mondiale serait porteuse du pathogène sans présenter aucun symptôme. « Dans 90 % des cas, le système immunitaire contrôle l’infection et provoque un petit nodule dans le poumon sans que la personne s’en aperçoive, poursuit Olivier Neyrolles. Dans 5 % des cas, les individus développent la maladie immédiatement, et les 5 % restants déclarent une tuberculose des années après leur contamination, généralement à un moment où leur système immunitaire est moins performant, pour diverses raisons (fatigue, vieillesse, dénutrition...). » Le cas d’un homme tombé malade trente ans après avoir été contaminé par son père tuberculeux est célèbre dans la communauté médicale.
Longs – six mois minimum –, toxiques, les traitements peinent à venir à bout de bactéries devenues multirésistantes aux antibiotiques. « Seul un vaccin vraiment efficace chez l’adulte permettra de surmonter l’épidémie », insiste Olivier Neyrolles. La communauté scientifique s’y attèle depuis une quinzaine d’années, et plusieurs stratégies vaccinales sont aujourd’hui à l’œuvre.
Vers un nouveau vaccin antituberculeux
« Certains collègues refont du Calmette et Guérin, mais avec les outils actuels, détaille Camille Locht. Ils fabriquent un bacille vivant atténué à partir d’une souche humaine de tuberculose qu’ils ont génétiquement modifiée, en supprimant des gènes bien spécifiques qu’ils pensent impliqués dans la virulence. » Autre stratégie : élaborer un cocktail de plusieurs antigènes (les antigènes sont les protéines du pathogène qui déclenchent la réponse immunitaire), et les combiner à un adjuvant. L’utilisation de vecteurs viraux tels que l’adénovirus de chimpanzé (utilisé dans le vaccin d’Oxford/Astra Zeneca contre le Covid-19) est également à l’essai ; la technique de l’ARN messager ne serait, elle, pas adaptée au bacille de la tuberculose.
Parmi les seize candidats-vaccins en cours de développement, deux sont aujourd’hui en phase 3 d’essais cliniques et doivent désormais prouver qu’ils offrent une meilleure protection que le BCG, dont l’efficacité chez l’adulte est estimée à 50 % en moyenne. « On a tous le Covid-19 en tête, pour lequel quelques mois seulement ont été nécessaires pour élaborer des vaccins efficaces à plus de 90 %, commente Camille Locht. On a trouvé la protéine Spike, la fameuse protéine située à la surface du SARS-CoV-2, et celle-ci suffit à déclencher une puissante réponse anticorps. Malheureusement, avec la tuberculose, on est à un autre niveau de complexité ! »
Tout d’abord, parce que le pathogène ne compte pas une demi-douzaine de protéines, comme le SARS-CoV-2, mais près de 4 000, situées en surface mais aussi à l’intérieur de la bactérie. Savoir lesquelles cibler pour provoquer une réponse immunitaire adéquate reste un défi pour les chercheurs. « À ce jour, la communauté scientifique en a identifié une douzaine impliquées dans le déclenchement de la réponse immunitaire, témoigne Camille Locht. On regarde maintenant comment les combiner, comment les présenter pour activer le système immunitaire. »
Casse-tête immunitaire
Ensuite, parce que l’on peine toujours à comprendre la nature exacte de la réponse immunitaire, en particulier la réponse immunitaire protectrice, face au bacille tuberculeux. Seule certitude des chercheurs : contrairement à ce qu’il se passe dans le cas du Covid-19, par exemple, où la production d’anticorps (par les lymphocytes B en circulation dans le sang) suffit à contrôler l’intrusion, l’immunité activée face à la tuberculose est une immunité essentiellement cellulaire, qui mobilise les lymphocytes T dont certains résident au cœur des tissus. « Or la réponse T est très complexe, explique Camille Locht. Il existe plusieurs types de lymphocytes T, aux modes opératoires très variés. On sait par exemple que certains lymphocytes T sont régulateurs, et peuvent soit diminuer l’infection, soit au contraire l’augmenter. Il s’agit de ne pas se tromper de cible. »
L’hétérogénéité de la réponse immunitaire chez un même individu est un autre casse-tête pour les chercheurs. « Dans un même poumon, on a découvert que certaines zones pouvaient être gravement infectées, quand d’autres étaient totalement épargnées, indique Olivier Neyrolles. Cela veut dire que les mécanismes immunitaires activés ne sont pas les mêmes partout, et cela nous complique évidemment la tâche ! »
La deuxième vie du BCG
Si des progrès indéniables sont faits, la mise au point d’un vaccin performant risque de prendre encore des années... et ne signera pas forcément la disparition du BCG. Depuis plusieurs années, en effet, les chercheurs trouvent de surprenantes applications thérapeutiques au vaccin de Calmette et Guérin.
« Le BCG est aujourd’hui le meilleur médicament pour traiter le cancer de la vessie superficiel, explique ainsi Camille Locht, il est dans ce cas injecté directement dans la tumeur. Il a aussi des résultats intéressants dans certains mélanomes, et dans le traitement du diabète de type 1... » La question se pose également de l’utilisation du BCG contre l’infection due au Sars-Cov-2, et une quinzaine d’études sont actuellement en cours pour tester son efficacité.
L’action thérapeutique du BCG reste encore mystérieuse... même si les chercheurs ont une petite idée derrière la tête. « Il semble que le BCG renforce l’immunité innée, avance Camille Locht, c’est-à-dire l’immunité non spécifique, rapide, qui constitue notre première ligne de défense. C’est un domaine de recherche très nouveau et très excitant ! » ♦
Rendez-vous :
- 6e Forum mondial des vaccins contre la tuberculose, Toulouse, repoussé d'avril 2021 à février 2022 (dates non communiquées)
- Symposium sur le BCG et ses usages thérapeutiques, Institut Pasteur de Lille, du 17 au 19 novembre 2021
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Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.
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