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Bienvenue sur le blog de Cécile Michel, destiné à vous faire découvrir trois mille ans d’histoire d’un Proche-Orient aux racines complexes et multiples, à travers les découvertes et les avancées de la recherche en assyriologie et en archéologie orientale. (Version anglaise ici)

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Cécile Michel
Assyriologue, directrice de recherche au CNRS dans le laboratoire Archéologies et Sciences de l’Antiquité

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Un sceau personnel pour authentifier et protéger ses biens
29.11.2023, par Cécile Michel
Mis à jour le 29.11.2023

Un sceau est un objet sur lequel sont gravées des figures en négatif, et dont l’empreinte est apposée sur des documents ou des objets pour les authentifier et les fermer de façon inviolable. Les sceaux existent depuis la plus haute antiquité, et en Mésopotamie, ils ont été appliqués sur de l’argile fraîche pour y laisser leur empreinte.

L’argile est une matière plastique malléable, qui prend facilement l’empreinte de tout ce que l’on y applique intentionnellement ou non. Au Proche et Moyen-Orient ancien, l’argile a servi à de multiples usages ; parmi ceux-ci, elle fut façonnée en tablette comme support d’écriture, ou encore a servi de scellement pour fermer portes, coffres, paniers, sacs en textile ou cuir, et autres contenants. Un sceau était régulièrement apposé sur les tablettes, les enveloppes et les scellements en argile.

Sceau-cylindre inscrit au nom d’Ibni-sharrum, scribe de Sharkalisharri, roi d’Akkad (24e s. av. J.-C.). Héros acolytes d’Ea abreuvant des buffles. Sceau-cylindre inscrit au nom d’Ibni-sharrum, scribe de Sharkalisharri, roi d’Akkad (24e s. av. J.-C.). Héros acolytes d’Ea abreuvant des buffles. © 2000 RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Franck Raux https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010147030

Les sceaux apparaissent dans cette région dès le VIIe millénaire av. J.-C., bien avant l’écriture. Il s’agit alors de cachets appliqués à des morceaux d’argile servant à sceller des biens. Le sceau-cylindre, quant à lui, est en usage à la toute fin du Ve millénaire. Il était déroulé sur une surface en argile, y laissant son empreinte en positif. Petit cylindre taillé généralement dans la pierre, épais au départ, il s’est affiné au cours des siècles et était percé d’un trou longitudinal. Faits en pierres semi-précieuses, hématite, lapis-lazuli, cristal de roche, les sceaux représentaient des biens personnels de valeur. Beaucoup des sceaux sont répertoriés par les empreintes qu’ils ont laissées sur des enveloppes, des tablettes et des scellements.
Présentation d’un chevreau à un dieu trônant à côté d’une déesse (première moitié du IIe millénaire). Présentation d’un chevreau à un dieu trônant à côté d’une déesse (première moitié du IIe millénaire). © 2016 Musée du Louvre / Chipault - Soligny. https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010147049

Les sceaux-cylindres présentent des scènes miniatures d’une très grande variété selon la période, la région et le contexte considérés. Il existe de très nombreux styles et motifs qui dépendent aussi parfois du choix du propriétaire du sceau et de ses activités professionnelles. Les scènes religieuses dominent, avec la présentation à une divinité, des personnages en prière ou encore une libation. Viennent ensuite les scènes mythologiques illustrant épopées et légendes, avec, par exemple, des batailles entre héros, monstres ou animaux. Les scènes royales montrent le souverain aux prises avec un ennemi, chassant un animal sauvage, ou encore participant à un banquet, avec musique et danse. Enfin, d’autres sceaux illustrent des scènes de la vie quotidienne, comme le travail du textile, filage et tissage, ou la pratique de certains métiers tel celui de boucher, ou encore de la nourrice qui allaite.
Sceau-cylindre inscrit représentant des musiciens appartenant à un fonctionnaire du roi Kurigalzu II (14e s.). Sceau-cylindre inscrit représentant des musiciens appartenant à un fonctionnaire du roi Kurigalzu II (14e s.). © 2005 Musée du Louvre / Christian Larrieu https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010170694

Sur certains sceaux une légende pouvait être gravée, ne comportant généralement que deux ou trois lignes. Y étaient inscrits le nom du propriétaire du sceau, de son père et éventuellement de son dieu personnel. Plus rares étaient les sceaux qui n’avaient que du texte, une sorte de prière transformant alors l’objet en amulette avec un pouvoir magique.

Le sceau était un objet personnel, souvent porté en pendentif, ou encore accroché au vêtement à l’aide d’une ficelle ou d’une chaînette. Lorsque le sceau n’avait pas d’inscription, les membres de la communauté pouvaient identifier son propriétaire grâce à la scène représentée : « Nous sommes entrés dans la maison et nous avons identifié le sceau dont les empreintes figurent sur le scellement fixé aux étoffes : ce sont vraiment les empreintes du sceau d’Imdî-ilum ». En effet, la plupart des sceaux sont connus par leur empreinte.
Déroulé numérique d’un sceau-cylindre présentant un cervidé, Mésopotamie du Nord (seconde moitié du IIe millénaire). Déroulé numérique d’un sceau-cylindre (à gauche) présentant un cervidé, Mésopotamie du Nord (seconde moitié du IIe millénaire). Source BnF DMMA Delaporte 307, P476275

Toutes sortes de biens pouvaient être scellés par leur propriétaire : maison, pièce, ou divers contenants. Il suffisait pour cela d’apposer une languette d’argile sur un loquet ou encore sur les nœuds fermant un sac et d’y apposer son sceau. Au début du IIe millénaire av. J.-C., les lettres étaient envoyées enfermées dans une fine couche d’argile. Cette enveloppe avait un double usage : cacher le texte de la lettre et protéger la tablette pendant son transport. Sur l’enveloppe le nom du destinataire était écrit, parfois celui de l’expéditeur, et le sceau de ce dernier était déroulé sur la face, le revers et toutes les tranches de l’enveloppe, en guise d’authentification.

Dans le cas de contrats, les documents – tablette ou enveloppe – étaient scellés par au moins une partie et les témoins ayant assisté à l’acte.Pour un prêt, le débiteur scellait la reconnaissance de dette confiée au créancier, ce dernier pouvant ainsi exhiber le document à tout moment pour prouver le prêt qu’il avait effectué. Lors d’un d’achat, c’est le vendeur qui apposait son sceau sur le contrat pour certifier qu’il avait bien reçu le prix de vente du bien. Ceux qui n’avaient pas de sceau, sans doute trop pauvres pour s’en faire graver un, pouvaient sceller un document à l’aide d’un autre objet, substitut de leur personne : une frange de leur vêtement, l’anneau de leur doigt, ou encore simplement en plantant leur ongle à plusieurs reprises dans l’argile.
Enveloppe de tablette paléo-assyrienne avec deux empreintes de sceaux différents, (19e s.).Enveloppe de tablette paléo-assyrienne avec deux empreintes de sceaux différents, (19e s.), © 2008 Musée du Louvre / Thierry Ollivier. https://collections.louvre.fr/ark:/53355/cl010123090

Briser l’empreinte du sceau d’une personne était un acte formel ne pouvant se faire qu’en présence de témoins et avec une autorisation spéciale. C’est ainsi que les autorités d’un comptoir de commerce assyrien, au dix-neuvième siècle, donnèrent les ordres suivants : « Brisez les scellés antérieurs, prenez connaissance des tablettes, et les scellés que vous aurez brisés, placez-les à l’intérieur des récipients à tablettes. Scellez (le tout) et remettez-le sous votre sceau à Mada, notre messager afin qu’il nous l’apporte ».

Les sceaux-cylindres mésopotamiens sont, encore aujourd’hui, des objets très prisés, non seulement en raison de la préciosité de leur matériau, mais aussi pour la finesse et la beauté des scènes miniatures qui y sont gravées. Dans les années 1870, l’archéologue Henry Austen Layard fit monter pour son épouse un collier composé de sceaux-cylindres mésopotamiens. Les sceaux sont nombreux dans les collections et les musées à travers le monde, mais ce sont aussi les objets les plus recherchés par les trafiquants d’antiquités, car de petite taille, ils sont faciles à dissimuler. C’est ainsi que plusieurs milliers de sceaux-cylindres conservés au Musée d’Irak à Bagdad n’ont jamais été retrouvés depuis leur vol en 2003.
 

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du journal CNRS