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La prospérité des Étrusques, une civilisation qui s’est développée en Italie entre le IXe et le Ier siècle avant J.-C., était très dépendante du commerce maritime, faisant de ses ports des infrastructures capitales. Pourtant, aucune de ces structures n’a été découverte à ce jour probablement du fait de l’évolution constante du trait de côte. La campagne Hisope1, qui s’est déroulée du 23 septembre au 6 octobre 2022, à bord du navire Haliotis de l’Ifremer, s’est concentrée sur deux sites étrusques côtiers du littoral tyrrhénien.
Des ports disparus du fait de l’évolution du littoral
Sur le site archéologique de Pyrgi, aucun bassin portuaire colmaté n’a été découvert dans les terres. Le site subit même une érosion côtière aiguë, qui provoque son effondrement dans la mer et menace aussi à terme un château et son village. L’un des enjeux de la campagne était d’identifier la position du trait de côte antique et déceler les restes de structures portuaires démantelées par l’érosion et reposant sur les fonds marins. Il s’agissait aussi de mieux comprendre ce qui provoque l’érosion de la côte depuis l’Antiquité afin de mieux préserver les vestiges archéologiques menacés.
Site de Pyrgi (Latium, Italie) © Loïc Guinebault
Sur le site d'Orbetello, la problématique est inverse : le site se trouve au milieu d’une lagune, protégé de la mer par des cordons sableux. Mais la lagune semble avoir atteint un stade critique de comblement. Confinée, envahie par les algues, elle vit sous perfusion constante d’eau de mer et mène une lutte acharnée contre le développement algaire. L’enjeu de la campagne était ici multiple : comprendre ce qui cause le comblement de la lagune, déterminer si la crise actuelle annonce réellement sa disparition, et chercher les bassins portuaires sous le fond de la lagune.
Vue aérienne de la ville d'Orbetello (Toscane, Italie) © trolvag CC BY-SA 3.0
Des nouvelles méthodes de détection
Sur le site de Pyrgi, la campagne océanographique Hisope a permis d’effectuer de nombreux carottages ainsi que des prospections géophysiques tout autour des temples étrusques, sous et autour du camp militaire romain, sous le château médiéval, afin de (re)trouver les bassins portuaires. Le constat fut sans appel : le port ne se trouve pas dans les terres, et l’érosion catastrophique du trait de côte (plus de 110 mètres depuis la Seconde Guerre mondiale), ainsi que la falaise littorale taillée dans les vestiges archéologiques, laissent supposer qu’une bonne partie du site a probablement été détruite par la mer. Il fallait donc cartographier les fonds marins de manière à les décrire avec précision et y déceler les restes démantelés de structures archéologiques étrusques sous les sables. De nouveaux modèles d’imageurs de sédiment ont ainsi pu être testés dans les petits fonds (moins de 1,6 mètre).
Imageurs de sédiment Echoes 3500 (installés sur mini-catamaran) et Echoes 10 000 (installé sur perche) © Guillaume Jouve, Exail
La ville d’Orbetello quant à elle est installée sur une péninsule, au centre de sa lagune. Elle est toujours ceinte d’impressionnantes murailles à blocs cyclopéens, construites entre le VIe ou IIIe siècle av. J.-C., et dont la base plonge dans les eaux de la lagune. Les fouilles archéologiques intra-muros sont difficiles du fait de la densité urbaine, tandis que les eaux troubles de la lagune demeurent inexplorées. La campagne océanographique avait pour but de déceler la présence de structures ensevelies sous les argiles de la lagune et de comprendre sa dynamique de comblement. Il s’agissait ici de tester la capacité d’émetteurs-récepteurs à produire une image du sous-sol sous une tranche d’eau inférieure à quelques mètres.
Muraille à blocs cyclopéens d'Orbetello © Gilles Brocard
Le milieu côtier peut sembler facile à étudier puisqu’il est proche du rivage, et que les fonds observés sont peu profonds. C’est en fait une gageure, car les techniques invasives telles que le carottage et le forage, ou les prospections géophysiques, telle l’imagerie sismique, sont en fait adaptées au milieu terrestre ou à la mer profonde mais pas aux milieux indécis et changeants que sont l’avant-plage et la lagune. Lors de la campagne Hisope, des sondeurs acoustiques à haute fréquence de dernière génération ont pu être testés sous très faible tranche d’eau (de 50 centimètres à 3 mètres) afin de déterminer leur capacité à imager les couches sédimentaires et structures enfouies.
La campagne en mer à Pyrgi s’est déroulée à l’automne 2022 dans des conditions météorologiques défavorables. Au prix d’une lutte acharnée, le navire Haliotis de la Flotte océanographique française est parvenu cependant à s’approcher suffisamment de la côte. Cette opération a permis de mettre au jour des fondations de ce qui semble être un grand monument étrusque à 180 mètres de la côte. Ces structures sont actuellement cartographiées par les plongeurs archéologues du Centre d’archéologie maritime de Pyrgi. Elles révèlent non seulement un fort recul de la côte, mais aussi une remontée relative du niveau de la mer de près de deux mètres depuis l’époque étrusque, bien supérieure à celle observée normalement autour de la Méditerranée (entre 40 et 60 centimètres).
Carte bathymétrique des fonds marins produite sur le secteur de Pyrgi. À gauche, l’échelle des profondeurs en mètres. La zone rouge orangée indique où se situait la plage et le rivage étrusque - campagne HISOPE. Image satellite © CNES/Airbus, European Space Imaging, Maxar Technologies, Données cartographiques, 2023.
La campagne d’Orbetello s’est déroulée sous un temps bien plus clément et comprenait deux volets. Le volet marin, à bord du navire Haliotis, a permis de documenter la formation des cordons sableux qui protègent la lagune d’Orbetello. Le volet lagunaire a, quant à lui, été réalisé depuis une barque à fond plat par des fonds de moins de 1,5 mètre. Dans la lagune, la campagne a mis en évidence la présence de nombreuses fosses énigmatiques devant les murailles de la ville, sous 2 à 3 mètres d’argiles. Par ailleurs, il apparaît que le niveau de la lagune a considérablement augmenté depuis l’Antiquité, suivant le relèvement progressif du fond de la lagune par comblement, de sorte que la lagune apparaît, comme ayant toujours été, depuis l’Antiquité, un milieu peu profond et confiné. Son état actuel ne représente donc en rien un état terminal.
Vue oblique plongeante sur la cité d’Orbetello, ceinte de ses murailles (en jaune), entourée de sa lagune. Les panneaux gris présentent des profils acoustiques acquis dans la lagune. Ces derniers montrent la superposition des couches d’argile et de coquilles sous le fond de la lagune, recouvrant le relief un relief irrégulier sableux. Hauteur des profils : 10 mètres - campagne HISOPE. Image satellite © CNES/Airbus, European Space Imaging, Maxar Technologies, Données cartographiques, 2023.
Les données acquises lors de la campagne Hisope ont ainsi ouvert la voie à de nouvelles recherches qui pourraient résoudre la problématique des ports étrusques introuvables. À Pyrgi, des structures archéologiques identifiées à plus de 200 mètres de la côte sont en cours d’exploration. À Orbetello, une campagne de forages depuis une plateforme flottante (PENELOPE) est programmée au printemps 2024. Elle devrait permettre de déterminer le contenu des fosses énigmatiques décelées devant les murailles de la ville, et leur lien éventuel avec le développement d’Orbetello.
- 1. Projets IDEX Lyon Thalassocraties sans Ports, et LabEx IMU UDL projet Urbo sous la forme d’un partenariat avec la société Exail
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du journal CNRS