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Les jardins suspendus de Babylone, l’une des sept merveilles du monde, vantée par les auteurs de langue grecque, ont longtemps intrigué les spécialistes des textes cunéiformes et les archéologues ayant eu la chance de fouiller le site car ni les uns ni les autres n’y ont trouvé des indices de leur existence. Des travaux de l’assyriologue britannique Stéphanie Dalley laissent à penser que les Grecs se sont trompés et que ces jardins se situaient en fait à Ninive.
Dans le troisième livre de ses Babyloniaca, un récit rédigé en grec qui expose à l’attention d’Antiochos Ier les connaissances que l’on a de la civilisation babylonienne au début du 3e siècle av. J.-C., Bérose, prêtre du dieu Bêl-Marduk de Babylone, attribue à Nabuchodonosor II la construction de jardins suspendus à Babylone. Le roi aurait ordonné la réalisation de ces somptueux jardins en terrasse pour son épouse.
Le fait est repris et enjolivé par Diodore de Sicile au 1er siècle av. J.-C., puis par Flavius Josèphe qui, citant Bérose, écrit (Contre Apion, XIX, 140-141) : « Après avoir fortifié la ville d'une façon remarquable et décoré les portes d'une façon digne de leur sainteté, (Nabuchodonosor) construisit auprès du palais de son père un second palais attenant au premier (…) Dans cette résidence royale il fit élever de hautes terrasses de pierre, leur donna tout à fait l'aspect des collines, puis, en y plantant des arbres de toute espèce, il exécuta et disposa ce qu'on appelle le parc suspendu, parce que sa femme, élevée dans le pays mède, avait le goût des sites montagneux. » La description de ces « jardins suspendus » a fasciné des générations d’artistes qui ont donné libre cours à leur imagination.
Les jardins de Babylone, gravure sur bois de Sidney Barclay, reproduite dans Augé de Lassus, Voyage aux Sept merveilles du monde, 1880.
Pourtant, ces fameux jardins n’ont pas laissé de traces. La proposition de R. Koldewey, qui explora le site de Babylone entre 1899 et 1917, de les situer sur le toit d’un bâtiment vouté faisant partie du palais sud. Mais cette hypothèse n’est pas plus étayée que toutes celles qui ont suivi. Les inscriptions royales babyloniennes n’offrent aucune description qui aurait pu correspondre à ces jardins, interprétés comme de monumentales terrasses végétales.
En 2013, Stephanie Dalley a publié une enquête passionnante à l’issue de laquelle elle propose de situer ces jardins à Ninive où ils auraient été aménagés par le roi Sennachérib au début du 7e siècle av. J.-C.[1]. Cette conclusion repose sur toute une série d’observations.
Ces jardins sont absents des écrits d’Hérodote qui décrit pourtant longuement la vie des habitants de Babylone et apparaissent seulement dans les textes d’époque hellénistique et romaine. Or les Grecs ont fréquemment confondu les deux mégapoles qu’étaient Ninive et Babylone, respectivement capitales des empires assyrien et babylonien. Dans ses inscriptions Sennacherib (704-681), roi néo-assyrien, évoque sa nouvelle résidence, le « Palais-sans-rival », et les jardins qui le bordent ainsi : « J’ai planté à ses côtés un jardin botanique, une réplique du mont Amanus, qui a toutes sortes de plantes aromatiques (et) d’arbres fruitiers (…) Pour rendre luxuriantes ces surfaces plantées, j’ai creusé avec des pics un canal droit à travers la montagne et la vallée, depuis la frontière de la ville de Kisiru jusqu’à la plaine de Ninive. J’y ai fait couler un flot inépuisable d’eau sur une distance d'un kilomètre et demi depuis la rivière Husur (et) j’ai fait jaillir (l’eau) dans ces jardins par les canaux d’alimentation. »
Relief du palais de Ninive. British Museum.
Les reliefs du palais de Sennachérib proposent une illustration de ces jardins plantés d’arbres sur une terrasse et équipés d’un aqueduc et de canaux permettant un arrosage en hauteur. Le souverain mentionne justement dans ses inscriptions l’invention d’une machine élévatrice ayant permis de remonter l’eau selon un système précurseur de la célèbre « vis d’Archimède » : « je fis fabriquer des cordes, des cables de bronze et des chaînes de bronze. À la place des piliers (des shadoufs), je fis placer des grands troncs et des alamittu en cuivre, au-dessus des puits. »
Si les fameux « jardins suspendus » sont désormais à situer à Ninive, il ne reste alors à Babylone que ses murailles pour figurer au palmarès des sept merveilles du monde !
[1] S. Dalley, The Mystery of the Hanging Garden of Babylon: An Elusive World Wonder Traced, Oxford, 2013.
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du journal CNRS