A la une
Vous avez présenté ce matin à la presse les premiers résultats de votre étude sur les jeunes et la radicalité, dont vous aviez déjà donné un aperçu pour la radio du CNRS. En quoi consiste-t-elle ?
Olivier Galland1 : Notre travail s’inscrit dans le cadre de l’appel à projets du président du CNRS sur le terrorisme et les attentats, pour aider les pouvoirs publics à mieux comprendre un ensemble de phénomènes associés à ces événements. Plusieurs travaux se sont penchés sur le processus de radicalisation individuelle : des chercheurs comme Gilles Kepel, Farhad Khosrokhavar ou encore Olivier Roy ont mené des entretiens avec des jeunes radicalisés et analysé leurs parcours. Ces recherches sont passionnantes, mais ne portent que sur des échantillons très limités. Nous avons souhaité développer une approche quantitative, ciblant la jeunesse lycéenne scolarisée en classe de seconde, en diffusant un questionnaire auprès de 7 000 élèves issus de quatre académies – Lille, Créteil, Dijon et Aix-Marseille – et 21 lycées. Il s’agit d’une enquête exploratoire sur la thématique de la radicalité en matière de politique et de religion, jusqu’alors peu couverte par les enquêtes sociologiques classiques sur la jeunesse.
Anne Muxel2 : Étant donné l’importance et le caractère relativement inédit du sujet, notre dispositif d’enquête est rigoureux et diversifié. Trois types d’enquêtes ont été réalisés sur une période de six mois (octobre 2016 - mars 2017) : une enquête quantitative auto-administrée par questionnaire auprès d’un large échantillon de classes de seconde (7 000 lycéens interrogés), une enquête quantitative « témoin » réalisée en ligne par l’institut Opinion Way auprès d’un échantillon représentatif de jeunes âgés de 14 à 16 ans (1 800 jeunes ont été interrogés), et une enquête qualitative comportant des entretiens individuels et des entretiens collectifs réalisés avec des jeunes lycéens des classes de seconde. Mais il ne s’agit pas d’une étude sur le processus de radicalisation. C’est très important de le souligner. Elle ne permet pas de repérer des jeunes radicalisés ou en voie de l’être, mais elle cherche à mesurer le degré d’adhésion à la radicalité au sein de la jeunesse. Cette mesure ne peut aboutir à une lecture binaire de la radicalité car elle fait apparaître toute une gamme d’attitudes allant du rejet de toute forme d’extrémisme, de déviance ou de violence à l’acceptabilité de la violence terroriste. Certains jeunes peuvent comprendre ce type d’action violente et radicale sans y adhérer, d’autres peuvent être séduits par des idées radicales sans jamais passer à l’acte, etc. Il est important d’analyser ces résultats en termes de degrés, et non de façon dichotomique.
Comment définissez-vous la radicalité ?
A. M. : Pour nous, la radicalité suppose un ensemble d’attitudes ou d’actes marquant la volonté d’une rupture avec le système politique, social, économique, et plus largement avec les normes et les mœurs en vigueur dans la société. Elle atteint son point le plus extrême lorsqu’elle s’accompagne d’une justification de l’usage de la violence. Nos questions allaient donc de la simple tolérance à l’égard de la triche lors d’un examen jusqu’au fait de prendre les armes pour faire triompher ses idées. Encore une fois, il faut garder à l’esprit que c’est une approche en termes de degrés. Dans le domaine politique par exemple, nous interprétons comme radical le fait de voter pour des partis hors système ou extrémistes, de participer à des actions protestataires comme les grèves ou les manifestations, ou encore de vouloir changer radicalement la société par une action révolutionnaire. Cela ne signifie pas qu’un jeune soit prêt à passer à l’acte, à affronter lui-même directement les forces de l’ordre, à porter atteinte aux biens ou personnes, dans le cadre d’une contestation globale ou d’une stratégie politique de renversement du système.
Manifestation de lycéens et d’étudiants contre la loi travail, à Paris le 31 mars 2016. Selon les chercheurs, l’action de manifester appartient au registre de la radicalité politique, laquelle couvrirait un large éventail de degrés.
© Hugo AYMAR/ HAYTHAM-REA
O. G. : De la même façon, lorsque nous nous sommes intéressés à la question de la radicalité religieuse, nous avons défini celle-ci comme un ensemble d’options pouvant déboucher sur le fondamentalisme, soit une conception littérale et absolue de la religion, devant s’imposer à l’ensemble de la société et marquée notamment par un clair refus d’une séparation entre le religieux et le politique. Néanmoins, ce n’est pas parce qu’un jeune pense plus ou moins cela qu’il recourt systématiquement à la violence. On peut être fondamentaliste ou avoir une conception absolutiste de la religion tout en refusant de partir en guerre contre les autres religions, ou toutes formes culturelles, sociales ou économiques s’opposant à l’instauration d’un régime politique fondé sur les préceptes religieux. Si l’on suit les travaux du sociologue Farhad Khosrokhavar cependant, le terrorisme islamiste témoigne d’une conjonction entre ces deux formes de radicalité : une conception fondamentaliste de la religion d’une part, une légitimation de l’usage de la violence d’autre part ; lorsque ces deux facteurs sont réunis, le risque de radicalisation serait élevé. Cela fait partie des hypothèses que nous avons voulu explorer même si nous n’avions pas les moyens de mesurer le fondamentalisme stricto sensu, puisque notre enquête porte sur l’ensemble de la jeunesse lycéenne. Nous avons néanmoins une mesure de l’absolutisme religieux et de la tolérance à la violence et à la déviance.
Quelles hypothèses avez-vous voulu vérifier pour expliquer l’entrée dans la radicalité ?
O. G. : Si l’on schématise, trois grandes théories sont présentes dans le champ sociologique. La première, centrée sur la radicalité religieuse, et plus précisément sur la lecture radicale de l’islam proposée par certains courants, cherche la genèse de la radicalité au cœur de l’interprétation religieuse elle-même : la dynamique « salafiste » dont parle Gilles Kepel. La seconde est une interprétation en termes de frustration et de victimisation. C’est l’idée que des individus victimes de formes d’exclusion et de discrimination, n’ayant pas les moyens de se réaliser socialement et de s’exprimer politiquement, seraient davantage tentés par des formes de radicalité politique ou religieuse. Farhad Khosrokhavar envisage en ce sens que la délinquance pourrait être une porte d’entrée vers le terrorisme. La troisième explication valorise la dimension identitaire et psychologique. Dans ce cas, les mécanismes économiques et sociaux seraient secondaires ; le principal facteur d’entrée serait un malaise identitaire rendant un individu propice aux identifications radicales ou manichéennes. Les travaux du politologue Olivier Roy ou du psychanalyste Fethi Benslama ont ainsi insisté sur l’identification des jeunes djihadistes à l’Oumma musulmane, pour résoudre des conflits liés à la fragilité de leur sentiment d’appartenance à la communauté nationale. Ces trois types d’interprétation ne sont d’ailleurs pas exclusifs les uns des autres.
A. M. : Les travaux sur les engagements politiques extrémistes, ainsi que plusieurs études sur l’attrait du Front national dans la jeunesse, ont établi des mécanismes psychologiques similaires. Disposant d’un large échantillon, nous pouvons travailler sur des segments spécifiques de la jeunesse. C’est le grand intérêt de cette étude. Nous pouvons mener des analyses fines au sein de notre population lycéenne permettant d’identifier les facteurs contextuels, sociaux, culturels, économiques, scolaires mais aussi personnels, qui peuvent être associés aux différents degrés d’adhésion à la radicalité. Par exemple, en explorant les effets du genre : les garçons sont-ils davantage séduits que les filles par la radicalité, ou l’inverse ? Notre échantillon nous permet également de comparer les jeunes qui éprouvent des conflits au sein de leur cercle familial et ceux qui n’en ont aucun, ceux qui se sentent exclus de la société et ceux qui s’y trouvent plutôt bien intégrés, etc. Ces informations sont d’autant plus intéressantes que l’hypothèse d’une rupture avec un environnement jugé anxiogène – familial, scolaire, social… – est régulièrement avancée pour expliquer l’adhésion d’un jeune à des idées ou des comportements radicaux. De la même façon, l’idée que le décrochage scolaire ou que l’angoisse face à l’avenir est un facteur explicatif peut être vérifiée, en comparant le degré d’adhésion des jeunes selon qu’ils sont ou non dans ce cas de figure.
Cette enquête est-elle représentative de la jeunesse française ?
A. M. : Non, car pour répondre à l’objet de cette recherche, dans le cadre particulier de l’appel à projets du CNRS « Attentats-recherche », et pour répondre aux conditions d’une enquête nécessairement exploratoire à ce stade, nous avons choisi de surreprésenter certaines catégories dans notre échantillon en introduisant des critères de sélection des établissements scolaires : lycées situés en ZUSFermerZones urbaines sensibles, où sont scolarisés une plus forte proportion de jeunes issus des catégories populaires ou issus de l’immigration, et où l’on compte en plus grand nombre des jeunes de confession musulmane. Il nous paraissait essentiel d’avoir une information plus riche sur ces segments de la population, dans la mesure où plusieurs interprétations – socio-économique, culturelle ou religieuse – s’opposent pour expliquer la radicalisation qui, lorsqu’elle est extrême, peut conduire au terrorisme que l’on a connu en 2015. Ces biais rendent notre panel très différent de la jeunesse française en général, mais sa diversité et sa taille permettent de vérifier à notre échelle si des variables économiques, culturelles, religieuses sont associées à une adhésion plus ou moins grande à des idées radicales.
O. G. : Nous avons pris des précautions pour conserver une certaine diversité de profil : lycées de centre-ville, de banlieues, et proches de zones rurales, filières générales et professionnelles, mixité de filles et de garçons, etc. Néanmoins, si nous avions enquêté sur l’ensemble de la jeunesse française, notre échantillon aurait comporté 6 à 7 % % de jeunes issus de zones urbaines sensibles et peut-être 3 % de musulmans, ce qui n’aurait pas permis de faire des traitements statistiques fins sur des segments spécifiques de la population jeune. Notre échantillon comporte environ 16 % de jeunes en ZUS et 25 % – soit 1 750 jeunes – de confession musulmane.
Hall d’un lycée technique. L’enquête coordonnée par Anne Muxel et Olivier Galland a été réalisée entre octobre 2016 et mars 2017 auprès de 7 000 lycéens de seconde, dans 21 établissements en France. Un échantillon de grande ampleur mais qui n'est pas représentatif de la jeunesse française car les chercheurs ont choisi de surreprésenter certaines catégories. ©Frédéric MAIGROT/REA
Avez-vous constaté des particularités de votre échantillon par rapport à l’ensemble de la jeunesse française ?
O. G. : C’est une jeunesse très particulière, et pas forcément là où on l’attend, lorsqu’on la compare à l’enquête-témoin réalisée par Opinion Way. Si l’on ne note pas de différences flagrantes en ce qui concerne leur perception de l’école, celle de leur avenir professionnel, leurs attitudes et leur proximité vis-à-vis de leurs familles, en revanche sur le plan de la tolérance à la déviance et à la violence, il existe des écarts significatifs. Les jeunes de notre échantillon font preuve d’une tolérance plus forte à l’égard des comportements déviants comme « conduire sans permis » par exemple, ou le fait de « dealer un peu de haschich ». D’autre part, ces élèves témoignent globalement d’une adhésion plus forte à la radicalité. Participer à des actions violentes pour ses idées ou même se sacrifier pour une cause est davantage admis, et une plus grande proportion d’entre eux déclare être éventuellement prête à affronter les forces de l’ordre ou d’autres manifestants. Enfin, et ça n’est pas négligeable, les principes de la laïcité sont en moyenne rejetés par deux fois plus d’élèves que dans l’ensemble de la jeunesse.
Quels principaux facteurs de radicalité avez-vous pu identifier ?
O. G. : Nous avons constaté dans notre étude un effet religieux qui est, on ne peut le nier, présent chez les jeunes musulmans de notre échantillon. D’une part, ils sont trois fois plus nombreux que les autres à défendre une vision absolutiste de la religion – en considérant à la fois qu’il y a « une seule vraie religion » et que la religion explique mieux la création du monde que la science. 11 % des jeunes de notre échantillon sont sur cette ligne, un chiffre qui triple pour ceux de confession musulmane. D’autre part, quand on combine le degré d’adhésion à cet absolutisme religieux et la tolérance à l’égard de la déviance ou de la violence, on retrouve le même facteur multiplicatif : 4 % des jeunes de toutes confessions défendent une vision absolutiste de la religion tout en adhérant à des idées radicales, alors que ce chiffre est de 12 % chez les jeunes musulmans de notre échantillon. On notera qu’il s’agit d’une très petite proportion en définitive, l’absolutisme radical est très loin d’être majoritaire chez les musulmans ! Néanmoins, cette tendance est de fait plus marquée dans ce segment de notre échantillon. Lorsque l’on fait varier d’autres facteurs, comme la situation socio-économique ou la filière d’étude, cela ne change quasiment pas le résultat. Notons cependant que les garçons sont plus concernés que les filles (deux fois plus environ).
A. M. : Ce qui nous a également frappés, c’est l’importance de la socialisation religieuse dans le cercle familial parmi les jeunes musulmans. L’hypothèse d’une rupture avec un milieu athée ou mécréant, ou celle d’une religion qui serait un prétexte lorsqu’on se radicalise pour d’autres raisons, ne sont pas probantes. Ces jeunes ont au contraire bénéficié d’une éducation religieuse importante, occupant une place quotidienne dans leur vie et dans leur foyer. La phase qualitative qui est en cours nous permettra d’affiner les interprétations des liens possibles entre un fort engagement dans l’islam et le degré d’adhésion à des idées plus ou moins radicales. Notre enquête montre que ce lien existe, mais il reste à en produire une interprétation solide. Si l’on voulait être complet sur la question de la radicalité religieuse, l’idéal aurait été d’enquêter aussi dans des lycées privés juifs ou catholiques. Mais nous n’en avions pas les moyens. D’autre part, ces formes de radicalité, qui existent certainement, n’ont ni l’ampleur ni les conséquences de celle qui est liée à l’islam.
Quel est l’impact des facteurs économiques ou sociaux ?
O. G. : Une explication purement économique ne nous paraît pas validée. L’idée d’une « génération sacrifiée » qui serait du même coup tentée par la radicalité se heurte au sentiment de relative bonne intégration de ces populations. Lorsqu’on les compare avec l’enquête témoin réalisée par Opinion Way, ils ne paraissent ni plus ni moins confiants en l’avenir que l’ensemble de la jeunesse française, et croient tout autant en leurs capacités de poursuivre des études après le bac et de trouver un emploi satisfaisant. En revanche, le sentiment d’être discriminé est deux fois plus marqué dans notre échantillon, notamment chez les jeunes de confession musulmane ou d’origine étrangère. Nous devons envisager que les facteurs religieux se conjuguent avec des questions identitaires, mêlées à des sentiments de victimisation et de discrimination, pour expliquer l’adhésion à la radicalité. Notre constat est donc nuancé, et nous sommes loin d’avoir épuisé les leçons que nous pouvons tirer de cette enquête. Les entretiens individuels nous permettront de mieux discerner ce qui relève de la religion stricto sensu et ce qui relève d’un sentiment de victimisation ou d’un malaise identitaire.
A. M. : Néanmoins, le fait est que la prise en compte des sentiments de discrimination ne diminue qu’à la marge l’effet religieux. Dans notre échantillon, les jeunes musulmans qui se sentent discriminés adhèrent certes plus souvent à des idées radicales que ceux qui ne se sentent pas discriminés. Or, qu’ils soient discriminés ou non, ils sont toujours plus nombreux que les autres jeunes à adhérer à ces idées. Mais ces constats restent effectivement à affiner et à nuancer, d’autant que nous nous heurtons à plusieurs paradoxes. Par exemple, le degré de pratique religieuse est certes plus marqué chez les jeunes musulmans, y compris ceux adhérant à des idées absolutistes ou radicales, mais plus de la moitié de ces derniers ont une pratique religieuse plutôt épisodique et peu structurée. Leur rapport aux normes sociales et au libéralisme culturel est également ambivalent. D’un côté, le rejet de la laïcité ou de l’homosexualité est beaucoup plus marqué chez les musulmans que dans les autres religions. En revanche, l’égalité homme-femme n’est pas loin de faire consensus pour les jeunes de toutes confessions. Les variables que nous avons ciblées grâce à cette enquête restent pour une large part à interpréter.
Une salle de classe dans un lycée. L’enquête relève chez la majorité des jeunes interrogés (14-16 ans) un faible intérêt pour la politique et une posture de défiance vis-à-vis du « système ».
©DURAND FLORENCE/SIPA
Quelle est leur perception de l’extrémisme politique et du terrorisme ?
O. G. : Nous avons tenté d’évaluer leur sensibilité aux attentats de Charlie Hebdo et à ceux du Bataclan, en leur demandant notamment s’ils comprenaient qu’on se livre à des tels actes et s’ils les condamnaient. Là encore, nous sommes obligés de constater de fortes disparités en fonction de la religion : les jeunes musulmans de notre échantillon sont moins enclins à condamner les auteurs et plus nombreux à se déclarer « peu sensibles » à ces événements. Par ailleurs, nous avons pu constater que cet état d’esprit était beaucoup plus marqué chez les jeunes témoignant d’un haut degré d’adhésion à l’absolutisme religieux, quelle que soit la confession, mais il est vrai que, dans notre échantillon, le degré d’absolutisme est nettement plus élevé chez les jeunes musulmans. Nos données ne nous permettent pas, néanmoins, de faire un lien direct entre le fondamentalisme musulman et le fait de comprendre les attentats ou d’y être indifférent, car cela nous aurait obligés à poser des questions plus spécifiques sur l’islamisme. Il était important que notre questionnaire reste perçu comme une enquête générale sur les valeurs, la religion et la citoyenneté, sans que nous ne fassions de différences évidentes entre les élèves selon leur confession. Sur tous ces points, nous attendons beaucoup de l’exploitation des entretiens qualitatifs et des « focus groups » menés avec les lycées pour avancer dans l’interprétation.
A. M. : Notre échantillon est marqué par une plus forte radicalité politique que dans l’enquête-témoin d’Opinion Way : affronter les forces de l’ordre, d’autres manifestants ou dégrader des biens matériels est mieux accepté que dans l’ensemble de la jeunesse. En revanche, le degré de politisation des jeunes lycéens interrogés est assez similaire : la majorité des jeunes de cet âge témoigne d’un faible intérêt pour la politique, d’une posture de défiance généralisée vis-à-vis du « système », qui se traduit souvent par un positionnement « ni droite ni gauche ». À cet âge, on peut observer une réelle distance vis-à-vis de la politique institutionnelle. Mais on retrouve dans notre enquête des phénomènes bien connus qui caractérisent la socialisation politique des jeunes générations : une défiance politique qui se combine à une certaine propension à la protestation. En tant que tel, l’extrémisme politique ne concerne qu’une minorité de jeunes. Mais l’on repère bien dans cette génération un certain nombre de dispositions à la contestation de la société et de ses institutions. Celle-ci peut se porter dans les urnes comme dans des formes de mobilisation collective. La radicalité politique est une composante de la politisation actuelle des jeunes, mais elle ne débouche pas nécessairement sur une acceptation de la violence politique.
Quelle suite allez-vous donner à ces travaux ?
A. M. : Nous envisageons certaines pistes d’analyse comme la pénétration des discours complotistes, la confiance dans les médias, les relations intrafamiliales, les relations avec les forces de police, ou encore la question des jeunes convertis. Le questionnaire de notre étude est riche et nous disposons d’un corpus de données nous permettant de mener des analyses fines sur plusieurs aspects de la vie des jeunes, de leurs attitudes comme de leurs comportements, en lien avec la question de la radicalité. L’ensemble des résultats sera publié dans un ouvrage collectif sur lequel nous sommes en train de travailler.
O. G. : Par ailleurs, comme nous l’avons dit à plusieurs reprises dans cet entretien, nous attendons beaucoup de l’exploitation de la phase qualitative de notre enquête. Mettre en lumière des relations entre variables est un pas important dans la compréhension de l’adhésion à la radicalité politique et religieuse – et cette exploration quantitative est un travail inédit dans le champ des sciences sociales en France aujourd’hui. C’est là un point fort de notre démarche. Mais ce n’est pas toujours suffisant, car les liens mis en évidence restent à interpréter au sein d’un ensemble d’hypothèses et de cadres explicatifs complexes et parfois concurrents. Les entretiens et les « focus groups » fourniront un matériau précieux pour les vérifier, les infirmer ou les départager.
L’enquête « Les jeunes et la radicalité religieuse et politique » a été réalisée avec le concours du CNRS et le soutien de l’Institut national de la jeunesse et de l'éducation populaire (Injep), du ministère de la Culture et de la Communication, du ministère de l’Éducation nationale, de la CAF et de la Fondation Jean-Jaurès. Elle est coordonnée par Olivier Galland (Gemass, CNRS/Univ. Paris 4) et Anne Muxel (Cévipof, CNRS/Sciences po), avec Vincent Cicchelli (Gemass), Alexandra Frénod (Gemass), Laurent Lardeux (Injep), Jean-François Mignot (Gemass) et Sylvie Octobre (ministère de la Culture et de la Communication).
- 1. Olivier Galland est directeur de recherche au CNRS. Ce sociologue est spécialiste de la jeunesse et des âges de la vie. Il travaille notamment sur les valeurs (morales, politiques…) et les inégalités en fonction des générations. Après un doctorat en économie à l’université Paris-Dauphine, il obtient l’habilitation à diriger des recherches en sociologie à l’IEP de Paris. Il est aujourd’hui directeur du Gemass, Groupe d’étude des méthodes de l’analyse sociologique de la Sorbonne (CNRS/Université Paris-Sorbonne). Il a notamment participé à l’ouvrage Une jeunesse différente ? Les valeurs des jeunes Français depuis 30 ans, sous la direction de Bernard Roudet (La documentation française, 2014) et s’apprête à publier une Sociologie des inégalités (Armand Colin).
- 2. Anne Muxel est directrice de recherche au CNRS. Cette sociologue est spécialiste des attitudes et comportements politiques, de la transmission intergénérationelle et de la constitution de la mémoire. Après un doctorat en sociologie sur les phénomènes de socialisation familiale, elle a obtenu son Habilitation à diriger des recherches en sociologie et en science politique à l’IEP de Paris. Aujourd’hui chercheuse en sciences politiques au Cévipof (CNRS/Sciences Po), elle a notamment étudié le rapport des jeunes à la politique, tant dans un cadre national que comparatif au niveau européen. Elle a notamment dirigé Temps et politique : les recompositions de l’identité (Presses de Sciences Po, 2016) et a publié Avoir 20 ans en politique : les enfants du désenchantement (Seuil, 2010). Elle a également analysé pour sa partie française « Génération What », une grande enquête sur la jeunesse européenne menée en 2016.
Commentaires
Le sujet du suicide en France.
Jérôme Bolteau le 23 Mars 2017 à 15h07Article et projet interessant
JFG54 le 6 Mai 2018 à 16h07Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS