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Leurs doubles parois en inox étincelant sous le soleil de Saint-Pierre-lès-Nemours, en Ile de France, les 16 cuves de 1000 litres s’alignent sur deux rangs, interconnectées par un labyrinthe de tuyaux. Nous sommes au printemps 2021, et une petite cohorte de chercheurs, techniciens et étudiants s’affaire autour de l’étrange dispositif de la plateforme du CEREEP1, parfois jour et nuit, dans le cadre d’une des “manips” les plus longues et ambitieuses du projet RESTORE. Son objectif ? Simuler l’impact sur la microbiologie aquatique du changement climatique futur. Les cuves expérimentales, que les scientifiques appellent des mésocosmes, servent à comparer des masses d’eau « naturelles » issues d’étangs peu profonds, qui servent de références, à des eaux réchauffées, enrichies en matière organique d’origine terrigène, ou les deux à la fois.
Mésocosmes de la plateforme du CEREEP © Fabien Joux
Car une chose est sûre : qu’elles soient côtières ou continentales, les eaux de demain seront plus chaudes et plus turbides qu’aujourd’hui. Le changement climatique va en effet non seulement élever les températures, mais, en provoquant des pluies plus violentes, augmenter l’érosion, et donc la charge en matière organique des rivières puis des littoraux. Un phénomène visible à l'œil nu lors des épisodes de fortes pluies, parfois appelé “brunissement” des eaux, qui voit celles-ci perdre leur transparence et virer à une inquiétante couleur chocolat, sous l’effet des particules de sol arrachées par le ruissellement.
Simuler les effets du réchauffement
L’effet général sur les microbes aquatiques du réchauffement associé à la charge en matière organique est connu : le milieu devient plus hétérotrophe, autrement dit produit moins d’oxygène, voire en consomme. « Mais le projet RESTORE, qui s’achèvera en septembre 2024, va contribuer à quantifier ces phénomènes, à en décrire la temporalité, et permettra d’en savoir plus sur l’interaction entre réchauffement et enrichissement en matière organique, deux forçages complexes qui entrent en synergie », résume Fabien Joux, directeur du Laboratoire d’Océanographie Microbienne, basé à l’Observatoire Océanologique de Banyuls, qui coordonne le projet.
La vingtaine de scientifiques, appartenant à 8 laboratoires, qui ont participé à RESTORE ont conduit en parallèle plusieurs expérimentations. Celle de Saint-Pierre-les-Nemours a consisté à comparer durant deux mois et demi les populations microbiennes d’eau douce dans des mésocosmes réchauffés de 6°C ou chargés en terre. Les chercheurs ont analysé les organismes présents, aussi bien les algues productrices d’oxygène que les bactéries qui dégradent la matière organique et le zooplancton filtreur ou prédateur, à l’aide d’observations au microscope, de mesures métaboliques et des outils les plus pointus de la métagénomique, pour avoir des informations à la fois sur l’identité des microorganismes présents, les gènes qu’ils activent, les enzymes qu’ils mettent en œuvre etc.
Ces données, obtenues dans un contexte d’eau douce, ont été complétées par une expérience en milieu côtier, conduite dans l’étang de Thau à la plateforme MEDIMEER2, près de Sète (34), « étang qui a une grande importance économique, et qui subit une forte pression anthropique », rappelle Fabien Joux. Empêchés, à cause de difficultés logistiques (crise COVID-19 oblige), de simuler les effets du réchauffement, les chercheurs se sont concentrés sur les impacts des afflux de matière organique. L’étang de Thau en est en effet coutumier, de par les événements Cévenols (des épisodes de pluies diluviennes) fréquents qui frappent la région.
Mésocosmes de la plateforme MEDIMEER étang de Thau © Fabien Joux
Cette deuxième expérience a donc comparé, trois semaines durant, les populations microbiennes de trois mésocosmes témoins,« des grands sacs plastiques de 3000 litres chacun immergés dans l’étang” décrit Fabien Joux, et de trois mésocosmes enrichis en matière organique issue d’une forêt voisine, et mélangée à de l’eau de la Vène, la rivière locale.
Mésocosmes aquatiques de la plateforme MEDIMEER © Fabien Joux
Une troisième expérience, en laboratoire celle-là, est venue compléter ces deux « manips » d’envergure. Elle a consisté en l’étude de la réponse d’une microalgue mixotrophe, c'est-à-dire capable à la fois de photosynthèse et de consommation de matière organique, à ces afflux érosifs et ces hausses de température. Évolution des effectifs, de l’expression des gènes, les chercheurs ont passé au crible les réactions d’Ochromonas danica, puisque c’est son nom, au réchauffement et à la matière organique.
Chémostats pour la culture de la microalgue mixotrophe © Sarah Fiorini
Pourquoi cet organisme particulier, alors que le projet s’intéresse plutôt à des écosystèmes complets ? « C’est que la mixotrophie est un processus qui pose beaucoup de questions écologiques, répond Fabien Joux, notamment parce que beaucoup de microalgues toxiques sont mixotrophes, et que nous aimerions savoir si elles seront favorisées par le changement climatique. »
Quantifier et analyser
Enfin RESTORE comportait un volet de modélisation, « pour développer une approche conceptuelle complétant les résultats expérimentaux », résume Fabien Joux. Des chercheurs du laboratoire parisien IEES3 se sont efforcés de quantifier les relations complexes dans le milieu aquatique entre les nutriments présents, la matière organique sous ses différentes formes, et les populations d’algues, ainsi que les divers prédateurs, et les décomposeurs présents. Leurs modèles, conçus indépendamment des expériences conduites, seront cependant confrontés à leurs résultats, et les paramètres pris en compte seront examinés pour en augmenter le réalisme.
Les participants à RESTORE sont actuellement dans la phase d’exploitation des grandes quantités de données acquises, et plusieurs articles devraient suivre les deux déjà publiés. S’il est encore trop tôt pour livrer des conclusions détaillées, Fabien Joux note d’ores et déjà que « si l’effet de la température sur l’activité microbienne est très fort, nous avons été surpris de constater que l’impact de la matière organique, quoique réel, s’est avéré moins marqué qu’attendu ». Une bonne nouvelle, qui traduit une capacité bienvenue - mais pas illimitée ! - des environnements aquatiques à récupérer des afflux de matière organique.
Une autre leçon à retenir, selon Fabien Joux, de ce vaste programme, est l’importance pour les sciences environnementales de disposer de plateformes expérimentales modernes comme celles qui ont permis ce travail. « Ce sont des outils essentiels, notamment pour travailler sur le changement climatique, estime-t-il, car la seule observation de la nature, aussi importante soit-elle, ne peut fournir de réponse à toutes les questions. »
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre de l'ANR RESTORE- AAPG2019. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Science Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI JCJC et PRC AAPG 18/19).
- 1. Centre de recherche en écologie expérimentale et prédictive, unité CNRS / ENS - PSL
- 2. Mediterranean Platform for Marine Ecosystem Experimental Research / https://oreme.org/plateformes/medimeer/
- 3. Institut d'écologie et des sciences de l'environnement de Paris - Unité CNRS / INRAE / IRD / Sorbonne Université / Université Paris Est Créteil Val de Marne
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