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Découvrez ici les recherches et le récit des expéditions du géographe François-Michel Le Tourneau, spécialiste de la Guyane et explorateur de la forêt amazonienne. A suivre également sur le compte Twitter @7bornes.
 

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François-Michel Le Tourneau
Géographe aventurier, membre de l'International Research Laboratory (IRL) iGLOBES

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La forêt amazonienne, une forêt influencée par l’homme…
17.06.2019, par Guillaume Odonne
L’un des thèmes de l’expédition est d’étudier certaines espèces de palmiers des sites de montagnes couronnées ou des zones d’occupation ancienne. Le but ? Achever de démontrer à quel point l’occupation amérindienne a influencé la composition végétale de la forêt amazonienne. Explications avec l’ethnoécologue Guillaume Odonne.

Depuis maintenant une vingtaine d’années, les scientifiques d’une discipline appelée « écologie historique » se rendent bien compte que la forêt amazonienne n’est pas du tout la forêt vierge décrite par les Européens des XVIIe et  XVIIIe siècles. Mais comment le voit-on, et comment s’en est-on rendu compte ?

La forêt, dans son développement, passe par différents stades. Dans le premier ce sont des espèces végétales dites « pionnières , ou « héliophiles » (car elles recherchent et supportent bien la lumière) qui dominent. Elles colonisent d’abord une zone laissée vide soit par un ancien village soit par une trouée naturelle suite à un chablis (clairière naturelle créée par l’effondrement de vieux arbres qui entraînent de nombreux autres à leur suite).

Cycle de pousse bien rythmé
Dans un deuxième stade, ces espèces pionnières qui poussent très vite mais durent peu sont rattrapées par des espèces à croissance un peu plus lente, mais un peu plus longévives. Le troisième stade voit leur remplacement progressif par des espèces qui poussent dans les forêts déjà bien installées et ont besoin d’ombre et de temps pour débuter leur végétation. L’ensemble forme un cycle : les arbres poussent, tombent, font des trouées dans la canopée, sont remplacés, etc. Selon les endroits, l’établissement d’un climax (le stade d’équilibre, ou la forêt semble mature) peut prendre quelques centaines d’années.
 

Jeune palmier comou, au sommet de la montagne couronnée, près de roche Bicyclette.
Jeune palmier comou, au sommet de la montagne couronnée, près de roche Bicyclette.

Lorsqu’un village est abandonné, c’est une végétation touffue et impénétrable qui s’installe d’abord, course à la lumière oblige. Cette végétation peut être décelée par un œil expert pendant au moins cent cinquante ans, ce qui permet de détecter des anciens villages ou abattis plutôt récents.

Par ailleurs, le fait d’habiter au même endroit pendant longtemps, tout en collectant des ressources végétales alimentaires dans l’environnement proche, permet d’accumuler des graines aux environs des habitations. À l’époque précolombienne, les espèces alimentaires sauvages les plus fréquentes sont, de ce que les études actuelles montrent pour les Guyanes et le Nord-Est de l’Amazonie, des palmiers Oenocarpus et Astrocaryum, les chawaris (Caryocar glabrum et villosum), le mombin (Spondias mombin), et le courbaril (Hymenaea courbaril) entre autres. Ces graines, en germant, permettent l’installation de ces espèces en concentrations « anormales », et permettent parfois de détecter des sites d’occupation anciens.

Important brassage écologique
À l’aide d’inventaires très précis localisés dans tout le bassin amazonien, les chercheurs se sont donc rendu compte que les forêts de l’ensemble de l’aire géographique ont été influencées par la présence humaine et que l’homme, dans une certaine mesure, en déplaçant des dizaines d’espèces a contribué au brassage écologique de toute la zone participant à faire de l’Amazonie cette forêt mégadiverse que l’on redécouvre à peine avec un œil nouveau.

Durant notre expédition, ce sont autant ces indices de végétation perturbée que sont les espèces héliophiles, qui pourraient signer des occupations datant des derniers siècles, que la présence de certaines espèces  indiquant potentiellement de plus anciens sites, que nous recherchons, en espérant trouver les emplacements des villages qui occupaient autrefois les rives et les collines bordant les fleuves de l’intérieur.

Sur un premier site, la présence simultanée de palmiers comou (oenocarpus bacaba) et de vestiges archéologiques a constitué une bonne surprise et une première confirmation des théories actuelles. Mais nous avons aussi visité une seconde colline où se trouvaient des comou mais sans vestiges évidents d’occupation. Une analyse de génétique des populations (menée par Louise Brousseau, chercheuse à l’IRD) pourra permettre de voir si des différences existent entre les peuplements associés aux villages et les peuplements « naturels », ouvrant là encore de nouvelles perspectives pour la compréhension de la forêt amazonienne et de sa diversité. ♦

Guillaume Odonne est chercheur au Laboratoire écologie, évolution, interactions des systèmes amazoniens (LEEISA) (CNRS/Université de Guyane/Ifremer), qui coordonne ce versant de l’activité scientifique de l’expédition Camopi-Regina rapportée dans ce blog.

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À lire :
L'Amazonie, histoire, géographie, environnement, François-Michel Le Tourneau, CNRS Éditions, 2019.

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