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Déjouer une attaque terroriste au gaz moutarde ou au gaz sarin ? Désamorcer un engin explosif déposé dans un lieu public ? Dans le premier cas, les experts n’ont pour l’instant d’autre solution que de transporter la « charge » dans un laboratoire spécialisé. Et dans le second, les forces de l’ordre ont le plus souvent recours à la méthode dite du « pétardage ».
D’où l’idée du projet Nacflu1, porté par le Laboratoire de chimie organique et bioorganique : réactivité et analyse2 (Cobra), à Rouen, le laboratoire Miniaturisation pour la synthèse, l’analyse et la protéomique3 (MSAP), à Lille, et le laboratoire Chimie et interdisciplinarité : synthèse, analyse et modélisation4 (CEISAM), à Nantes, de développer un procédé sûr, simple et transportable rapidement, à même de neutraliser sur site et en douceur toxiques et explosifs.
© G. DUBOIS/COSTUME 3 PIÈCES
« Nous avons commencé à réfléchir à ce projet il y a environ un an pour la neutralisation des stocks d’armes chimiques des deux dernières guerres, explique Julien Legros, du laboratoire Cobra. Or, du fait du caractère léger de la solution envisagée, il nous est apparu naturel de la transposer dans le cadre de la lutte antiterroriste via notre réponse à l’appel "Attentats-recherche" du CNRS. »
Une science complexe des mélanges
Son principe : un tube en forme de T dont l’une des branches est reliée à l’engin à désactiver et l’autre à un réservoir contenant un produit neutralisant. S'y ajoutent deux pompes permettant de mettre les deux liquides en contact au sein de la troisième section, avant que les produits finaux, inoffensifs, soient évacués par l’extrémité de cette dernière.
Le principal écueil tient à la complexité inouïe de la science des mélanges et des réactions chimiques. « Selon la quantité de produits que l’on met en contact et la rapidité avec laquelle on le fait, on peut obtenir soit un petit pschitt soit un gros boum », résume le chimiste.
Concrètement, si les deux fluides sont mis en contact dans un trop gros volume, le risque est celui d’une réaction trop lente et mal maîtrisée en raison d’un mauvais mélange. Or, dans ce cas, il est possible que les produits de la réaction réagissent avec l’espèce à neutraliser, conduisant à un composé tout aussi dangereux, voire plus, que le premier. Au minimum, si le mélange entre le toxique et le neutralisateur se fait mal, cela peut conduire à devoir les garder en contact plusieurs minutes, c’est-à-dire dans un tuyau de plusieurs dizaines de mètres, en pratique inutilisable.
Une réaction d'oxydation sélective
La solution trouvée au terme des essais menés par les scientifiques est un tube de section millimétrique dans lequel les fluides circulent avec un débit de quelques millilitres par minute. « Avec notre dispositif, nous avons apporté la preuve de principe qu’il est possible de neutraliser des toxiques tel le gaz moutarde, dont nous avons utilisé un mime, via une réaction dite d’oxydation sélective dans laquelle un oxydant doux transfère un atome d’oxygène sur un groupe sulfure du composé à éliminer », détaille Julien Legros.
Le simulant de gaz moutarde (1) et l’agent oxydant permettant la neutralisation (2) sont pompés en continu vers le microréacteur (3) où la neutralisation s’effectue, puis le composé neutralisé est évacué (4). © J. LEGROS/COBRA
Pour d’autres poisons, notamment les neurotoxiques et leurs précurseurs, par exemple le sarin, les chimistes envisagent de mettre à profit plusieurs réactions chimiques, notamment l’hydrolyse de composés organiques phosphorés. « Il faudra pour ce faire revoir la partie hydraulique de notre dispositif afin d’accélérer les mélanges. Par exemple via l’utilisation d’un microréacteur ou bien en ayant recours à des dispositifs micro ou nanofluidiques », envisage le spécialiste. Par ailleurs, des réactions de réduction pourraient permettre de neutraliser certains explosifs couramment utilisés par les terroristes de Daech.
Pour l’heure, les chercheurs travaillent à une montée en échelle de leur prototype. « Grâce aux moyens du laboratoire MSAP, qui dispose de pompes très puissantes, l’objectif est de passer du traitement de quelques millilitres à plusieurs litres par minute, avec toute la problématique du contrôle fin du débit », précise Julien Legros. En parallèle, des essais sont programmés au CEISAM pour le suivi en ligne des réactions de neutralisation. « Pour ce faire, nous nous appuierons sur les techniques de résonance magnétique nucléaire ultra-rapide transportables, développées au sein du laboratoire nantais », annonce l’expert.
Pour la poursuite du projet, Julien Legros et ses collègues ont déposé une demande à l’ANR et nouent actuellement des contacts auprès du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Afin de proposer, à terme, un outil à ajouter à la panoplie des experts de la lutte antiterroriste.