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Lors du voyage des pères Grillet et Béchamel, l’ensemble des bassins de la Comté, de l’Approuague et du Camopi étaient habités par des peuples amérindiens très distincts linguistiquement. Dans cette seule région vivaient approximativement de 6 000 à 8 000 personnes lors de l’arrivée des Européens. À la fin du XVIIe siècle, ceux habitant dans les bas cours des fleuves avaient déjà amorçé une nette baisse démographique, ce qui n’était pas encore le cas des peuples de l’intérieur.
Diversité des peuples amérindiens
Des Galibis (Kali’na) (famille Caribe) dans la Comté et le bas Approuague représentaient la fraction la plus occidentale de ce peuple conquérant. Plus près de la côte vivaient les Sapayé (famille Arawak), peuple des marais très anciennement installé en Guyane.
Les Karanes (peut-être famille Tupi-Guarani), que ne purent rencontrer Grillet et Béchamel, méritent une mention particulière. Établis à l’époque entre la crique Ekiny (bassin de l’Approuague) et la crique Armontabo (bassin de l’Oyapock), quelques familles acceptent la tutelle des jésuites tandis que les autres s’enfoncent loin vers le sud. La tradition orale des Palikur, des Teko et des Wayãpi attribue à ce peuple hostile les sites fortifiés des « montagnes couronnées ».
Les Nouragues (famille Tupi-Guarani) sont le plus connus des Amérindiens du bassin de l’Approuague. Pourtant ils ne l’occupent qu’au tournant des XVIe et XVIIe siècles, venant des grands sauts (« rapides ») de l’Oyapock. Très proches des Maouriou, Akokwa, Piriou et Win, ils habitent du saut Tourépé à la crique Sapokaye. Peuplant aussi l’Arataye, la haute Comté et l’Orapu, ils contrôlent un chemin de traite allant de la Comté au Camopi et sont la première ethnie de l’intérieur visitée par les missionnaires. Au XVIIIe siècle, ils ravitaillent les traiteurs en cacao sauvage. Le commerce se déportant sur l’Oyapock après 1740, les Nouragues ne seront plus guère visités par la suite, ce qui retardera sans doute leur extinction. Leurs plus proches parents actuels sont les Teko. Les derniers Nouragues émigreront à l’Oyapock où ils fusionneront avec les Wayãpi.
Les Akokwa et les Piriou (famille Tupi-Guarani) peuvent être considérés comme très proches culturellement des Nouragues. Les premiers occupent les sources de l’Approuague (criques Sapokaye et Couata), l’Inipi et une section du Camopi. Les seconds habitent plus en amont sur le Camopi. Ils furent rassemblés au XVIIIe s. sur les missions jésuites de l’Oyapock. Des familles fusionneront avec les Wayãpi et les Teko.
Les Maouriou (famille Tupi-Guarani), dont Grillet et Béchamel rencontrèrent divers éléments, sont connus sous divers noms. Leur équivalence avec les Teko, qui occupèrent un temps des portions de la basse Guyane, est discutée mais très vraisemblable. Entre Arataye et Maroni, sous l'appellation Mersiou, sans doute faut-il encore voir le même peuple. Les Maouriou/Teko connurent une grande dispersion à travers la Guyane centrale. Au XVIIe et XVIIIe s., on les rencontre de l’Arataye et du haut Approuague à la région de l’actuelle Maripasoula, incluant la haute Mana et l’ensemble du bassin de l’Inini. Tout au long du XVIIIe s., un groupe habite aussi le bassin de la Ouanari. Au XIXe s., ce dernier groupe se coulera dans la population métisse du bas Oyapock et quelques familles se joindront aux Palikur. Dans l’intérieur, on les retrouvera sous le nom de Teko.
Les modes de vie
La région de l’Approuague a connu deux types d’adaptation à l’environnement : dans la grande forêt en amont de l’actuel bourg de Régina, la nécessité de se procurer des protéines animales impliqua la dispersion et la mobilité de l’habitat. Dans les savanes inondées des basses terres, les ressources halieutiques abondantes et l’exiguïté des terres émergées impliquèrent une sédentarité relative.
Si la chasse et la pêche étaient des activités économiques essentielles pour les Amérindiens tant des marais que des forêts, on ne soulignera jamais assez l’importance de l’agriculture, fondée avant tout sur le manioc amer qui fournit encore aujourd’hui l’alimentation de base des Amérindiens.
Les villages étaient de taille variable : si les archéologues ont trouvé des sites ayant sans doute abrité plusieurs centaines d’habitants, une moyenne de 60 personnes est plus courante. Les communautés étaient nombreuses, jamais bien éloignées les unes des autres, et très liées au niveau cérémoniel et économique. Des personnages de premier plan pouvaient avoir autorité sur plusieurs centaines de kilomètres carrés. On peut penser que les peuples des basses terres vivaient dans de grandes maisons collectives sur pilotis. L’organisation clanique était la plus répandue.
En forêt, les villages étaient plus petits ; des cases familiales encerclaient une grande case collective (le carbet des textes anciens) destinée aux hommes, aux voyageurs et aux activités festives. L’anthropophagie sur les prisonniers de guerre était pratiquée par quelques ethnies dont les Maouriou et les Nourague. L’organisation familiale reposait sur la famille étendue, la chefferie étant assumée par l’aîné du groupe.
Conclusion
La plupart des peuples vont s’éteindre lentement en raison des maladies importées et des avanies induites par les colonisateurs (interférences dans les guerres inter-ethniques, recrutements forcés…). Des petits groupes vont s’enfoncer dans les bois et recueillir les survivants des autres ethnies. Il s’en suivra un phénomène de coalescence particulièrement bien illustré par la formation des Teko actuels. Mais ceci est une autre histoire. ♦
Pierre Grenand est ethnologue, spécialiste des populations amérindiennes de Guyane et d’Amazonie, Directeur de recherche émérite au CNRS.
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