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La mission océanographique APERO, qui a navigué dans l’Atlantique Nord en 2023, s’est consacrée au rôle du phytoplancton dans le stockage de CO2 par les océans. Deux navires et plus de soixante chercheurs et chercheuses ont participé à l’aventure. Parmi eux, Frédéric Le Moigne, chercheur du CNRS au Laboratoire des sciences de l’environnement marin.1
L’océan joue un rôle primordial dans la régulation du climat. Il emmagasine par exemple le CO2 selon deux processus très différents. La pompe physique, ou pompe de circulation, est liée à l’absorption par les eaux de surface qui plongent ensuite vers le fond où, comme il fait froid, le CO2 se dissout bien. Ce stockage ne dure cependant pas très longtemps. La pompe biologique de carbone est quant à elle liée au phytoplancton, qui vit près de la surface car il a besoin de lumière pour effectuer la photosynthèse. Le CO2 dissous dans l’eau est alors transformé en tissu organique et, lorsque le plancton meurt, il s’agrège et forme de la neige marine. Celle-ci coule lentement jusqu’au fond. Cette pompe ne transporte pas beaucoup de carbone, mais elle le stocke sur plusieurs millénaires.
Frédéric Le Moigne, chargé de recherche du CNRS au Laboratoire des sciences de l’environnement marin est justement un spécialiste de la collecte de la neige marine. « Ce sont de petits flocons qui coulent de quelques dizaines de mètres par jour, explique le chercheur. Ils sont très fragiles, et encore plus une fois qu’on les a sortis de l’eau, d’où le besoin d’instruments dédiés à leur collecte. »
Deux navires et cent vingt scientifiques
Cette expertise a valu à Frédéric Le Moigne de participer à la mission APERO, qui s’est déroulée dans l’Atlantique Nord du 3 juin au 17 juillet 2023. Elle a impliqué plus de cent vingt scientifiques, dont une soixantaine répartie à bord de deux navires : le Thalassa et le Pourquoi Pas ?. Son but était justement d’étudier la pompe biologique de carbone dans la zone mésopélagique, c’est-à-dire l’espace situé entre deux cents et mille mètres de profondeur.
« Nous nous sommes concentrés sur une seule région pour comprendre ce phénomène que l’on connaît encore très mal et qui est lié au phytoplancton, poursuit Frédéric Le Moigne. Sur la mission Apéro, nous avons déployé des pièges à particules pour collecter la neige de mer. Dix d’entre eux étaient disposés le long d’une ligne de mille mètres que nous avons fait plonger, avec une bouée de surface pour la localiser. On l’a laissée dériver dans les courants et s’éloigner du bateau, qui peut être source de pollution. Le dispositif a été utilisé cinq fois au total, c’était le cœur technique de la mission. »
Le devenir des flocons de neige de mer
L’objectif était de mesurer la vitesse de chute de la neige de mer, sa taille, sa composition chimique et génétique, ainsi que de savoir quels virus et bactéries vivent dedans. Les chercheurs sont encore en train de dépouiller et d’analyser ces données, notamment pour mettre en évidence des processus qu’ils n’ont pas pu observer sur place.
« Nous scrutons par exemple le rôle du zooplancton, qui désagrège les gros flocons, qui coulent vite, en plus petits, qui descendent plus lentement, explique Frédéric Le Moigne. À cause de ce phénomène, il y a moins de séquestration du carbone. Ces résultats ne sont pas encore publiés, car le traitement des données prend du temps. Les phases d’échantillonnage et d’analyse se sont en tout cas bien passées. »
Frédéric Le Moigne explore également le rôle des procaryotes, des organismes unicellulaires dépourvus de noyau, dans le devenir de la neige marine. Ces études se déroulent dans le cadre du projet ARMORIC2, qui plus spécifiquement, cherche à comprendre pourquoi la chute du carbone s’atténue si fortement avec la profondeur. Il a été découvert récemment que les procaryotes sont présents sur la neige et qu’ils transforment en matière organique une partie du CO2 dissous dans l’eau.
Marine snow catcher © Frédéric Le Moigne
Des missions indispensables
« Il y a de forts liens entre tous ces processus de mutation du carbone, et nous essayons de comprendre lesquels sont les plus importants et prévalent dans différents écosystèmes, poursuit Frédéric Le Moigne. Cela engendre une multitude de projets scientifique tant au niveau national qu’international. »
Une certitude en tout cas : l’importance des missions océanographiques. « Elles sont primordiales et, malgré leur bilan carbone, elles restent les seules manières d’obtenir des informations précises sur des processus marins que l’on connaît encore mal, affirme Frédéric Le Moigne. Ce n’est qu’après avoir compris une partie du phénomène que l’on peut déployer des drones et des plateformes autonomes bardés de capteurs adéquats. »
Cinq cents jours en mer
Le chercheur en est à sa dix-huitième campagne au large et a ainsi passé plus de cinq cents jours en pleine mer dans sa vie de scientifique. Il se remémore en particulier ses quatre séjours en Antarctique, mais aussi en Patagonie, au Spitzberg avec ses ours polaires, ou encore au Pérou, où il rêvait d’aller étant petit. Avec quarante-cinq jours sur le Pourquoi Pas ?, APERO a représenté pour Frédéric Le Moigne une mission plus longue que la moyenne.
« Au-delà ça se complique, car le personnel fatigue et il faut stocker suffisamment de nourriture à bord, reconnaît-il. Nous étions en plus dans une zone de l’Atlantique Nord sujette aux tempêtes et nous avons eu pas mal de mer agitée. Je suis habitué à force, mais c’est une sacrée expérience pour les doctorants qui partent pour la première fois aussi longtemps en mer. On mange ensemble et on partage sa cabine, il faut donc aimer la vie en communauté et savoir gérer cela au quotidien. Tout s’est bien passé et il y avait une super atmosphère à bord, d’autant que l’équipe se connaissait déjà. C’était en tout cas la première fois qu’une de mes expéditions partait et arrivait à Brest, ma ville natale, ça m’a fait quelque chose de revoir le pont de Plougastel après quarante-cinq jours en mer ! »
Frédéric Le Moigne lors de la mission Apéro © Maria Villa-Alfageme
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Ces recherches ont été financées en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet « Assessing the Role of cheMolithoautotrOphy on caRbon fluxes in the mesopelagIC realm. – ARMORIC ». Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2021 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 21).