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Nous continuons notre progression en forêt dans le secteur de l’Inipi. Pour les dix prochains jours nous ne devrions plus croiser âme qui vive. C'est l'occasion de revenir sur des rencontres des jours précédents.
Lors de notre passage à proximité de l'Inipi, nous avons croisé des orpailleurs rencontrés en 2019 lors de l’expédition Camopi-Regina. Ils nous ont invités dans leur campement et j'ai pu compléter des éléments qui me manquaient pour établir leurs profils.
Quand Frederico, vieux briscard de l'orpaillage...
Frederico (le prénom a été changé), le patron, est né en 1965 dans l’État du Piauí, juste à la frontière du Maranhão, dans une famille rurale pauvre. Son père est dur avec ses enfants et à 16 ans, après une énième correction, Frederico décide de partir. C'est l’époque où l'entreprise Jari, du millionnaire américain Daniel Ludwig, embauche à tour de bras et envoie des recruteurs dans le Nordeste pour y trouver de la main-d’œuvre (l'histoire du projet Jari est racontée en détail dans le livre Le Jari. Géohistoire d'un grand fleuve amazonien, écrit en collaboration avec Anna Greissing).
Mais Frederico est encore mineur et l’entreprise refuse de l'embaucher. Il erre alors en direction de Santarem puis d'Itaituba. Là, le rush des barges de garimpo bat son plein mais « j'avais du mal à me faire employer, à 16 ans je n’étais pas assez fort… ». Il réussit toutefois à s’intégrer dans ce monde et va accompagner la plupart des grandes ruées de l'Amazonie. Le Tapajos, d'abord, puis le Roraima avec le rush de la fin des années 1980 dans le territoire des Indiens Yanomami. Il a ensuite longtemps travaillé sur le fleuve Madeira, près de Porto Velho. Il reste durant dix-huit ans associé au même patron, un pilote d'avion de garimpo qui a réussi dans sa branche d’activité et possède plus d'une quinzaine de CESSNA pour approvisionner ses chantiers. Celui-ci se suicide néanmoins suite à des problèmes familiaux au début des années 2000.
Frederico décide alors de rejoindre son frère qui a opté lui aussi pour l’orpaillage et s'est installé depuis quelques années en Guyane française. Après avoir travaillé dans plusieurs régions, les deux frères se fixent dans la zone de l'Inipi. Le frère de Frederico est le patron du chantier. Il part vers le Guyana au bout de quelques mois, à la recherche de filons plus rentables. Il serait aujourd’hui en Roraima. Frederico, lui, exploite les berges de l’Inipi pour le compte de son frère. Ses affaires allaient assez bien en 2019. Comme un joueur de casino, il dit que « c'est le moment où j'aurais dû me retirer ». Il ne l'a pas fait et entre les opérations de lutte contre l'orpaillage clandestin et moins de chance dans ses prospections, il se retrouve aujourd’hui lourdement endetté. Mais pas question de partir comme un voleur. Il veut essayer de se refaire. Le casino, toujours…
... et Dona Claudia, une cuisinière en or...
À ses côtés, durant notre séjour, se trouvait Dona Claudia. Elle est née en 1975 et habitait avec sa famille à Goiania, dans le centre du Brésil. Elle savait par des amies tout le profit que l’on pouvait tirer du commerce avec les zones d’orpaillage alors, quand sa sœur, mariée avec un Français, l'a invitée en Guyane française, elle n'a pas hésité. Entre 2006 et 2008, elle a fait la navette entre Oiapoque, Cayenne et les zones d’orpaillage de l'Ipoucing, à proximité de l'Approuague. Arrêtée, expulsée deux fois, elle a tout de même continué car le profit était vraiment important.
En 2008 pourtant, elle rentre au Brésil et y reste quatre ans. Ayant besoin d'argent, elle décide alors de tenter à nouveau l'aventure du garimpo, mais au Suriname « parce que là on peut travailler plus facilement ». Elle commence comme cuisinière et se lie avec un nouveau compagnon. À eux deux, ils réussissent à rassembler un kilo d'or, ce qui leur permet d'acheter une petite barge et ses équipements et de se mettre à prospecter sur le Maroni – « principalement coté surinamais mais il nous arrivait aussi d'aller du côté français, illégalement ». Les affaires tournent bien et le couple possède à un moment trois de ces barges. Ils se séparent fin 2019 et Dona Claudia rentre alors au Brésil. Mais quand sa fille a un bébé, en 2020, elle décide de retourner dans le garimpo « pour donner un coup de main ». Plutôt que d'essayer d'investir dans une barge ou un chantier, elle choisit de recommencer à la base, comme cuisinière.
... se rencontrent et tombent amoureux.
Elle se rendait vers le site de Grande Usine quand elle a appris qu'une opération anti-orpaillage y était en cours. Cherchant une zone plus tranquille, elle finit par arriver dans le campement de Frederico et… les deux tombèrent amoureux.
Claudia et Frederico représentent deux profils fréquents chez les orpailleurs. Lui est ce que l'on peut qualifier de « vieux de la vieille », ou de garimpeiro typique. Il a accompagné tous les rushs depuis trente ans et a passé toute sa vie active dans l'orpaillage. « De toute manière je ne sais pas faire autre chose. Et comment veux-tu trouver un emploi au Brésil en étant à moitié analphabète ? » Son seul horizon est donc de se refaire et de ne rentrer au pays qu'une fois fortune faite.
Claudia est représentative d'une génération plus jeune d'orpailleurs pour laquelle le garimpo est une solution pratique pour résoudre des problèmes financiers ponctuels ou à moyen terme, mais pas une vocation ou une carrière. Ces personnes alternent les moments au Brésil où elles mènent une vie « normale » et les périodes dans la forêt destinées à gagner de quoi acheter une maison, payer les études d'un enfant, etc.
Tous deux savent que leur activité est interdite en Guyane et acceptent volontiers « qu'ils sont au mauvais endroit… ». Mais l'or est là et ils savent le trouver… ♦