Donner du sens à la science

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Découvrez ici les recherches et le récit des expéditions du géographe François-Michel Le Tourneau, spécialiste de la Guyane et explorateur de la forêt amazonienne. A suivre également sur le compte Twitter @7bornes.
 

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François-Michel Le Tourneau
Géographe aventurier, membre de l'International Research Laboratory (IRL) iGLOBES

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Bientôt le départ...
19.05.2015, par François-Michel Le Tourneau
Derniers préparatifs pour François-Michel Le Tourneau et son équipe du "raid des sept bornes". Début juin, le géographe commencera son périple au cœur de la forêt amazonienne. Son objectif : suivre à pied les 320 kilomètres de frontière terrestre entre Guyane et Brésil. Une expédition jamais tentée auparavant et dont il va nous livrer le récit, au fur et à mesure, sur ce blog.

Le compte à rebours a commencé. Plus que deux semaines avant de prendre l’avion pour Cayenne puis Maripasoula et m’embarquer avec toute l’équipe pour notre grand défi : parcourir à pied les 320 kilomètres de la frontière sèche qui sépare la Guyane française du Brésil. Une première dans l’histoire mouvementée de ce tracé.

Fixée en 1900 par un arbitrage de la Suisse, la frontière entre la Guyane et le Brésil se compose de deux tronçons : tout d’abord le fleuve Oyapock, de son embouchure à sa source ; puis la « frontière sèche », constituée par la ligne de partage des eaux entre la source de l’Oyapock et le point de Trijonction Brésil/Surinam/Guyane française. Du fait de son isolement, cette dernière a été tardivement reconnue et matérialisée. Ce n’est que durant les années 1950-60 que des missions coordonnées par l’IGN y installeront sept bornes en ciment.

Ces bornes délimitent la ligne de partage des eaux qu’elles matérialisent entre les fleuves du Bassin guyanais au nord et ceux du Bassin amazonien au sud. Elles traversent d’est en ouest la région dite « des monts Tumuc Humac », dont la difficulté d’accès a longtemps à la fois empêché les explorations et enfiévré les imaginations. Bien que peu élevé, le relief y est un obstacle redoutable. Il n’offre pas de ligne directrice, il n’est pas possible d’y optimiser son trajet en passant de vallée en vallée ou de ligne de crête en ligne de crête. Il faut donc affronter la répétition des innombrables collines et encaisser près de 15 000 mètres de dénivelé positif cumulé le long de la ligne frontière.  Pour ces raisons, alliées à l’éloignement qui rend difficile le ravitaillement, la traversée est-ouest des monts Tumuc Humac n’a jamais été réalisée in extenso par une expédition.

Carte du parcours du raid des 7 bornes (IGN/ Géoportail)

(Le parcours du raid figure ici en jaune. L’avancée de l’expédition est à suivre en direct sur cette carte interactive.)

L’objectif du raid des sept bornes sera justement celui-là : réaliser la traversée est-ouest de la région des Tumuc Humac, en un seul parcours, de la borne de trijonction à la borne n° 7, et réaliser la première coupe longitudinale de cette région frontalière. Réalisé avec l’aide de la Légion étrangère, ce raid représente une première sur le plan sportif et humain. Nous savons tous qu’il nécessitera l’excellence dans divers domaines, dont celui de l’orientation (avec et sans instruments), de la topographie, des techniques de déplacement en forêt, de la logistique et de la survie en forêt profonde. Il sera mené par une équipe de vingt personnes comprenant une partie militaire (14 légionnaires du 3e REI) et une partie scientifique (6 personnes dont des botanistes et des guides de forêt brésiliens).

Car, si réussir la traversée est un défi en soi, l’expédition poursuit également plusieurs objectifs scientifiques. Tout d’abord, effectuer une « reconnaissance géographique » de la région de la frontière, qui permettra de confirmer la succession des différents types de paysage en confrontant systématiquement les documents actuels avec les éléments donnés par les explorateurs du passé. Préciser certains tronçons de la ligne de frontière, en déterminant notamment le sens de drainage dans certaines zones. Réaliser des inventaires floristiques rapides le long de la ligne de progression, caractériser les différences qui apparaissent dans la composition de la forêt tout au long de la ligne frontière et détecter les espèces qui pourraient être le témoin d’une occupation humaine passée. Enfin, décrire les conditions actuelles de la région frontalière, en insistant sur les traces de passage humain (Amérindiens, orpailleurs, etc.) ou au contraire sur leur absence.

Le groupe parcourra environ 10 kilomètres par jour. Il n’existe bien sûr aucun sentier, si bien que nous devrons nous frayer un chemin dans la forêt dense. Mais nous éviterons le plus possible l’ouverture de layons (sentiers), qui consomme beaucoup d’énergie et ralentit la marche. Nous progresserons donc en nous adaptant le mieux possible à la topographie et en recherchant les sous-bois clairs qui permettent d’avancer au mieux. À chaque borne, l’équipe montera un campement plus important afin de stationner une journée entière pour effectuer les relevés botaniques et rafraîchir les clairières. Afin de ne pas surcharger les sacs, des ravitaillements seront positionnés par hélicoptère sur les bornes.

Le défi n’est pas mince. Si les légionnaires sont entraînés, il me fallait aussi me préparer, et bâtir entre eux et moi de la confiance. Car, même si j’ai quelques expéditions à mon compteur, comment pouvaient-ils savoir que j’étais à la hauteur de l’expédition ? La porte m’a semblée évidente : d’abord le Centre national d’entraînement commando (Cnec), auprès duquel j’ai pu participer à deux stages intensifs, l’un sur la survie et l’autre sur les techniques commandos. Ensuite la Légion elle-même et son Centre d’entraînement de la forêt équatoriale (Cefe) au sein duquel j’ai effectué un stage en novembre dernier.

Avec ces nouveaux tampons sur mon carnet, je suis fin prêt. Mais cela sera-t-il suffisant pour parcourir les sept bornes ? Réponse dans sept semaines… Normalement.