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Si nos yeux ne perçoivent qu’une petite partie de la lumière existante, ce n’est pas faute de rayonnements autour de nous. Les infrarouges, par exemple, sont invisibles à l’œil nu. Pourtant, ils sont omniprésents : ils transportent la chaleur, traversent certains tissus et sont largement utilisés dans les télécommunications. Et si l’on pouvait transformer cette lumière invisible en lumière visible ?
C’est tout l’enjeu des projets de recherche ANR LUCAS et POPUP, coordonnés par Loïc Charbonnière, chercheur CNRS à l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien de Strasbourg1. Avec son équipe, il étudie un phénomène physique peu courant, mais plein de promesses : la conversion ascendante de photons, ou « upconversion ».
Les photons sont les particules élémentaires qui composent la lumière. Chacune de ces particules transporte une petite quantité d’énergie. Le principe de la conversion ascendante consiste à accumuler plusieurs photons infrarouges pour en émettre un seul dans le visible, plus énergétique. En d’autres termes, il s’agit de « faire monter » la lumière en énergie !
Les lanthanides : des alliés précieux !
Ce processus ne se produit pas spontanément dans la nature. Il nécessite des matériaux bien spécifiques, capables de capter, stocker et redistribuer l’énergie lumineuse. Les chercheurs utilisent pour cela des éléments appelés lanthanides, connus pour leurs propriétés électroniques uniques. Parmi eux, certains ions comme l’Ytterbium absorbent les photons infrarouges et transfèrent cette énergie à d’autres, comme l’Erbium ou le Thulium, qui peuvent alors émettre un photon visible.
Encore faut-il que ces échanges d’énergie aient lieu dans les bonnes conditions. Dans les solides, le phénomène est maîtrisé depuis plusieurs décennies. Mais dans un milieu liquide, essentiel pour des applications biologiques, les choses se compliquent. « En solution, beaucoup plus de molécules tournent autour de l’assemblage moléculaire, et celles-ci vibrent beaucoup plus énergétiquement »2, explique Loïc Charbonnière. Résultat : les ions excités peuvent perdre leur énergie avant même de pouvoir émettre de la lumière, simplement en la dissipant sous forme de chaleur.
Des nids moléculaires pour faire briller les ions
Pour éviter cela, les chercheurs conçoivent des structures moléculaires sur mesure. Le cœur du dispositif est un ligand, une molécule organique qui agit comme un petit nid chimique, destiné à accueillir les ions lanthanides. « Ce nid doit être arrangé de façon à ce que plusieurs ions lanthanides viennent se coller les uns à côté des autres en les protégeant des molécules extérieures »2, précise le chercheur. Cette proximité est cruciale pour favoriser les transferts d’énergie successifs entre ions, sans perte.
Une fois la structure moléculaire imaginée et synthétisée, l’équipe la soumet à une batterie de tests à l'aide d'un faisceau laser infrarouge. Les chercheurs s'assurent d’abord qu’elle absorbe bien les photons infrarouges à la bonne longueur d’onde. Puis ils vérifient sa capacité à émettre. Pour observer une conversion ascendante, il faut qu’un deuxième photon soit absorbé avant que la molécule excitée ne perde son énergie. Si tout se passe bien, la molécule émet alors une lumière visible, souvent verte ou parfois bleue suivant le type d’ion accepteur utilisé.
Solution contenant des nano-assemblages moléculaires d’ions Ytterbium éclairée par un faisceau laser infrarouge. Le phénomène de conversion ascendante (upconversion) consiste en l’absorption de plusieurs photons de basse énergie donnant lieu à l’émission d’un photon d’énergie plus élevée. C’est ce qui transforme la lumière infrarouge du laser en lumière verte visible sur ces photos. © Nicolas Busser (Institut pluridisciplinaire Hubert Curien, CNRS)
« Ce que l’on cherche à savoir, c’est par exemple comment les ions lanthanides peuvent être disposés au sein du nid. Combien peut-on en placer ? Un, deux, trois, quatre... ? Sachant que pour obtenir la propriété désirée pour la conversion ascendante, il en faut au moins trois. »2, explique le chercheur.
Une preuve de concept prometteuse
En 2023, le projet POPUP a franchi une étape importante : les chercheurs ont conçu une première génération de complexes capables de produire une conversion ascendante en solution. Une avancée significative dans un domaine où les pertes d’énergie sont nombreuses et difficiles à maîtriser.
Les prochaines étapes visent à optimiser ces systèmes. En accueillant davantage d’ions lanthanides dans chaque structure, on augmente les chances qu’au moins l’un d’entre eux reste suffisamment longtemps dans un état excité pour que le processus aboutisse. L’équipe cherche également à réduire encore les pertes d’énergie et à affiner la géométrie des assemblages.
Des encres invisibles aux panneaux solaires, en passant par la nano-médecine : un éventail d’applications à fort potentiel
À terme, les applications envisagées sont nombreuses. En biologie, ces assemblages pourraient servir de traceurs lumineux, capables de traverser les tissus et de signaler la présence de certaines molécules, comme des anticorps. En photovoltaïque, ils permettraient de récupérer une partie du rayonnement infrarouge, actuellement inutilisé par les panneaux solaires. D’autres pistes incluent les technologies anti-contrefaçon, grâce à des encres invisibles révélées uniquement par une émission lumineuse très spécifique.
Sous leurs airs discrets, les projets LUCAS et POPUP explorent donc une nouvelle façon de dialoguer avec la lumière. Et derrière la complexité des montages moléculaires, il propose une idée simple, presque poétique : donner à voir ce que nos yeux ignorent.
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Ces recherches et cet article ont été financés en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre des projets ANR-LUCAS-AAPG2019 et ANR-POPUP-AAPG2022. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle.
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Publications
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Knighton, R. C., Soro, L. K., Francés‐Soriano, L., Rodríguez‐Rodríguez, A., Pilet, G., Lenertz, M., ... & Charbonnière, L. J. (2022). Cooperative luminescence and cooperative sensitisation upconversion of lanthanide complexes in solution. Angewandte Chemie International Edition, 61(4), e202113114. https://onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1002/anie.202113114
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Knighton, R. C., Soro, L. K., Thor, W., Strub, J. M., Cianférani, S., Mély, Y., ... & Charbonnière, L. J. (2022). Upconversion in ad–f Supramolecular Assembly. Journal of the American Chemical Society, 144(29), 13356-13365. https://pubs.acs.org/doi/abs/10.1021/jacs.2c05037
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Charbonnière, L. J., Nonat, A. M., Knighton, R. C., & Godec, L. (2024). Upconverting photons at the molecular scale with lanthanide complexes. Chemical Science, 15(9), 3048-3059. https://pubs.rsc.org/en/content/articlehtml/2024/sc/d3sc06099c