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À travers différents projets mêlant plusieurs disciplines, ce blog vous invite à découvrir la recherche en train de se faire. Des scientifiques y racontent la genèse d’un projet en cours, leur manière d’y parvenir, leurs doutes… Ces recherches bénéficient du label « Science avec et pour la société » du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
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Vers de nouvelles batteries sans lithium
25.04.2024, par Simon Pierrefixe
Mis à jour le 25.04.2024

Les batteries à base de lithium ont envahi notre quotidien. Des alternatives basées sur le potassium, un élément chimique proche du lithium mais beaucoup plus abondant, sont à l’étude.

Smartphones et ordinateurs portables, voitures et vélos électriques ont tous un point commun. Ils puisent leur énergie dans les batteries lithium-ion ou Li-ion, qui allient, dans la mesure du possible, puissance, légèreté et recharge rapide. « Ces systèmes de stockage électrochimique d’énergie permettent de transformer de l’énergie chimique en énergie électrique, et vice versa, grâce à la migration d'ions lithium entre deux électrodes », précise Laure Monconduit, directrice de recherche CNRS à l’Institut Charles Gerhardt de Montpellier (ICGM). Cette technologie, qui a émergé il y a près de quarante ans, a révolutionné notre quotidien en contribuant à l’avènement d’une société « sans fil » et à l’essor de véhicules n’émettant pas de gaz à effet de serre. Mais le lithium est un élément relativement rare sur Terre dont la production est aujourd’hui majoritairement assurée par quatre pays : le Chili, l’Argentine, l’Australie et la Chine. « Cela soulève des questions d’approvisionnement et de souveraineté stratégique, estime la chimiste. Par ailleurs, l’exploitation de ce métal alcalin a des impacts importants sur l’environnement. » Produire du lithium requiert en effet beaucoup d’eau et d’énergie. Par ailleurs, ce type de batterie nécessite d’autres métaux critiques, et toxiques, pour fonctionner. « En particulier du cobalt qui est un composant essentiel des électrodes positives de ces batteries. »

Face à ces défis stratégiques et environnementaux, les recherches vont bon train pour mettre au point des technologies alternatives. « D’autres métaux alcalins proches du lithium peuvent assurer ce rôle de convoyeur de courant », poursuit Laure Monconduit. C’est notamment le cas du sodium (Na) – Les premières batteries Na-ion commencent d'ailleurs à arriver sur le marché1 – mais aussi du potassium (K). C’est dans le but d’estimer la viabilité économique de batteries à base d’ions potassium, ou K-ion, que le projet Tropic a été lancé en 2020. Coordonné par Laure Monconduit, ce projet implique, outre l’ICGM, trois autres laboratoires du CNRS de l’Institut de chimie de la matière condensée de Bordeaux (ICMCB), de l’Institut de science des matériaux de Mulhouse (IS2M) et de l’Institut des sciences analytiques et de physico-chimie pour l'environnement et les matériaux (IPREM) de Pau2. « Nous nous sommes partagés les tâches en fonction de nos expertises sur les batteries et les doctorants participants ont mis en commun leurs résultats pour faire avancer l’ensemble du projet. C’est une belle aventure humaine », se réjouit la chercheuse.

La première tâche à laquelle se sont attelés ces chercheurs a consisté à synthétiser différents types d’électrodes en solution suivi d’un traitement thermique à haute température. « Nous nous sommes basés sur notre expérience des systèmes Li-ion et Na-ion pour utiliser des matériaux qui ont déjà fait leur preuve, explique Laure Monconduit. Nous avons ainsi employé pour la cathode, l’électrode positive, des composés polyanioniques à base de vanadium ou des analogues au Bleu de Prusse3 contenant du fer et du manganèse, et pour l’anode, l’électrode négative, du graphite ou du carbone dur, un matériau carboné qui, à la différence du graphite, est désordonné. » La structure de ces électrodes a ensuite été caractérisée par diffraction des rayons X et par spectroscopie Mössbauer, en particulier leurs interactions avec les ions potassium K+ qui sont beaucoup plus gros que les ions Li+ et Na+. « Dans une batterie en fonctionnement, les ions s’insèrent dans les électrodes et altèrent leur structure. Cette déformation doit être réversible et limitée pour ne pas compromettre l’intégrité des électrodes sur le long terme et ainsi réaliser le plus de cycle de charge/décharge possible », précise la chercheuse. Ainsi, « dans le cas du graphite, l’intercalation et la désintercalation des ions K+ entraine un changement de volume de 61 %. Mais les résultats avec le carbone dur ont encore une marge de progression et nous sommes en train d’explorer le potentiel des carbones mous (ou soft carbon), un matériau intermédiaire entre le graphite et le carbone dur. »

Pour fonctionner, une batterie a aussi besoin d’un électrolyte. « Ce sont en général des solutions liquides dans lesquelles baignent les électrodes et qui permettent la migration des ions, précise Laure Monconduit. Dans ce projet, nous avons utilisé des sels de potassium dans un mélange de solvants organiques, du carbonate d'éthylène (EC) et du carbonate de diéthyle (DEC), ou des éthers. » Leur formulation est essentielle pour optimiser les performances des batteries, en particulier leur longévité et leur sécurité. « Lors du premier cycle de charge, l’électrolyte se dégrade au contact des électrodes et des dépôts se forment à cette interface jusqu’à constituer une couche dite de passivation, ajoute la chimiste. Appelée « interphase entre l’électrolyte et la surface », cette couche réduit la capacité de stockage d'énergie de la batterie en piégeant certains ions. Mais elle est cruciale pour prévenir la décomposition continue de l'électrolyte et ainsi préserver la durée de vie de la batterie et limiter le risque d’emballement thermique. » Les premiers résultats indiquent qu’une concentration importante en sels de potassium dans l’électrolyte améliore la performance des batteries K-ion, notamment en limitant l’intercalation de molécules de solvant dans les électrodes.

En faisant varier les électrodes et les formulations d'électrolytes, les scientifiques de Tropic ont pu assembler plusieurs systèmes K-ion sous forme de piles boutons appelés  « cellules ».

Assemblage de systèmes K-ion

Assemblage de systèmes K-ion sous forme de piles boutons. © Simon Pierrefixe

Leur performance électrochimique a été évaluée dans des « cycleurs » capables d’effectuer des cycles charge/décharge sur des dizaines de cellules en parallèle. Grâce à ces données, les chercheurs ont pu identifier un prototype fiable de batterie K-ion doté d’électrodes de graphite et de phosphates de vanadium avec un électrolyte composé de sels d’hexafluorophosphate de potassium (KPF6) dans un mélange de carbonate d’éthylène et de carbonate de diéthyle EC/DEC. « Certes, sa capacité est modérée mais ce système est stable sur cinquante cycles de charge/décharge », se réjouit Laure Monconduit. Aujourd’hui, le projet continue et s’attache notamment à améliorer le premier cycle de charge de ces systèmes K-ion qui occasionne une perte de capacité élevée par rapport aux systèmes Li-ion et Na-ion. Et les chercheurs poursuivent l’exploration du potentiel des analogues au Bleu de Prusse comme cathode, ainsi que celui des carbones mous comme anode, tout en examinant les mécanismes de vieillissement des prototypes grâce à des diagnostics  « in operando », c'est-à-dire en fonctionnement. « Par exemple, des techniques de diffraction et d’absorption de rayons X nous permettent d’étudier, pendant que la batterie fonctionne, les changements de structure des matériaux à différentes échelles ainsi que la modification de l’interface électrode/électrolyte », ajoute la chimiste. Des informations essentielles pour améliorer leur performance future. La batterie K-ion n’est donc pas encore mature pour son développement à grande échelle mais le projet Tropic a d’ores et déjà permis de grandes avancées dans cette direction, et prouvé l’intérêt de ce système d’accumulateur.

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre de l'ANR TROPIC - AAPG2019. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Science Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI JCJC et PRC AAPG 18/19).

Notes
  • 1. La start-up française Tiamat basée à Amiens vient ainsi de lancer la première visseuse à batterie sodium-ion. Cette technologie est le fruit de recherches académiques auxquelles a participé le CNRS via le réseau RS2E (voir note 2). http://www.tiamat-energy.com
  • 2. Ces équipes de recherche font partie du Réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie (RS2E), un centre de recherche sur les batteries et supercondensateurs fondé en 2011 par Jean-Marie Tarascon, médaille d’or du CNRS en 2022, et qui regroupe dix-sept laboratoires CNRS-Universités, seize partenaires industriels et trois établissements publics à caractère industriel et commercial.
  • 3. Composé à base de fer et d’ions cyanures qui donne un pigment bleu profond.

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