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Si le raid des 7 bornes avait placé le contrôle des frontières et de l’occupation irrégulière de l’espace parmi ses objectifs, c’est parce que, comme on le sait, une grande partie de la Guyane française fait l’objet d’invasions de prospecteurs d’or clandestins. Leur présence n’a pas été détectée durant le raid aux abords de la frontière, mais lors d’expéditions précédentes il a été établi que les garimpeiros sont montés très au nord du Parc national Montanhas de Tumucumaque au Brésil. En Guyane, ils se concentrent pour le moment plutôt dans le centre du territoire, à l’est et à l’ouest de Saul, et dans le nord, à la fois côté est (de Saint-Élie jusqu’au Maroni) et côté ouest (autour de Regina). Leur activité est surveillée, notamment, par l’Observatoire de l’activité minière en Guyane (OAM) qui émet régulièrement des rapports.
Des orpailleurs en majorité brésiliens
Depuis 2008, l’armée française déploie contre les orpailleurs l’un de ses principaux dispositifs, l’opération Harpie, qui mobilise chaque année plusieurs centaines d’hommes et des moyens importants. Si elle a réussi à faire diminuer considérablement le volume des orpailleurs en activité, et ce dans un contexte difficile – la crise économique mondiale a vu une augmentation très importante du cours de l’or ces dix dernières années, si bien que la prospection illégale est très, très rentable ! – elle n’a pas réussi à en venir à bout. Les immenses placersFermerZones d’exploitation situées dans les méandres des cours d’eau, où les alluvions et dépôts d’or se concentrent à ciel ouvert, les grands villages d’appui et l’ambiance de far west qui a mené au drame de Dorlin (en 2012, une embuscade tendue par les orpailleurs a entraîné la mort de deux militaires) ont disparu. Mais il reste encore quelques milliers d’orpailleurs, dans leur très grande majorité brésiliens, qui continuent d’essayer de trouver leur fortune en Guyane. Certains sont si déterminés qu’ils n’hésitent pas à affronter les gendarmes ou les soldats envoyés pour les expulser ou à forcer les barrages de pirogue.
Orpailleur au fond d’un puits de mine (photo FMLT).
Si les militaires connaissent très bien les moyens et les techniques de leur adversaire sur le front de l’orpaillage, leurs motivations, leurs modes d’action ou leur organisation sont bien moins élucidés. Or les garimpeiros de Guyane se placent dans un contexte plus large qui est celui de l’orpaillage dans tout le bassin amazonien, très largement dominé par les filières brésiliennes. Les orpailleurs vont et viennent dans cette géographie complexe, en fonction des opportunités, des rumeurs sur la richesse des filons, de la répression plus ou moins forte en fonction des régions et, aussi, de leurs trajectoires personnelles. Ce monde, je m’en suis approché lors de mes travaux chez les Yanomami (voir cet article dans la revue Autrepart et mon livre sur les Yanomami), un autre territoire protégé en butte à leurs invasions. Si le gouvernement brésilien y a repris la main en 1992, il a depuis alterné les phases de contrôle et de laisser-aller, permettant ces dernières années une reprise inquiétante du phénomène.
Interviews dans les campements
Cette expérience a permis la naissance d’un nouveau projet de coopération entre notre équipe de recherche et les Forces armées guyanaises, sur le thème de l’orpaillage. L’idée est d’approcher les orpailleurs dans leurs campements et sur leurs lieux de travail et de mener des entretiens afin de mieux les cerner. Bien sûr, cela représente un défi : comment approcher ces populations dans le cadre d’une opération militaire, alors qu’en général l’approche d’uniformes signifie la destruction des campements et la fuite immédiate ?
Une première expérience a été tentée en août 2016. Après quelques jours à jouer au chat et à la souris, nous avons pu localiser des campements, créer un minimum de confiance sur les objectifs de notre opération, et cohabiter avec les orpailleurs. Peu à peu, les conversations se sont multipliées et les entretiens formels se sont enchaînés, permettant de commencer à approcher ce monde clandestin. Certaines données ne sont que des confirmations de ce qui était connu, comme le fait que l’on a affaire à plus de 95 % à des Brésiliens et que ceux-ci proviennent pour les deux tiers de l’État du Mananhão. Mais d’autres se sont avérées différentes des clichés souvent entretenus. De nombreux garimpeiros (et il faut noter la grande variété des occupations dans ce monde, entre travailleurs, colporteurs, pilotes, chasseurs, passeurs de charge, etc.) ne sont pas les damnés de la terre souvent décrits. Conscients des risques, ils travaillent à temps partiel dans les placers, venant chercher le complément de revenu qui leur permet d’équilibrer leurs comptes dans leur vie rangée au Brésil.
Interview avec les orpailleurs (photo SAED/3e REI).
Pour ceux qui se trouvent coincés dans les placers, faute de capital suffisant pour rentrer au Brésil ou faute d’autre option de subsistance, le monde de l’orpaillage n’est pas pire que celui qu’ils auraient à affronter comme sans-abri dans les rues de Rio ou de São Paulo. Au contraire, ils trouvent dans la forêt une solidarité qui n’existe pas en dehors : « Ici on ne te refusera jamais une gamelle de riz… »
Un gramme d’or le cachet d’aspirine
Conscients du fait qu’ils sont illégaux à deux titres au moins (étant entrés clandestinement en Guyane et se livrant à des activités interdites), les orpailleurs ne se voient pas renoncer à leur entreprise. « L’or est là, il sera à qui viendra le prendre… » Pourtant, la vie est dure dans les placers. Dure déjà en temps normal, lorsqu’il faut souvent marcher quinze jours ou trois semaines pour rejoindre une zone d’exploitation, trouver à s’employer, et supporter les conditions de vie et de travail dans des campements précaires où un cachet d’aspirine se vend 1 gramme d’or. Dure, plus encore, du fait de l’efficacité des opérations de répression, qui rendent le ravitaillement incertain et qui peuvent ruiner en quelques minutes le bénéfice escompté pour plusieurs mois de travail. Et pourtant, ils persistent.
La vie est dure dans la forêt et tous ne trouvent pas la fortune (photo FMLT).
Il reste encore beaucoup à comprendre sur ce phénomène, et la coopération commencée se poursuivra dans des missions successives. Il ne s’agit bien sûr pas d’excuser les orpailleurs de leur présence ou de justifier leurs actions. Il ne s’agit pas non plus, lors de ces missions, de les expulser ou de participer aux actions de répression qui sont déjà très efficaces. Il s’agit de mieux connaître leur monde et, qui sait, de pouvoir formuler des alternatives pertinentes. Car militaires et orpailleurs s’accordent sur un point : ce n’est que le jour où les orpailleurs cesseront de vouloir venir que le problème sera vraiment résolu.
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du journal CNRS